psychotherapie institutionnelle formation infirmiere - texte de Mr Giffard, Infirmier de Secteur Psychiatrique -

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Le texte ci-dessous a été réalisé fin 2011 pour le site "psychiatrie infirmière". Les sources et références sont en bas de page.

Il est construit sur la base d'un article antérieur du même auteur intitulé "Saint-Alban, lieu de psychothérapie institutionnelle".

 

 

 

 

PSYCHOTHÉRAPIE  INSTITUTIONNELLE  et  FORMATION  INFIRMIÈRE

 

- CIRCONSTANCES - NAISSANCE - RÉFÉRENCES -

 

 

 

 

1998: le psychiatre Jean Oury crie son indignation sous la plume d’Eric Favereau dans le journal 'Libération': "il y a une destruction véritable du champ même de la psychiatrie. Ça prend une allure vertigineuse, cela devient impossible d'y travailler. La suppression du diplôme d'infirmier psychiatrique, c'est le plus gros scandale de ce siècle".

 

En 2001, soit trois ans plus tard, le pédo-psychiatre Pierre Delion s’insurge à son tour. Il regrette notamment "une désorganisation de services et d’équipes ayant acquis une grande expérience... (Ce) n’est pas seulement préjudiciable pour les années pendant lesquelles elle ne fonctionnerait pas, mais surtout par la perte de savoir qu’elle entraîne dans toutes les professions concernées, au premier rang desquelles, les infirmiers psychiatriques ont eux aussi payé un lourd tribut" (P. Delion, 2001 p.38).

 

En 2003, dans un livre écrit avec Marie Depussé, Jean Oury résume: "il y a depuis plusieurs années, la mise en place d’un processus de destruction (de la psychiatrie) dont l’étape fondamentale a été la fermeture des écoles d’infirmiers psychiatriques…/… La suppression des infirmiers psychiatriques a marqué la fin de la psychiatrie" (J. Oury, 2003 pp.289 et 204).

Dossier Psychothérapie Institutionnelle

 

 

 

 

Introduction

 

Saint-Alban-sur-Limagnole, chef-lieu de canton de la Lozère, est situé à 1000 mètres d'altitude dans le plateau de grès rouge du Gévaudan. "Étape sur le chemin de St Jacques de Compostelle, aux portes des Causses, des Cévennes et de l'Aubrac, le village s'est édifié autour de son église romane et de son château féodal" (plaquette d'information, Office de tourisme). Le château est racheté en 1821 afin d’y créer un hôpital pour femmes aliénées, tenu par des religieuses. La communauté des sœurs possèdera bientôt un corps de bâtiment, véritable lieu de vie dans l'enceinte de l'hôpital. Respectueuses et solidaires des personnes hébergées, des patients et du personnel civil dont le nombre ira augmentant au sein des équipes, elles participeront jusqu'au bout à l'expérience Saint-Albanaise. Elles y joueront un rôle silencieux et discret, tempérant parfois les innovations, mais très souvent aussi les accompagnant de manière active et volontaire. Les "nonnes", comme les nommait affectueusement François Tosquelles, ont occupé tous les postes, de l'infirmière à la lingère, de l’économe à la surveillante-chef. La dernière prit sa retraite en 2003.

 

Replongeons-nous dans le passé…

 

 

Années 1900

 

Nous entrons dans le 20ème siècle. Cela fait maintenant 80 ans que le château-hôpital de Saint-Alban est géré par la ‘Congrégation de Saint Régis’. Il s'enrichit au cours des décennies de nombreux bâtiments annexes, permettant de loger et de prendre en charge 600 aliénés.

 

 

1935

 

Titre d’une thèse de médecine soutenue cette année-là: "Considérations statistiques sur la situation du personnel infirmier des asiles d'aliénés". Son auteur a 25 ans. Il se nomme Georges Louis Daumézon (sa thèse sera publiée à Cahors). "Daumézon attachera toujours une très grande importance au rôle de l’infirmier" (J. Ayme, psychiatre, 1994, p.2).

 

 

1936

 

St Alban : arrivée du psychiatre Lyonnais Paul Balvet à la direction de l'hôpital. Il lance des réformes pour humaniser l'asile. La mise en place sur toute la France des 40 heures de travail hebdomadaire et la création des congés payés ont entraîné l'embauche de nouveaux employés. Il y a 500 aliénés dans l’asile.

 

 

1937

 

Le terme "hôpital psychiatrique" apparaît officiellement dans la dénomination française, et remplace celui d"asile d’aliénés". L’infirmier psychiatrique remplace l’infirmier des asiles d’aliénés. Si depuis 1878, de rares infirmiers français ont pu suivre l’année de formation proposée par quelques asiles parisiens, dont l’école de "l’asile d’aliénés de la Salpêtrière", ils resteront longtemps très minoritaires, si ce n’est marginaux. La quasi totalité des établissements français négligera pendant plusieurs décennies encore la formation des équipes, certains médecins aliénistes allant même jusqu’à s’y opposer, "car ils n’attendent du personnel que sa docilité et non sa collaboration" (Dr V. Noireaud, 1982). L’employé civil embauché dans les asiles d’aliénés est alors un homme robuste et libre (c’est à dire non-marié), recruté parmi les ouvriers, les paysans ou les vagabonds: "on embauchait tous ceux qui acceptaient de travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre et de courir quelques risques. Les gardiens devaient habiter l’asile, ils avaient un service continu et couchaient dans des lits au milieu des patients. Ce niveau de recrutement très bas de sujets ne sachant souvent ni lire, ni écrire et qui ne restent que quelques mois à l’asile ne permettait guère d’organiser un enseignement. Pour toute la France, en 1935, on ne trouve que 5% des gardiens ayant le certificat d’études primaires" (Dr V. Noireaud, 1982).

 

 

1938

 

A la veille de la seconde guerre mondiale, le rôle de l’infirmier psychiatrique en France reste principalement le gardiennage, même si l’évolution aurait pu s’amorcer grâce d’une part à sa participation aux nouvelles techniques que sont l’électrochoc et l’insulinothérapie (une évolution en terme de progrès dans la prise en charge), et la parution d’autre part d’un règlement national en 1938 qui voulait organiser l’exercice de la profession des infirmiers des hôpitaux psychiatriques.

 

 

1939 - 1945: guerre et occupation nazie

 

La guerre éclate, la France est occupée. Le projet d’une formation infirmière spécifique à la psychiatrie tombe dans l’oubli. La priorité est maintenant de survivre.

Entre les murs de l’hôpital de Saint-Alban, la survie va s’organiser de manière particulière. En effet, durant 5 années, religieuses, personnel civil et patients accueilleront, cacheront et soigneront des maquisards blessés (par exemple suite aux combats du "Mont Mouchet") ainsi que des clandestins fuyant les régimes Nazi , Franquiste et/ou de Vichy.

 

1940

6 janvier: le psychiatre François Tosquelles est invité puis accueilli à Saint-Alban. "Il militait au POUM, un mouvement réunissant des communistes contre Staline" (J. Ayme, juin 2007). François Tosquelles venait d’expérimenter les 3 années de la société égalitaire et communautaire qui, en Catalogne de 1936 à 1939, remplaça la république du front populaire. Participant à la guerre civile, il finit par fuir devant les armées nationalistes du général Franco. Réfugié Espagnol, il vient de vivre en France la réclusion réservée aux "étrangers indésirables" dans le camp de "Septfonds", près de Montauban.

 

"En tant que délégué syndical CGT, je le conseillais", se souvient Jean Ayme. "Émigré, il est arrivé avec son accent espagnol, sa méconnaissance des lois françaises… Certains médecins étaient racistes envers lui. Je le protégeais" (J. Ayme, juin 2007).

 

La situation géographique bien spécifique de Saint-Alban, situé loin des grandes villes et isolé dans la montagne, va favoriser, au milieu des patients et du personnel, la rencontre de nombreux clandestins, intellectuels, médecins et hommes de lettres dont les poètes Paul Eluard et Tristan Tzara, le philosophe Georges Canguilhem...

S'opère ainsi un riche brassage intellectuel qui a pour toile de fond l'humanisation des conditions d'hospitalisation des "aliénés" et l’apprentissage de la vie en communauté.

 

C'est dans cette ambiance très particulière que va s'instituer le dispositif psychiatrique voulu par François Tosquelles. De formation psychanalytique, le psychiatre Catalan "apporte avec lui deux ouvrages qui vont lui servir de bases de référence" (J. Ayme, 1994, p.4):

  1. le livre d'Hermann Simon: "Expérience de Guttersloch" (il faut soigner l'hôpital avant de soigner les gens);

  2. la thèse de doctorat de Jacques Lacan: "De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité" (le discours psychotique a un sens).

1942

Pour faire face aux restrictions alimentaires, tout le personnel de Saint-Alban, qu’il soit religieux ou civil, les médecins, les malades et la population (2100 habitants) organisent l'approvisionnement de l'hôpital en nourriture. L’initiative restera malheureusement unique dans toute la France occupée.

 

Au congrès de Montpellier, Paul Balvet et François Tosquelles révèlent la décadence du système asilaire français: les malades mentaux sont soumis à un véritable génocide. Ils évoquent et commentent les travaux de Hermann Simon selon lesquels l'institution psychiatrique est elle-même malade.

 

L'hôpital de Saint-Alban voit se redéfinir profondément les relations entre les malades, les soignants et le monde extérieur. Apparaît la possibilité d’une prise en charge réfléchie au sein du groupe de soignants, incluant les infirmiers, ceux-là même que chaque patient fréquente heure après heure, chaque jour de l’année. Parallèlement, s'expérimente sur l'ensemble de la commune la pratique d'une psychiatrie égalitaire et communautaire, héritière de l’expérience sociale Catalane. "La psychothérapie Institutionnelle, comme aimait à le rappeler Tosquelles, est d’essence libertaire." (J. Oury, 2003, p.144).

 

Médecin-psychiatre, Lucien Bonnafé est nommé chef de service: il commence à évoquer l'idée d'un "secteur géographique de psychiatrie" qui serait à délimiter, puis à prendre en charge.

 

La "Société du Gévaudan" est créée par Paul Balvet, Lucien Bonnafé, André Chaurand et François Tosquelles: "soins, recherche et formation" sont à la base de leur nouvelle pratique psychiatrique. La thérapie devient collective, s’alimentant à la fois de marxisme et de psychanalyse. Pendant ces années d'occupation, la "Société du Gévaudan" remplit également une mission officieuse: faire passer vers la France Libre des ouvrages ou des passagers clandestins, qui profitent par exemple des liaisons entretenues par Jacques Lacan de Paris (en zone occupée), avec Horace Torrubia à Aurillac (en zone libre).

 

Les trains de la S.N.C.F. sont réquisitionnés par l’occupant, ses armées et son administration: les marchandises n'arrivent plus. Alors qu'il manque de chaussures pour les hospitalisés de Saint-Alban, Paul Balvet surprend un patient, très délirant et que nul n'aurait imaginé capable de cela, se confectionner des sandales avec le raphia de l'atelier occupationnel. Le directeur lui propose d'en fabriquer plusieurs paires, mais dorénavant contre rémunération, ce que le patient accepte; Tous deux viennent de créer les toutes premières bases de ce qui deviendra progressivement l'ergothérapie, théorisée à Sotteville-lès-Rouen après la libération: le but n'est plus d'occuper les patients, mais bien de leur proposer un travail rémunérateur répondant à une demande réelle de la collectivité.

 

1943

Paul Balvet est remplacé à la direction de l'hôpital par Lucien Bonnafé, psychiatre et militant du parti communiste.

 

1944

Lucien Bonnafé quitte Saint-Alban, rentre dans la vie clandestine et intègre la Résistance (il sera membre du service médical du maquis lors de la bataille du Mont Mouchet, puis participera aux combats pour la libération du pays).

André Chaurand le remplace à la direction de l'hôpital.

 

 

1945: libération du pays

 

40.000 malades mentaux sur les 80.000 hospitalisés, soit la moitié des patients sont morts de faim ou de froid dans les centres français de psychiatrie durant les 5 années d'occupation. Conséquence précieuse des nouvelles pratiques égalitaires qu'ils ont su mettre en place et entretenir au sein de leur commune, les Saint-Albanais possèdent le seul hôpital psychiatrique ayant su protéger tous ses patients au cours de cette période.

 

Certains employés reviennent des camps de concentration, profondément marqués par l'expérience déshumanisante qu'ils y ont subi. De ce fait, ils adhèrent entièrement aux idées novatrices lancées par Paul Balvet et François Tosquelles. S’appuyant sur le vécu de ces ex-prisonniers revenant des camps nazis, un grand mouvement de transformation des conditions d’exercice de la psychiatrie est engagé à partir de 1945. Prenant essor dans de rares hôpitaux comme à Saint-Alban ou à Fleury-les-Aubrais (près d'Orléans), cette nouvelle façon de penser la psychiatrie, intégrant soin du patient, recherche théorique et formation des infirmiers va connaître au cours des décennies un développement de plus en plus important en France et bientôt dans le monde.

 

Ouverture des "Journées Psychiatriques Nationales" qui se reproduiront en 1946 et 1947: l’idée est de conjuguer le psychanalytique et l’institutionnel.

 

A Sotteville-lès-Rouen, l’hôpital psychiatrique a quasiment disparu sous les bombardements alliés. Lucien Bonnafé va mettre en place des services ouverts de psychiatrie publique qui fonctionneront sans avoir recours à la loi de 1838 et aux hospitalisations sous contrainte. Le psychiatre Sven Follin fera la même chose à Montauban.

 

 

1946

 

Le Dr Paul Bernard, psychiatre de l’hôpital Sainte-Anne à Paris, fait paraître dans la revue ‘Information Psychiatrique’ un article qui déplore le peu de qualification des infirmiers psychiatriques en France: "si on exclut quelques tentatives rares et isolées, la formation professionnelle de l’infirmier et de l’infirmière des hôpitaux psychiatriques n’existe pas encore dans notre pays. L’enseignement varie peu des directions déjà anciennes données par Bourneville, fondateur de la première école en 1907. L’instruction des infirmiers des hôpitaux psychiatriques se réduit à quelques cours résumant les notions des manuels classiques. Toutes ces notions ne sont pas suffisamment 'repensées' pour eux et ne parviennent pas à les 'former' réellement en vue d’une collaboration à une thérapeutique active. Elles ne les libèrent jamais de la passivité du gardien traditionnel. Le niveau général de nos infirmiers constitue un des aspects les plus affligeants de l’état d’arriération de nos hôpitaux psychiatriques. C’est à une action d’homme à homme que doit préparer la formation du personnel" (Dr V. Noireaud, 1982, p.11 et 12).

 

Georges Daumézon, devenu médecin-directeur de l'hôpital spécialisé de Fleury-les-Aubrais, attache lui aussi une grande importance au rôle et à la formation de l'infirmier psychiatrique pour le soin des malades mentaux. Il demande aux éducateurs de l’organisme socio-pédagogique 'CEMÉA' (centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active), de s’engager dans le champ de la santé mentale. Germaine Le Guillant retrace l’histoire de cette rencontre et de la riche collaboration qui s’ensuivit: "c’est en 1946 que j’ai fait la connaissance du Dr Daumézon... nous avons discuté de psychiatrie, du mouvement de réformes qui s’y dessinait alors. À la fin de cette discussion, Daumézon me dit: «et pourquoi n’organiseriez-vous pas des stages pour les  infirmiers psychiatriques?»... La psychiatrie était pour moi un champ de lutte politique et sociale… pour réduire –sinon détruire- les tabous et préjugés liés à la folie… Dans cette volonté de changement, il était évident que le rôle du personnel infirmier apparaissait comme primordial… Certains éléments étaient porteurs de tous les espoirs: d’une part le travail entrepris par Tosquelles à Saint-Alban, et par Daumézon à Fleury-les-Aubrais; D’autre part, et c’est ce qui fut déterminant pour moi, ma rencontre avec les infirmiers psychiatriques: ceux-ci, travaillant dans les pires conditions, gardaient le courage, la persévérance, un goût de l’action leur permettant de s’ouvrir très vite à toute proposition susceptible d’améliorer la vie des malades… C’est ainsi que s’est constitué un petit groupe d’instructeurs qui est devenu une équipe de stage… Et nous avons commencé à préparer, avec Daumézon et le personnel, le premier stage d’infirmiers qui devait se tenir, en 1949, à La Charbonnière" dans le Loiret (texte de 1980, paru dans VST n°72 d’octobre 2001).

 

Germaine Le Guillant raconte ensuite ses premiers rapports de travail avec un petit groupe d’infirmiers en formation. Ces tout-premiers stagiaires allaient bientôt devenir de proches collaborateurs: "la grande découverte de ce travail fut pour moi d’emblée la qualité du personnel infirmier souvent nié, méprisé par les médecins et si souvent proche des malades cependant. Plus directs souvent, plus près de l’action que bien des personnages que je rencontrai dans le secteur pédagogique. Ces hommes et ces femmes, soignants profondément engagés dans la rénovation de l’asile, ont eu tout au long de notre travail un rôle privilégié. Les quelques infirmiers de Fleury-les-Aubrais qui allaient constituer avec nous l’équipe responsable du premier stage ont été aux côtés de Daumézon, nos premiers instructeurs. Ils inauguraient cette collaboration devenue constante des C.E.M.É.A. et des soignants dans les activités de formation".

 

Le psychiatre jean Oury précisera quelques 50 années plus tard: "le développement de la formation des infirmiers est très important pour comprendre ce qui s’est passé en psychiatrie. Il faut se rappeler que, jusque-là, il n’y avait pas d’infirmiers, il n’y avait que des gardiens. Dans ces stages, ils avaient des instructeurs qui leur apprenaient l’importance de faire le ménage pour et avec les malades, de mettre des fleurs sur les tables. Ça peut paraître un peu primaire. Mais c’était le début de quelque chose d’important" (J. Oury, 2003 p.203).

 

 

1947

 

Saint-Alban: mise en place d'une association loi 1901 conventionnée avec l'hôpital psychiatrique. Cela permet de se doter d'un cadre juridique pour intégrer le malade mental au sein des lois françaises. C'est dans cette optique qu'est créé le club "Paul Balvet", offrant aux patients une organisation de type associatif (il deviendra en 1954 le "club des malades"). Le 'Club Paul Balvet' est le prototype des clubs thérapeutiques voulus par François Tosquelles. "Les objectifs immédiats de ces clubs thérapeutiques sont de pouvoir organiser la vie quotidienne du service en assumant la responsabilité des achats et des dépenses de chaque atelier: la cafétéria, les ateliers créatifs et/ou de production", les fournitures communes… (P. Delion, 2001 p.31).

D'autres hôpitaux psychiatriques auront recours à la création d’associations, tels les centres d'Aix en Provence, Auch, Aurillac, Bonneval, Lannemezan, Leyme, Toulouse, Vauclaire, Ville-Evrard et Villejuif. L’idée fait son chemin un peu partout en France (la spécificité et la pertinence de ce type de structure associative finiront par être reconnues par une circulaire gouvernementale en février 1958).

 

Création de la première société régionale d’hygiène mentale à Clermont-Ferrand où François Tosquelles se rend régulièrement. Elle deviendra la Fédération Nationale "croix bleu marine", pour finalement se nommer la Fédération d'Aide à la Santé Mentale "Croix-marine". Cette organisation va jouer un rôle majeur dans la diffusion et la mise en place des nouvelles méthodes psychiatriques qui se théorisent depuis les années d'occupation. Elle ajoutera bientôt à ses champs d’application la formation du personnel employé en psychiatrie: un nombre considérable d’infirmiers assistera à ses colloques et séminaires thématiques.

 

Nommé à Toulouse, André Chaurand quitte la direction de l'hôpital de Saint-Alban. Maurice Despinoy y est nommé médecin directeur.

 

3 Septembre 1947: François Tosquelles accueille Jean Oury et Robert Millon en qualité d'internes à Saint-Alban. Jean Oury y restera deux ans, puis François Tosquelles l’enverra en octobre 1949 à Saumery où il sera nommé médecin-directeur d’une clinique privée. Robert Millon, quant à lui, ne quittera pas l'hôpital de Saint-Alban, dont il finira par assumer la direction.

 

P. Sivadon publie un compte-rendu sur "les activités de groupe à l'hôpital psychiatrique" ('annales médico-psychologiques', T.l n°2 p.192-196, 1947).

 

 

1949

 

Les stages d’apprentissage voulus puis créés par Georges Daumézon se sont mis en place. Organisés à l’intention du personnel infirmier, ils peuvent durer jusqu’à une dizaine de jours chacun. Dans le cadre des C.E.M.E.A, Germaine Le Guillant et Georges Daumézon forment les stagiaires aux psychodrames, à la dynamique de groupe... Ils leur font également pratiquer des activités collectives et créatrices où, dans une relation inversée, ils découvriront de nouveaux modes d'échange avec les médecins qui les encadrent. A leur retour dans leurs services respectifs, ces infirmiers rapporteront les pratiques et surtout reproduiront ces nouvelles relations auprès de leurs malades. Malheureusement, dans beaucoup d'hôpitaux "ils se heurtent au conservatisme de l'encadrement infirmier ou médical. Daumézon organise alors des stages destinés aux surveillant-chefs" (J. Ayme, 1994, p.5). Plusieurs années plus tard (en fait à partir de 1957), il sera amené à réunir les médecins eux-mêmes à l'école expérimentale de Sèvres.

 

Lucien Bonnafé publie un compte-rendu "sur les réunions du personnel (à l’hôpital psychiatrique)" (‘Information Psychiatrique’, n°8 p.275-279, 1949).

 

 

1950

 

L’évolution thérapeutique expérimentée à Saint-Alban depuis bientôt 15 ans a redonné aux malades un peu de leur humanité: ils ne sont plus seuls, ils se sentent encadrés et soutenus, au sein d'une communauté. Cette évolution a permis à l’hôpital d’assumer son rôle de protection, de retrouver une fonction soignante. Avec l’aide et le soutien de l'organe local "Croix-marine", des structures internes ont été créées: commissions, bureaux, activités d'animation, théâtre, ateliers d'ergothérapie...

 

A partir de juillet 1950 paraît à Saint-Alban le journal "trait d'union", porte-parole de l'intérieur du centre hospitalier dans lequel chacun, de l’infirmier au médecin, du membre de l'administration à l’hospitalisé, peut écrire ce qu'il veut. Hebdomadaire puis bi-mensuel, rédigé, façonné, imprimé et vendu au sein de l'hôpital (il valait 1,10 francs en 1950), ce journal interne de libre expression paraîtra jusqu'en 1981. Contenant de 4 à 8 pages selon les livraisons, il propose témoignages, revendications individuelles, faits d'actualité... etc. Orienté vers les soins et les échanges institutionnels, c'est un outil thérapeutique dans le sens de Saint-Alban, apte à soigner l'institution autant que les malades.

 

 

1951

 

Henri Ey organise les "journées de Bonneval", congrès au cours duquel François Tosquelles expose l’organisation mise au point à l’hôpital de Saint-Alban, et développe les bases de la "psychothérapie collective". Pour tenter de compenser le rejet du malade mental par la société, il soutient la nécessité d'un collectif soignant. François Tosquelles préconise la mise en application d’une "pratique soignante institutionnalisée".

 

 

1952

 

Invité à Saint-Alban, Frantz Fanon, interne en psychiatrie, rencontre François Tosquelles; il a entendu parler à Lyon d'une "pratique psychiatrique attentive surtout à la complexité des différences qui lient entre eux les hommes".

 

G. Daumézon, L. Le Guillant, P. Sivadon et F. Tosquelles confrontent leurs expériences et font paraître un "symposium sur la psychothérapie collective, Bonneval 1952" ('Évolution Psychiatrique', n°3 p.531-576, 1952).

 

Évoquant le travail effectué à Fleury-les-Aubrais puis près de Paris à l’hôpital de Maison-Blanche où il vient d’être nommé, Georges Daumézon et son interne Philippe Koechlin emploient pour la première fois associés les deux mots: "psychothérapie institutionnelle". L'expression caractérise les "activités thérapeutiques discontinues, collectives et cohérentes" qu'ils ont introduites dans leurs services (article intitulé "la Psychothérapie Institutionnelle Française", paru dans la revue "Anais Portugueses de Psiquiatria"). Ces termes seront désormais adoptés pour désigner l’ensemble des techniques qui ont été progressivement théorisées et appliquées à Saint-Alban (depuis 1940) ou à Fleury-les-Aubrais (après-guerre).

 

Création officielle de la FASM Croix-marine. La France reconnaît enfin, après plusieurs années d’existence, son action sur le terrain. Avant, pendant puis après la seconde guerre mondiale, sous l'impulsion de ses fondateurs A. Delaunay et P. Doussinet, la Fédération d’Aide à la Santé Mentale a accompagné, et souvent aussi a été à l'origine de projets et de réalisations pratiques qui transformèrent l'ambiance des lieux de soins en psychiatrie. Partie prenante dans le mouvement de la psychothérapie institutionnelle, elle s’est mobilisée dès le début dans les efforts de rénovation des conditions de vie du malade mental en France. Elle participa à la création des Comités Hospitaliers. Sa volonté d’action dans la formation des professionnels de la psychiatrie sera déterminante, au même titre que son travail d’accompagnement, de protection et de réinsertion des malades. Durant la décennie 1970, elle participera au déploiement de la sectorisation. Reconnue d’utilité publique en 1986, scindée en 15 coordinations régionales, la FASM Croix-marine regroupera, à partir du 21ème siècle, 300 associations et 130 établissements ou services sur tout le territoire. Organisant des stages et des séminaires de formation à l’intention des infirmiers comme de tout le personnel médico-social, la FASM en viendra également à publier des études thématiques: les "Dossiers Bleus Croix-marine", une revue trimestrielle: "Pratiques en Santé Mentale", une lettre d’information… etc. (2007, "Agir en Santé Mentale", FASM Croix-marine).

 

 

1953

 

3 Avril 1953: avec les 33 patients de Saumery qui l’ont suivi (7 sont restés qui ne pouvaient pas marcher), et s'inspirant des concepts et de la pratique de la psychothérapie institutionnelle, Jean Oury crée près de Blois la clinique du "Château de Laborde".

 

Le gouvernement français n’a pas reconnu le diplôme de psychiatre qu’avait l’espagnol François Tosquelles en arrivant en France. Employé depuis 1946 sur un poste d'infirmier, il a refait toute sa formation puis, après avoir ainsi franchi les échelons de la hiérarchie hospitalière, est devenu psychiatre de l’université française. En 1953 il est nommé médecin-directeur de l'hôpital de Saint-Alban.

 

"Quand j’étais petite" raconte Michèle Béteille à Saint-Alban, "j’ai grandi avec les 4 enfants de François Tosquelles. Pour moi, c’était la liberté, c’était ma seconde famille. Quand il venait manger à la maison, il lui arrivait d’écarter son assiette pour faire un dessin sur la nappe, pour s’amuser ou pour expliquer quelque-chose. Mes parents qui n’auraient jamais fait une chose pareille, ne disaient rien. Il rigolait tout le temps. On était très libres avec lui" (Michèle Béteille, infirmière retraitée, juin 2007).

 

"Ce sera pareil au boulot", précise Marcel Béteille, son mari. "François Tosquelles voulait que les gens disent ce qu’ils pensent, ce qu’ils ont vu, avec leurs propres mots, quelle que soit leur éducation. Il était toujours très respectueux. Il discutait avec tout le monde, le patient, l’ouvrier, la nonne, l’infirmier… S’il voulait savoir ce qui s’était passé, il n’envoyait pas demander, il allait voir directement la personne. Mais quand il sentait qu’elle avait un discours tout-fait pour plaire au médecin, il l’interrompait tout de suite: je suis comme un couillon si vous ne me parlez pas, je suis inutile..." (Marcel Béteille, éducateur, infirmier, surveillant à la retraite, juin 2007).

 

 

1954

 

Inauguration du "club des malades" à Saint-Alban. Héritière du club "Paul Balvet" (créé en 1947), cette instance reproduit dans l'hôpital et pour les patients le schéma organisationnel associatif, avec élection d'un président, d'un secrétaire... L'organe local "Croix-marine" vient apporter son aide pour tous les aspects officiels (démarches, conseils, soutiens). "L’intervention des malades dans la thérapeutique est d’abord liée au fait que ce sont eux qui ont quelque-chose à y gagner, que l’enjeu est de leur côté." (J. Oury, 2003, p.95).

 

Georges Daumézon et Germaine le Guillant fondent la revue "Vie Sociale et Traitements" (VST). Alimentée en théorie et pratique de terrain, elle sert de support à la formation des infirmiers psychiatriques lors des stages CEMÉA. Cette publication vise aussi à transmettre et soutenir le débat désaliéniste porté entre autres, et pendant encore de longues années par Lucien Bonnafé.

 

 

1955

 

L'abbé Oziol et François Tosquelles créent le "Clos du Nid", établissement recevant des enfants arriérés profonds, à Marvejols en Lozère.

 

L'arrêté du 23 juillet réglemente un examen régional pour les infirmiers des hôpitaux psychiatriques. Il sanctionne une formation de 2 ans par un diplôme qui n’est pas reconnu au niveau national. Malheureusement, son contenu fait toujours la part belle aux anciens cours des médecins aliénistes: les infirmiers conservent leur rôle d’exécutant et de gardien. Variant énormément d’une école à l’autre, dispensée au sein même des hôpitaux psychiatriques, la formation dépendra en fait de la disponibilité et de la volonté de chaque médecin enseignant.

 

J. Séguy écrit sa thèse de médecine sur "la notion d'ambiance psychothérapique à l'hôpital psychiatrique. Expérience d'un service de femmes" (Toulouse, 1955).

 

 

1957

 

Création d'une bibliothèque à l'hôpital de Saint-Alban. Elle permet de réunir en un seul lieu et à disposition de tous, les textes qui serviront à la formation des équipes.

 

Au congrès de Zurich, Jean Oury fait une intervention sur "l’entourage du malade dans le cadre de la thérapeutique institutionnelle" dans laquelle il insiste sur les deux aliénations (sociale et mentale) et sur l’importance d’effets inattendus de cette technique: "par une technique du milieu, le médecin arrive à éclairer des zones de la personnalité de chacun qui seraient restées à tout jamais dans l’ombre. Elle tend à créer des systèmes de médiation contrôlés médicalement entre l’ensemble du personnel de l’hôpital et l’ensemble des malades (...) Cette dialectique soignants-soignés instaure un ordre particulier qui bouleverse les structures trop anciennes, et donne sa signification à tout système médiatif que l’on cherche à créer".

 

Les infirmiers psychiatriques, en butte à l’immobilisme médical qu’ils affrontent dans leurs services respectifs, ne peuvent pas toujours pratiquer les nouvelles techniques apprises depuis 1949. Georges Daumézon, médecin-directeur à l'hôpital de "Maison-Blanche" en région Parisienne, prend l’initiative d’organiser les rencontres médicales du "Groupe de Sèvres". Y sont conviés les psychiatres héritiers de Freud et de Pinel animés d’une volonté de changements institutionnels. "Le groupe réunit soit ceux qui veulent subvertir l’institution asilaire pour en faire un véritable instrument de soins, désireux de guérir dans la même démarche les institutions et les malades qu’elles accueillent, soit ceux qui veulent créer un ailleurs dégagé des facteurs d’aliénation de structures héritées du passé" (J . Ayme, 1994). 40 psychiatres et psychanalystes se rencontrent à 6 reprises entre 1957 et 1959. Ils y discutent les théories du secteur en psychiatrie, la participation des infirmiers à la psychothérapie... Ce dernier thème sera à l'origine du désaccord qui mettra fin au mouvement. Précision de Jean Oury: "en 1957, j’ai fait une intervention lors du colloque de Sèvres, où je disais que les infirmiers n’étaient pas plus con que les psychanalystes. Ça a déclenché une violence qui s’est presque terminée en bagarre." (J. Oury, 2003 p.203-204).

 

M. Golberg, C. Martin et P. Martin publient leurs "remarques sur la relation Médecin-Infirmiers-Malades à l'hôpital psychiatrique" ('Revue Pratique de Psychologie de la Vie Sociale et d'Hygiène Mentale', n°1 p.15-26, 1957).

 

A. Fernandez et M. Hazera, dans un article écrit en commun, prennent position "pour une participation plus riche de l'infirmier à l'ensemble psychothérapique du service psychiatrique" (‘Information Psychiatrique’, n°9 p.505-514, 1957).

 

 

1958

 

Circulaire gouvernementale du 4 Février 1958: reprenant le credo de psychiatres désaliénistes tels Lucien Bonnafé, Georges Daumézon ou Henri Ey, elle réorganise le fonctionnement de la psychiatrie en aménageant le travail d’ergothérapie.

Elle officialise également l'existence des clubs thérapeutiques auxquels elle fournit enfin un cadre législatif adapté. Cette circulaire entérine une pratique de Saint-Alban: elle reconnaît l'intérêt de l'intervention d'une association loi 1901 dans l'organisation du travail thérapeutique, pour éviter que l'argent gagné dans les ateliers ne soit la propriété de l'hôpital (comme cela se faisait partout ailleurs), mais revienne bien à ceux qui y ont travaillé.

 

L’association loi 1901 se compose de soignants et de personnalités extérieures au soin, et porte le nom de "comité hospitalier". C'est ce comité qui passe convention avec l'établissement, puis crée en son sein un "club thérapeutique".

 

Théorisation de l'ergothérapie: par son travail dans un cadre thérapeutique, le malade reçoit une rémunération. Activité de médiation et de socialisation, l'ergothérapie positionne directement le patient dans le monde du travail. Elle l'ouvre aux réalités extérieures et lui permet par la même occasion d'accroître son autonomie. L’équipe infirmière a ici un rôle d’encadrement et d’accompagnement. Elle expérimente également le ‘faire-avec’, favorisant les rapports transversaux d’individu à individu.

 

"Mais la bataille consiste aussi à rappeler aux infirmiers que l’ergothérapie n’est pas une fin en soi, mais seulement une base à partir de laquelle travailler, en résistant à plusieurs tentations, commerciales, esthétiques…" (J. Oury, 2003, p.95).

 

Le personnel infirmier de Saint-Alban est amené à réfléchir sur son statut de soignant, en ergothérapie comme au sein des différentes activités qui se mettent en place. Des réunions sont organisées pour échanger, s’informer et se former. On a compris l’importance des groupes et du travail sur les groupes en psychiatrie, et cela concerne les patients, les soignants mais surtout d'une manière générale l’ensemble des individus en contact. La recherche se fait également sur le concept d’institution qui régit les relations entre les membres.

 

Création à l’hôpital de Saint-Alban de "l'association culturelle du personnel" qui aura pour but essentiel une formation adaptée des infirmiers, anticipant sur ce qui va finir par se mettre en place quelques années plus tard dans toute la France. Le personnel soignant a ressenti le besoin de se rencontrer pour échanger et élaborer ses expériences. En complément de démarches psychanalytiques personnelles, un mouvement est ainsi né sous la forme d’une association culturelle, permettant aux différents acteurs de se retrouver pour réfléchir ensemble sur leurs pratiques.

Au départ, cette association s’est attelée à l'étude des textes fondamentaux (Freud, Lacan... etc.). Notons que les 2 premiers textes proposés par François Tosquelles ont été celui de Hermann Simon non-traduit à l’époque en français ("Expérience de Guttersloch"), et la thèse de doctorat de Jacques Lacan ("De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité"). Transposées à l’échelle du groupe d’individus et du collectif soignant, ces études et celles qui suivirent ont enrichi considérablement la culture du milieu hospitalier, à une époque où la psychanalyse n’avait pas encore pénétré la psychiatrie.

 

Persuadé de l’importance de la place du "psychiste" dans la cité, François Tosquelles a aussi entrepris, sous l’égide de cette association culturelle, d’animer un ciné-club à Saint-Chély-d’Apcher. Les séances proposent alors aux nombreux spectateurs, qu’ils soient soignants ou non, des discussions passionnées sur la psychopathologie. Les débats sont commentés et animés par François Tosquelles. "Ils offrent un spectacle recherché et redouté à la fois puisque personne n'est à l'abri d'une interpellation de sa part!" (Michèle Béteille, juin 2007).

 

Création de "Radio-Club" qui, à partir d'un studio dans le château de Saint-Alban, transmet par fil vers tous les services de l'hôpital des émissions réalisées par des animateurs, soignants et malades. Y circulent des faits divers, des plaintes, des avis personnels, des "coups de gueule", des poèmes, des infos sur les différentes activités, ou encore des "potins" locaux. Les unités de soins qui le souhaitent se branchent sur "Radio-Club" à l'heure prévue pour l'émission quotidienne, émise de façon régulière toute la semaine. Ceux qui écoutent peuvent réagir à ce qui vient d'être dit en allant s'y exprimer.

 

François Tosquelles est remplacé à la direction de l'hôpital par Yves Racine, après un court intérim de Roger Gentis.

 

Suite aux bruyantes et riches journées du "Groupe de Sèvres", le n°5 de la revue ‘Information Psychiatrique’ fait paraître plusieurs articles pour promouvoir la participation des infirmiers à la psychothérapie. Ainsi sont publiées les réflexions de P. Bailly-Salins, A. Beley, L. Le Guillant, J. Oury (‘Information Psychiatrique’, n°5 p.383-466, 1958).

 

 

1959

 

3 articles importants vont entériner la nécessité d’un travail d’équipe en psychiatrie, reconnaissant par là-même la spécificité et la pertinence des soins infirmiers:

  1. J. Ayme fait paraître un texte dans la revue ‘Information Psychiatrique’ n°8, intitulé: "La participation des infirmiers à la psychothérapie";

  2. J. Oury publie "Analyse de l'entourage immédiat du malade dans le cadre de la thérapeutique institutionnelle", ‘Acta psychotherapeutica, psychosomatica et orthopaedagogica’ n°7 p.295-300, 1959;

  3. S. Lebovici écrit "Le travail d'équipe en psychiatrie", ‘Evolution Psychiatrique’ n°2 p.253-274, 1959.

 

 

1960

 

Toutes les régions ont reconnu la nécessité d’un ‘soin’ en psychiatrie. Après le département de la Lozère puis la région du Languedoc-Roussillon, c’est maintenant sur toute la France qu’on commence à parler de l’intérêt d’un ‘soin d’équipe’ pour la prise en charge des patients en psychiatrie.

 

Autour de l’hôpital, les interventions au domicile des malades s’organisent, que ce soit à la demande de la famille, ou du médecin traitant. Ce mouvement a été initié de manière très naturelle depuis plusieurs années à Saint-Alban et dans tout le département de 60.000 habitants, département dont François Tosquelles dit qu'il est "le jardin de l'hôpital".

 

La circulaire gouvernementale du 15 Mars 1960 reconnaît et promeut la "psychiatrie de secteur". Elle entérine un objectif majeur: rapprocher l’exercice de soin du lieu de domicile, et le soignant du patient.

 

Philippe Paumelle, ancien élève de Georges Daumézon, met officiellement en place le premier secteur de psychiatrie en France sous la forme d’une association loi 1901 à Paris dans le 13ème arrondissement.

 

L'hôpital de St Alban accueille en mai les premières journées du G.T.P.S.I. (Groupe de Travail sur la Psychothérapie et la Sociothérapie Institutionnelles) qui est né de la disparition en avril 1959 du groupe de Sèvres. Suite à l'initiative de 3 psychiatres (Hélène Chaigneau, Jean Oury et François Tosquelles), douze rencontres se succèderont entre le 1er Mai 1960 et le 31 Octobre 1965. Les principaux acteurs du mouvement de la psychothérapie institutionnelle s'y retrouvent alors pour des sessions de trois jours, à raison de 2 ou 3 fois par an. Sont débattues les questions théoriques ou pratiques posées dans leurs divers lieux de soins. "C’est également la recherche d’une cohérence théorique, comme le dit Tosquelles, la fabrication d’outils conceptuels pour guider notre pratique mais également pour tenter de dégager la problématique spécifique de la psychothérapie institutionnelle. Nous ne craignions pas à l’époque de déclarer que la psychanalyse n’est qu’un cas particulier de la psychothérapie institutionnelle" (J. Ayme, 1994). Exemples de thèmes abordés:

 

Acquérant de la renommée au cours des années, le G.T.P.S.I. sera bientôt dépassé par l'affluence grandissante de ses participants. 12 réunions auront lieu, puis il laissera la place en 1965 à une nouvelle association, la S.P.I. (Société de Psychothérapie Institutionnelle).

 

R. Roelens publie : "le mouvement français de psychothérapie collective " ('La Pensée', n°90 p.90-104, 1960).

 

 

1962

 

Création du "Bulletin technique du personnel soignant de l'hôpital psychiatrique de Saint Alban", communément nommé "Bulletin du personnel soignant": traitant principalement du fonctionnement de l'institution, sa parution est très irrégulière mais durera néanmoins une trentaine d'années. Dés la première année de parution, de nombreux articles sont produits:

 

Parallèlement, dans ‘Information Psychiatrique’ n°8 p.651-674, P. Bernard fait paraître: "Perspectives nouvelles sur les soins infirmiers psychiatriques en Europe".

 

M. Wajeman intitule sa thèse de médecine: "Considérations sur la formation professionnelle du personnel infirmier des services de neuropsychiatrie" (Clermont-Ferrand, 1962).

 

 

1963

 

R. Roelens publie un nouvel article: "quelques conditions préliminaires au collectif soignant" (‘Information Psychiatrique’, n°4 p.203-224, 1963).

 

 

1965

 

N'ayant plus de raisons d'être, les murs d'enceinte sont démontés: l'hôpital de Saint-Alban est désormais pleinement intégré dans la commune.

 

Sur ordre du service des monuments historiques, la chapelle de l'hôpital est détruite car adossée illégalement et depuis de nombreuses années contre le mur du château. Les sœurs et la majorité des patients en réclament aussitôt une nouvelle. Yves Racine, médecin directeur de l'hôpital accepte, mais à condition que ce soient les patients et le personnel qui la construisent! Il finance le matériel, ainsi que les services de quelques ouvriers, d'un architecte et d'un artiste qui devront respecter scrupuleusement les choix des patients, dans la mesure du réalisable mais sans limite de temps pour y parvenir.

La construction durera 5 années, durant lesquelles tout le monde s'y est mis: ouvriers, malades, bonnes sœurs, médecins, infirmiers... "Dans la nouvelle chapelle, tous les travaux des patients furent intégrés. Les piliers par exemple sont constitués de blocs tous différents, certains cubiques, d'autres sans forme distincte: fruit d'une participation collective respectant les capacités de chacun, la réalisation de cette chapelle fut une synthèse théorique autant que pratique de la psychothérapie institutionnelle" (Marcel Béteille, juin 2007).

 

Une revue appelée "Psychothérapie Institutionnelle" est éditée. "Elle va faire paraître sept numéros sur de grands concepts comme ‘la hiérarchie’, ‘la pédagogie’, ‘le transfert’, ‘la transversalité’... etc." (P. Delion, 2001, p.14).

 

Le G.T.P.S.I. (Groupe de Travail sur la Psychothérapie et la Sociothérapie Institutionnelles) cesse de fonctionner.

 

La S.P.I. ou "Société de Psychothérapie Institutionnelle" est créée sous la forme d’une fédération de groupes régionaux. François Tosquelles en devient le premier président. Il y définit l'articulation du soin psychiatrique: "la psychothérapie institutionnelle marche sur deux jambes, la psychanalytique et la politique".

 

L'hôpital de Saint-Alban connaît année après année une vie culturelle de plus en plus riche et ouverte. Les membres du personnel y retournent parfois le soir, sur les jours fériés ou de repos. Ils sont accompagnés de voisins, de la famille, des amis pour assister à une représentation de théâtre, une soirée dansante, une tombola ou un repas. L'ambiance y est libre et vivante, les relations entre patients, villageois, soignants et administratifs, qu’ils soient religieux ou civils, sont basées sur la détente, la confiance, et très souvent la bonne humeur. On partage désormais dans tout le village l'acceptation de l'autre dans sa différence et son originalité. "Une des bases de la psychothérapie institutionnelle, c'est l'amitié" aimait à répéter François Tosquelles (précision de son fils Michel, Saint-Alban, juin 2007).

 

"L’amitié et aussi l’humour" renchérit le psychiatre J.P. Boulhol. "Je me souviens, j’étais jeune interne à ‘la Candélie’ à Agen. On nous annonce l’arrivée de François Tosquelles, médecin à la réputation sulfureuse, surveillé par les services de l’intérieur, interdit d’Espagne… L’administration de l’hôpital, très pointilleuse et solennelle, nous fait mettre sur deux files. Il arrive, voit toute l’ambiance imposée, et demande: il est où le petit trou pour faire pipi? Tout le monde éclate de rire, sauf le directeur qui bafouille: vous voulez dire que vous voulez aller aux toilettes? C’était fini, tout le décorum avait volé en éclats, en quelques mots il avait remis les choses et les gens à leur vraie place" (J.P. Boulhol, Saint-Alban, juin 2007).

 

La ‘Revue de Psychothérapie Institutionnelle’ fait paraître p.141-143: "Dynamique du transfert et hiérarchisation de l’institution" de D. Rothberg, et p.147-153: "Transfert et défenses en psychothérapie institutionnelle" de Y. Racine.

 

De son côté, R. Roelens publie dans ‘Information Psychiatrique’ n°9, p.729-740: "Réflexions sur le travail relationnel en milieu psychiatrique".

 

 

1966

 

Premières publications de la "Bibliothèque de l’Infirmier Psychiatrique": 23 livres paraîtront dans une écriture très accessible et sur des thèmes en lien avec la pratique soignante. Face à une demande pluri-professionnelle qui s’élargit de plus en plus, la collection modifiera son nom en "Bibliothèque de Psychiatrie Pratique".

 

M.A. Woodbury fait paraître: "l’équipe thérapeutique" (‘Information Psychiatrique’, n°10 p.1047-1142, 1966).

 

 

1967

 

P. Chanoit publie: "La notion d’équipe en psychiatrie" ('Évolution Psychiatrique' n°1 p.37-63, 1967) et Y. Racine: "Rapports entre groupe de psychothérapie et groupes d’activités dans un collectif soignant" ('Revue de Psychothérapie Institutionnelle' n°5 p.71-76, 1967).

 

D’autre part, déplorant ce qu’il en est du contenu officiel de formation infirmière au niveau national, le Dr Grandguillaume intitule sa thèse de doctorat "Problèmes de formation du personnel infirmier des hôpitaux psychiatriques" (Besançon, 1967).

 

 

1968

 

La S.P.I. (Société de Psychothérapie Institutionnelle) cesse de fonctionner.

 

"Devant la grande affluence que commencent à connaître les petits groupes régionaux, Félix Guattari créé le F.G.E.R.I. (Fédération des Groupes d’Étude et de Recherche Institutionnelle) qui publiera la revue Recherches" (P. Delion, 2001, p.14).

 

Durant les évènements de mai 1968, le directeur Yves Racine téléphone chaque matin à la préfecture pour signaler qu'il est retenu dans son bureau par des grévistes, soignants ou administratifs. "Quand le préfet lui demande s'il est nécessaire de faire intervenir les forces de l'ordre pour le libérer: non, non, cela se passe très bien, ils ne sont pas agressifs envers moi, ils me retiennent, c'est tout" (Marcel Béteille, juin 2007). Le directeur remplit ainsi son rôle officiel de garant de l’ordre. Et en rassurant le représentant du gouvernement, il évite toute 'descente de police' sur Saint-Alban pour la journée. Dès que le téléphone est raccroché, "Yves Racine distribue de l'argent aux infirmiers mobilisés et aux piquets de grève pour aller acheter du saucisson, du pain, du fromage, du vin..." qu’ils partageront tous ensemble lors d’un repas convivial (Marcel Béteille, idem).

 

Mutation culturelle au sein des équipes infirmières, qui vivent en ce moment un profond changement: "le public infirmier, auparavant, c’étaient des gens qui venaient du travail manuel. Beaucoup avaient été ouvriers, artisans, paysans... Après 1968: on a eu affaire à de jeunes infirmiers complètement différents, en ce sens qu’ils avaient tous le bac ou niveau bac, une certaine appétence culturelle pour discuter avec des intellos…" (R. Gentis, psychiatre, 2005, p.133).

 

Un livre paraît: "le psychanalyste sans divan" de Diatkine, Lebovici, Paumelle et Racamier. L'ouvrage reconnaît "l’apport de la théorie psychanalytique à la compréhension des maladies mentales et éventuellement à l’organisation d’institutions destinées à les traiter" et met en avant les "interactions dynamiques entre malades et institution" (P. Delion, 2001, p.14).

 

L’approche soignante originale des équipes psychiatriques sur Saint-Alban a fait parler d’elle à travers la France. Bien que formées aux seuls soins généraux, plusieurs infirmières diplômées d'état postulent pour y participer. Si "en pratique une infirmière psychiatrique (n'est) pas embauchée à l’hôpital général à la place d’une infirmière diplômée d’état... l’inverse reste possible dans la majorité des centres hospitaliers spécialisés de psychiatrie" s'étonne V. Noireaud dans sa thèse de médecine (1982, p.94-95). Et elle rajoute: "nous remarquons d’ailleurs que si la loi prévoit qu’une infirmière diplômée d’état doit faire deux ans d’études pour avoir l’équivalence diplômée en psychiatrie, ce qui est rarement réalisé et ne l’empêche pas sur un plan concret d’être embauchée et de travailler à l’hôpital psychiatrique, la loi prévoit aussi que ces infirmières diplômées d’état puissent assister aux cours des élèves infirmiers en psychiatrie. Or, nous n’en avons vu aucune".

Déplorant à la fois le non-respect de la loi et l'absence de démarches personnelles pour se former, Yves Racine, médecin-directeur de l'hôpital de Saint-Alban conditionne l'embauche des IDE à l'obtention d'un diplôme d'infirmier de secteur psychiatrique, c'est à dire après qu'elles aient fait 2 (nouvelles) années de formation, spécifique à la psychiatrie cette fois.

 

Saint-Alban: 600 patients sont pris en charge par l'hôpital et le village.

 

La revue ‘Information Psychiatrique’ n°1 publie:

 

1969

 

Si le gouvernement français a bien enregistré l’évolution qui s’est imposée sur le terrain en ce qui concerne la formation du personnel et la prise en charge des patients, il n’en favorise pas pour autant une généralisation au niveau national. L'arrêté du 12 mai entérine le titre: "Infirmier de Secteur Psychiatrique" (ou ‘I.S.P.’), sanctionné par un diplôme qui n’est reconnu que dans la région où a été formé le nouveau soignant. Ce cloisonnement régional nécessite, lors d’un déménagement, une démarche préalable auprès des deux DRASS (région de départ, région d’accueil). Cause directe, ou conséquence d’un état de fait, il est exact que beaucoup d’infirmiers, si ce n’est la quasi-totalité d’entre eux, continuèrent d’exercer sur les lieux mêmes où ils furent formés, au sein d’équipes pluridisciplinaires dont le médecin compta bien souvent parmi leurs enseignants, leurs formateurs. En ceci, la non-reconnaissance nationale du diplôme spécifique à la psychiatrie n’a pas facilité la circulation des soignants, des idées ou des techniques.

 

F. Tosquelles écrit "Que faut’il entendre par psychothérapie institutionnelle?", ‘Information Psychiatrique’ n°4 p.377-384.

 

G. Balvet, P. Broussolle et M. Vermorel font paraître "Où en est l’enseignement des infirmiers des HP?", ‘Information Psychiatrique’ n°6 p.591-602.

 

 

Années 1970

 

Mise en place effective sur le territoire français des secteurs de psychiatrie, sous la pression discrète mais efficace des associations et des structures de la FASM Croix-marine. Reproduisant l’expérience de Saint-Alban en Lozère, chaque secteur géographique en France correspondra à une population approchant les 70.000 habitants. Là où ils seront nommés psychiatres, les ex-internes de Saint-Alban vont organiser leurs "secteurs de psychiatrie" avec plus ou moins de succès suivant les endroits. Le syndicat des psychiatres des hôpitaux, dont Jean Ayme a été président, usera de toute son influence pour relayer, soutenir et élaborer collectivement les applications de la doctrine de secteur dans chaque département. Cela se fera souvent contre les directions administratives locales, non-convaincues du bien-fondé de cette révolution psychiatrique.

 

La mise en place de la psychiatrie de secteur sur l’ensemble de la France à partir des années 1970 va avoir une influence déterminante dans l’extension des idées et des pratiques de la psychothérapie institutionnelle. Pour ses fondateurs, l’importance de la désaliénation à accomplir est fondamentale et c'est le seul moyen de changer le visage de la psychiatrie.

 

Les services de l'hôpital de Saint-Alban proposent leurs soins sur 1 secteur de psychiatrie adulte et un secteur enfant.

 

L'arrêté du 16 février 1973 porte la formation des I.S.P. (infirmiers de secteur psychiatrique) à 28 mois, c’est à dire 2 ans et 4 mois (dont 1580 heures de théorie). Elle intègre les nouvelles notions qui sont apparues sur le terrain (désaliénisme, secteurs de psychiatrie, thérapies découlant des théories psychanalytiques). L’infirmier en soins généraux et l’infirmier de secteur psychiatrique ont une formation de durée équivalente. Mais le contenu des études diffère profondément. "La formation des infirmiers psychiatriques reste différente des autres formations infirmières et l’exercice est restreint aux établissements psychiatriques et ne comporte que très peu de passerelles vers un autre secteur. Les membres du service infirmier y sont salariés et exercent soit en établissement, soit sur un secteur psychiatrique" relève le Dr V. Noireaud en 1982.

 

Saint-Alban: le directeur de l'hôpital Yves Racine vient d'obtenir du ministère de la santé un budget pour la construction de 2 nouveaux pavillons. "Il engage les travaux non pas pour 2, mais pour 4 services, qui très logiquement ne seront construits chacun que sur une moitié" (Marcel Béteille, juin 2007). Invité à l'inauguration des 4 demi-pavillons, le préfet, furieux, est mis devant le fait accompli, car personne au sein de l'hôpital ni dans le village n'a éventé la supercherie. L'état se voit contraint de doubler le budget initial pour financer la fin des travaux. Ce seront finalement 4 nouveaux bâtiments qui verront le jour à l'hôpital de Saint-Alban.

 

Les services du même ministère insistent auprès du Dr Yves Racine, médecin-directeur pour quelques mois encore, afin qu'il réserve les repas thérapeutiques "aux seuls soignants", n'incluant dans ces termes que les infirmiers. Partant du principe que tout l'entourage du patient fait partie des soins, Yves Racine tient bon et maintient la gratuité des repas pour tout le personnel, qu'il soit 'soignant' ou administratif, mais également les ouvriers, les familles présentes, les stagiaires... Le partage et la convivialité sont recherchés, le collectif est thérapeutique et tout le monde mange ensemble.

 

Chacun entretient la solidarité et la confiance, à l'hôpital comme à l'extérieur. "À l’époque", se souvient Marcel Béteille, "si le directeur, un psychiatre ou un surveillant me voyaient en ville sur le temps du boulot, il ne leur venait pas à l’idée de me demander ce que je faisais là. Tout se passait dans la confiance. Si j’étais là, c’est forcément que ma présence n’était pas nécessaire à l’hôpital".

 

Yves Racine est remplacé à la direction de l'hôpital par un administratif non-médecin, après un très court intérim de Janine Camplo, dernier médecin-directeur de Saint-Alban.

 

L'arrêté du 26 avril 1979 augmente les temps de formation des infirmiers IDE et ISP de 5 mois. Il faut désormais à ces derniers 3 ans d’étude axée sur la psychiatrie (33 mois de cours, de stages et d'examens, auxquels s’ajoutent les congés d'été) avant d'être autorisés à passer le diplôme d’infirmière et d'infirmier de secteur psychiatrique. La formation a cette fois intégré les notions de groupe, de travail d’équipe et de collectif soignant, les théories sur les relations entre individus: le transfert et le contre-transfert, les défenses du Moi, la relation triangulaire, les thérapies systémiques… etc.

"L’enseignement est dispensé dans les établissements psychiatriques publics et assimilés, agréés par le ministre chargé de la santé. La scolarité est de trente-trois mois ou quatre mille six cents heures. On remarque que dès le premier module une part importante est accordée à l’étude des groupes et de la dynamique des groupes, les groupes humains:

L’infirmier doit pouvoir simultanément se préoccuper des troubles organiques de son malade, de ses troubles psychologiques et ne pas perdre de vue que ce malade est un être social (qu’il a une famille, un métier et qu’il faut renouer avec ce milieu dont il est pour le moment isolé)" (Dr V. Noireaud, 1982, p.48).

 

La nouvelle formation des infirmiers de secteur psychiatrique va entraîner une conséquence qui mérite ici d’être soulignée. Cette sensibilisation aux phénomènes transférentiels, ces travaux théoriques et pratiques sur les relations entre les individus vont permettre de construire un groupe de professionnels bien particulier. Toutes les paroles, tous les avis des soignants peuvent être émis, entendus, partagés et commentés, rendant possible une métabolisation du transfert et du contre-transfert. L’équipe pluridisciplinaire de psychiatrie est apte à fonctionner désormais comme un tout, plus efficace que la somme de ses membres.

 

Les idées nouvelles se sont répandues, accompagnant la mise en place des secteurs de psychiatrie en France. Mais le diplôme des ISP n'est toujours pas reconnu au niveau national. En effet, si le programme d’enseignement théorique des infirmiers de secteur psychiatrique est devenu uniforme pour l’ensemble des établissements français, l’examen final, qui est organisé par le directeur régional des affaires sanitaires et sociales, assure toujours la délivrance d’un diplôme régional.

 

Nombre d’infirmiers psychiatriques exerçant en France:

1970  …………....  33.106  ISP

1975  ……………  44.054  ISP

1977  ……………  49.143  ISP

 

"Il faut du personnel non seulement en nombre suffisant mais beaucoup plus, techniquement formé et ayant le goût de son métier, désireux de transformer radicalement l’ambiance asilaire. Comme les murs doivent éviter l’aspect de prison, de même l’infirmier doit éviter d’apparaître comme un gardien ou un geôlier" écrivait Jean OULES dans son livre page 50 (paru en 1960): "Soins aux malades mentaux, manuel de l’infirmier(e) psychiatrique spécialisé(e)".

 

Paradoxalement, le courant de psychothérapie institutionnelle commence à partir de cette époque à perdre un peu de son activité. De nouvelles méthodes, le redéploiement des soins donnés aux malades mentaux font que le nombre de patients décroît notablement durant la décennie. "Pour l’heure, la majorité des collègues psychiatres se tourne plus volontiers vers des procédures qui impliquent moins d’engagement et plus de facilité, ce qui permettra à certains d’annoncer dès le début des années 70 la fin de la psychothérapie institutionnelle" (J. Ayme, 1994).

 

Fin des années 1970 : l'état qui a porté plainte contre Yves Racine a fini par remporter son procès dans l'affaire des repas thérapeutiques, alors que ce dernier avait déjà pris ses fonctions à l'hôpital de 'Maison Blanche', ayant quitté Saint-Alban depuis 1972.

 

Cette décennie a vu la publication de plusieurs articles. Mais si quelques textes développent toujours l’institutionnel, le collectif ou l’équipe, d’autres se consacrent à l’infirmier en tant qu’individu, à sa formation, à son rôle:

F. Tosquelles est l’auteur de:

D’autre part, plusieurs livres sont parus, dont:

 

Années 1980

 

Reprise en main des décideurs politiques sur la psychiatrie en France: le ministère de la santé divise par deux le nombre des nouveaux psychiatres sortant de fac, puis annule la spécificité psychiatrique de leur internat. Parallèlement, il introduit des critères de rentabilité dans la gestion des services, et de la concurrence entre les hôpitaux; Celui de Saint-Alban, comme d'ailleurs tous les hôpitaux publics de France, doit intégrer une nouvelle composante: la loi du marché.

 

Les infirmiers de secteur psychiatrique sont désormais plus de 65.000, répartis dans toutes les structures de soins psychiatriques: hospitalisation complète ou partielle, pédo-psychiatrie, psychiatrie adulte et géronto-psychiatrie, services de crise, d’urgence, d’accueil ou d’écoute, psychiatrie de liaison, CMP, CATTP...

 

Une politique drastique de réduction des lits d’hospitalisation commence à être appliquée sur toute la France: 40.000 lits seront supprimés avant la fin de ce siècle.

"En supprimant des lits, on ne supprime pas le travail psychothérapique avec les patients au long cours, au contraire, on l’augmente. Comme la logique de la diminution du nombre des lits a été très bien récupérée par les décideurs pour faire des économies, ceux qui luttent contre les effets néfastes de cette diminution passent facilement pour des conservateurs anti-progrès" (P. Delion, 2001 p.18).

"Il ne faut pas fermer l’hôpital, il faut le soigner" met en garde François Tosquelles: "l’ouvrir vers le dedans, avant de l’ouvrir vers le dehors" (J. Oury, 2003 p.296).

 

La psychothérapie institutionnelle n'est plus porteuse du même espoir: la maladie mentale va désormais s'appréhender dans une approche essentiellement biologique, et les traitements seront de plus en plus souvent médicamenteux, comportementaux ou sociaux. Les notions de collectif, de travail de groupe, mais aussi d’équipe soignante commencent dès lors à s’effilocher. Encore une ou deux décennies et le patient se retrouvera de nouveau seul avec sa maladie.

 

L'hôpital de Saint-Alban se referme au fil des années. Ce n'est plus la vie au quotidien qui fait soin, et de moins en moins le relationnel. Les patients désertent petit à petit le village et ré-intègrent l'établissement, ses (nouveaux) murs et sa hiérarchie. La psychothérapie institutionnelle n'y est déjà plus appliquée.

 

Prenant à contre-pied ce déclin, et rebondissant sur une idée de Lucien Bonnafé, l'association culturelle institue en juin 1986 les "Rencontres de Saint-Alban". Sont invitées sur deux journées plusieurs équipes de soins, composées d'aides-soignants, infirmiers, psychologues, psychanalystes ou psychiatres venus de toute la France, et précisément ceux qui ont insufflé dans leur région une pratique de la psychothérapie institutionnelle. Une fois par an se retrouvent ainsi les principaux acteurs sur un des lieux de naissance du mouvement, en compagnie de patients et de soignants de divers horizons.

D'autres rencontres s'organisent aussi à Dax et Angers (décembre), Landernau, Marseille (octobre), Sarreguemines, Laragne ou Saint-Martin-de-Vignogoul. Elles ont en commun "une certaine qualité de la relation aux psychotiques et une conviction du caractère indissociable et interactif du traitement de chaque patient et du traitement de chaque institution" (J. Ayme, 1994).

 

Cette décennie a vu la publication de plusieurs articles. On y parle effectivement encore de psychothérapie institutionnelle et de Saint-Alban, mais c’est déjà un regard sur le passé. Par ailleurs, en ces temps de psychiatrie en crise, si l’infirmier est bien toujours perçu, ce n’est plus désormais qu’au singulier: pour avoir l’impression d’une équipe, on doit le conjuguer au pluriel!

Dans ces nouveaux groupes réunissant des professionnels pris séparément et vus au singulier, le tout est-il plus efficace que la somme des membres?

 

 

Années 1990

 

Au niveau international, et depuis plusieurs années déjà se met en place le D.S.M. (ou "Diagnostic and Statistical Manual"). A partir de sa 3ème version (DSM-3), le manuel se centre sur le seul symptôme: l'approche organiciste y est privilégiée au détriment des théories et pratiques héritées de la psychanalyse. La notion de maladie disparaît. On parle maintenant de troubles. Est-ce à dire, à l’instar de l’eau qui s’agite, que seule la surface peut être troublée? Et qu’il suffirait de laisser reposer le patient pour qu’il retrouve son calme?

 

Le mouvement s'était déjà amorcé "lorsque la folie s’est appelée maladie mentale: on n’a plus vu dans le sujet qu’une maladie à soigner, des symptômes à éradiquer", remarque Patrick Faugeras (juin 2007). Alors que "le symptôme n’est pas l’effet d’un seul, mais un effet institutionnel".

 

Chimiothérapie, comportementalisme, systémisme… "L’intérêt pour ces techniques s’inscrit dans une période où sont renvoyées aux poubelles de l’histoire les références à l’inconscient et à la lutte de classes. Elles ne menacent pas l’ordre établi ni l’équilibre réputé fragile des infirmiers" rappelle ironiquement Jean Ayme en 1994.

 

La psychothérapie institutionnelle modifie profondément et inéluctablement l’ambiance de travail au sein des équipes soignantes qui la pratiquent. "Le médecin-chef n’est plus le patron au sens archaïque du terme. A une logique monarchique se substitue une logique républicaine, qui n’est pas dans les traditions du milieu hospitalier, où le népotisme est en vigueur" (J. Ayme, 1994, p.11). Mais on ne remet pas en cause impunément et pendant plusieurs décennies les pouvoirs institués. Au niveau politique, la reprise en main est radicale. Si les années 80 ont vu la disparition de l’internat spécialisé pour les futurs psychiatres, en 1992 c’est au tour des infirmiers de secteur psychiatrique de disparaître, avec leurs 3 années de formation spécifique. La puissance publique "a ruiné l’enseignement des infirmiers qui, rappelons-le, avaient 3 ans de formation en psychiatrie avant 1992, et avant que l’idée totalement saugrenue ne soit venue, Europe oblige, de faire passer les infirmiers psychiatriques au tronc commun. Ils sont passés de 3 ans de formation à 1 mois" se désole Michaël Guyader, Chef de Service de Psychiatrie, membre du "Collectif des 39", sur l’antenne de 'France Culture' le 1er août 2011.

 

Héritière du mouvement de Psychothérapie Institutionnelle et de l’histoire du désaliénisme en France, cette formation unique au monde a été façonnée par la volonté, l’initiative et l’esprit de résistance de quelques psychiatres progressistes. Du jour au lendemain, près de 75.000 professionnels en exercice se retrouvent mis en cadre d’extinction. Durant 50 ans, l’infirmier de secteur psychiatrique fut en France un acteur silencieux d’une des plus grandes évolutions humanistes que la société ait connu. S’appuyant sur leur "savoir secret" (L. Bonnafé) et forts d’une réelle "convivance avec les malades" (G. Daumézon), ils ont à leur actif:

 

"Les infirmiers psychiatriques … ont été une des principales forces vives pour ces changements très profonds, la suppression de leur diplôme spécifique a été pour la psychiatrie dynamique un coup très dur" (P. Delion, 2001). Conséquences directes, les références psychanalytiques vont progressivement disparaître des discours médicaux et infirmiers, au sein d’équipes rajeunies mais de moins en moins sensibilisées. Que sont devenus ces soignants inspirés par la psychanalyse, "qui faisaient le pari pour leurs patients, de pouvoir s’appuyer avec eux sur leur partie saine pour combattre la partie malade"? (P. Delion, 2001, p.25).

 

La psychothérapie institutionnelle n’a jamais véritablement fait partie d’un projet gouvernemental. Elle n'existe que par la volonté, et sous l'autorité d'un médecin psychiatre motivé. "Il faut à cette technique psychiatrique une décision personnelle, un choix médical pour apparaître et s'épanouir, et lorsque le médecin quitte son poste, elle disparaît" (Michel Tosquelles, juin 2007). Sauf si le suivant décide de continuer! Quand dans un premier temps François Tosquelles, puis Roger Gentis et enfin Yves Racine sont partis de Saint-Alban, petit à petit la psychothérapie institutionnelle s'est repliée, et les patients ont été de moins en moins vus dans le village.

 

Le traumatisme des années 1939-1945 sous le régime de Vichy et l'occupation Nazie s'est progressivement atténué dans les consciences: la résistance à l'ordre établi, la recherche d'une vie communautaire ou plus généralement la solidarité héritée de la résistance ne fédèrent plus comme durant les décennies qui ont suivi la libération.

L’heure est à l’individualisme, la notion d’équipe a perdu de sa substance et le recours aux seuls traitements médicamenteux s’est imposé dans les soins, de manière hégémonique.

 

Comme au début du siècle, le malade mental va se retrouver de nouveau seul. Isolé, il pourra bientôt être montré du doigt, stigmatisé par l’opinion, les médias. "Tout le monde est d’accord en désignant autrui comme déficitaire", mettait déjà en garde Hélène Chaigneau dans les années 80 (Lise Gaignard, décembre 2010). Jean Oury n’exprime pas autre chose quand il lance: "les connards, c’est toujours ceux du bureau d’à côté".

 

Depuis une vingtaine d’années, un lent mais profond changement s’est opéré dans le fonctionnement de beaucoup d’équipes de soins. Canalisant les communications, contraignant et orientant les échanges entre les professionnels, un rapport de plus en plus hiérarchisé s’est imposé aux infirmiers. Si l’information remonte d’en bas, les décisions se prennent d’en haut. Il n’y a donc plus grand-chose à partager ou à échanger en réunion, et les poubelles de l’histoire, assurément bien vastes, ont fini par recycler Félix Guattari et la transversalité. Par définition, cette méthode alternative et subversive pouvait être contrariante. Faut-il en déduire qu’à l'aube du 21ème siècle, il n’est plus possible de se mettre en travers?

 

En 1999, Saint-Alban recense 1600 habitants. Son hôpital psychiatrique ressemble désormais à la majorité des Centres Hospitaliers Spécialisés de France. 140 patients sont accueillis entre ses murs.

 

 

Années 2000

 

Remplaçant progressivement les départs à la retraite de leurs aînés vieillissant, les infirmiers nouvellement formés se sont retrouvés de plus en plus nombreux au sein des équipes psychiatriques. A compter de cette décennie, ils seront majoritaires dans les structures de soins. Dès lors, "les personnels infirmiers sont mis en face de malades dont on a à peine évoqué l’existence durant leur cursus de formation. Il faut des mois et des années pour savoir repérer des signes d’angoisse de dépersonnalisation, trouver les gestes qui enserrent et rassurent, disposer des mots qui soulagent. Aujourd’hui, cette clinique de la relation au quotidien n’est plus le fait que de certains vieux infirmiers qui partent à la retraite sans que leur soient donnés les moyens de la transmission" (Bernard Durand, président de la FASM Croix-marine, 20 mai 2010). La transmission des savoirs entre les générations d’infirmiers n’a été ni anticipée, ni accompagnée par les décideurs et les formateurs de l’époque. Ils n’en ont tout simplement pas évalué la nécessité. Tout n’était pour eux qu’une question d’expérience à acquérir: le travail en commun dans les services devait y suffire! Mais dans ces services de psychiatrie, la confrontation aux situations de terrain présuppose des acquis cliniques et psychopathologiques que les nouveaux infirmiers n'ont pas.

La transmission des savoirs n'a pas été possible parce que beaucoup de professionnels paramédicaux -des deux formations IDE et ISP- n’ont pas su, n’ont pas pu ou n’ont pas voulu reconnaître l’existence d’un savoir infirmier à transmettre. Peut-être était-il trop difficile d’accepter une relation 'enseignant/enseigné' vis-à-vis de collègues de travail. Quoi qu'il en soit, cela a révélé l’absence d’une reconnaissance et d’une acceptation réciproques des compétences et des spécificités.

 

Le gouvernement français reconnaît la gravité de la situation. Au cours de la décennie, plusieurs innovations vont tenter de corriger les conséquences, dramatiques pour les patients, des erreurs du passé.

 

10 juillet 2003: une circulaire à "application immédiate" paraît, qui porte sur le "renforcement de la formation des infirmiers destinés à exercer dans le secteur psychiatrique". Dès 2004, pour compenser le manque de formation théorique tout en sensibilisant les infirmiers au travail d'équipe, le ministère de la santé introduit des "modules de consolidation et d'intégration des savoirs". Rien n'est modifié au niveau des cours donnés aux élèves, mais un budget annuel est alloué par contre à leurs futurs employeurs. Le soignant nouvellement formé et intégrant la psychiatrie devra suivre 15 jours échelonnés d'une formation spécifique qui aborde enfin les notions psychiatriques de base.

 

12 février 2005: par-delà le groupe, c’est la notion de solidarité qui transparaît dans une loi française reconnaissant le statut d’handicapé psychique. Elle propose un dispositif associatif pour permettre aux personnes souffrant de pathologies psychiatriques de se rassembler, au sein des GEM, 'Groupes d’Entraide Mutuelle'. Claude Finkelstein, présidente de la FNAP-Psy, écrit en 2007: "Les GEM, une réponse à la solitude, le moyen de la dignité par l’entraide et la solidarité". Cette fois c'est du côté de la société civile que semble venir l'espoir pour les patients. Est-il permis d'espérer en un sursaut de solidarité publique?

 

16 janvier 2006: afin de rétablir une transmission inter-générationnelle des savoirs et des savoir-faire professionnels, les décideurs politiques concrétisent par une circulaire la mise en place d'un "tutorat infirmier" pour la psychiatrie. Les nouveaux soignants qui arrivent dans une équipe seront désormais obligatoirement encadrés toute une année par un collègue plus expérimenté.

 

Parallèlement se mettent en place des formations qualifiantes et/ou diplômantes. Réservées en priorité aux soignants récemment formés qui en font la demande, elles sont prises en charge par l'employeur dans le cadre de la formation continue. Les formations peuvent durer:

Tous ces programmes de 'formation continue' ont repris en les actualisant d'anciens cours pour ISP. Ils ré-injectent goutte à goutte et au sein des équipes, un savoir infirmier très souvent découpé en fonction de symptômes-patients et de protocoles soignants.

 

La psychothérapie institutionnelle avait elle aussi totalement disparu des formations infirmières depuis la réforme de 1992. Elle fait sa (timide) réapparition chez les professionnels paramédicaux français par le biais de ces formations continues et qualifiantes qui permettent d'obtenir un Diplôme Universitaire (ou DU). Les modules proposent un enseignement théorique et pratique dispensé sur 2 ans à Lille (faculté de médecine Henri-Warembourg) et à Paris (université Paris-Diderot).

 

 

Années à venir

 

Toutes ces formations universitaires anticipent et participent à l'orientation prise en 2009-2010 dans le cadre de la réforme LMD (Licence Master Doctorat): Les IFSI (Instituts de Formation en Soins Infirmiers) sont engagés dans un processus de rapprochement avec les universités. Le nouveau diplôme d'état infirmier, reconnu par ces universités, aura le grade de licence en 2012.

 

Est-ce que cela autorisera la réhabilitation des idées psychanalytiques en France? L'avenir le dira. Chaque année, quelques (trop rares) professionnels peuvent suivre un stage de formation continue. Cela s'ajoute au tutorat et aux modules de consolidation des savoirs, destinés quant à eux à tous les nouveaux infirmiers psychiatriques. Est-ce que l'ensemble de ces mesures a inversé le "processus de destruction" de la psychiatrie que Jean Oury dénonçait à la fin du siècle dernier? Bernard Durand, président de la FASM Croix-marine observe en mai 2010: "les professionnels récemment formés sont démunis et vivent dans la crainte d’une violence qu’ils redoutent, leur propre inquiétude n’ayant pour effet que de faciliter la montée de l’angoisse chez les patients, qui prélude aux réactions agressives et violentes. Ce véritable cercle vicieux conduit au fait qu’on n’a jamais autant utilisé les prescriptions de contention et les chambres d’isolement qu’aujourd’hui".

 

Mais le renouveau dans le domaine de la formation infirmière et des thérapeutiques institutionnelles peut aussi venir de l’étranger. Il n’y aurait là rien d’étonnant, car il faut se souvenir que "c’est sur des outils venus d’autres horizons, à savoir la dynamique de groupe, arrivée au lendemain de la guerre dans les cartons des alliés, que s’est appuyée la psychothérapie institutionnelle lorsqu’elle a pris son essor dans les années 40", précise Nicolas Henckes en août 2011. N'est-il pas intéressant d'observer qu'en 2012, la 26ème Journée 'Nationale' de Psychothérapie Institutionnelle s'est tenue au cœur de l'Europe, à Bruxelles présisément?

 

François Tosquelles, malade et proche de la mort, assurait déjà en 1994: "je reste convaincu que tant qu’il y a des hommes à la surface du monde, quelque chose de leur démarche reste acquis, se transmet, disparaît parfois, mais aussi resurgit quoi qu’il en soit de catastrophes mortifères qui nous assaillent souvent. Comme on le sait, cette résurgence prend le plus souvent des formes nouvelles qui s’actualisent entre nous dans les enjeux du transfert" (Michel Minard et Alain Castera, 1994).

 

"Le meilleur antidépresseur, c'est l'autre" (Boris Cyrulnik, 2009). Et c’est grâce aux liens tissés entre les gens à travers une solidarité admise et encouragée, qu’une prise en charge soignante peut se faire. Ainsi, dans sa description en 2011 d’un groupe de parole, Dominique Friard, infirmier de secteur psychiatrique, nous rappelle cette notion importante: "les participants, tout malades qu’ils soient ne diffèrent guère du Français moyen, à la nuance près que ça bouillonne dans leur tête et que ce bouillon, cette vapeur prend par la vertu de l’échange collectif, du travail en commun, le nom d’une maladie qui se manifeste par des symptômes qu’il est possible parfois de réguler" (D. Friard, 2011, p.23).

 

Et plus loin, page 26, il précise que "chaque patient peut s’appuyer sur l’entité particulière du groupe qui est non seulement un laboratoire de recherche mais également un groupe d’entraide dans lequel le symptôme n’appartient plus uniquement à une personne mais se partage dans la recherche des solutions individuelles, exprimées dans une relation à l’autre, ou plutôt à plusieurs autres vivant une expérience similaire. Le symptôme n’est plus ce qui sépare des autres mais ce qui le temps d’un groupe rassemble. Le témoignage individuel ne sert plus à stigmatiser un patient particulier mais à enrichir le groupe qui devient dépositaire du savoir vécu de ce dernier".

 

L'histoire montre que pour se protéger et lutter efficacement face à l'adversité, des solidarités doivent se créer ou se recréer entre les individus. Cela se vérifie à l'hôpital pour le patient angoissé trouvant protection et soutien dans ce groupe de parole, précisément institué pour rassembler, échanger et faire partager. La même chose s'observe en ville au sein des GEM qui accueillent et réconfortent les personnes souffrant de troubles psychiques. Il y a plusieurs décennies déjà et dans des circonstances autrement dramatiques, la psychothérapie institutionnelle a su protéger les patients de toute une commune, puis de tout un département. Dans tous ces exemples, les solidarités sont apparues pour protéger et prendre soin: elles ont pu s'exprimer au sein d'institutions rassembleuses, volontairement humanistes, suffisamment protectrices, susceptibles également de s'ouvrir à l'amitié et à l'humour.

 

"A côté d’une certaine psychiatrie officielle truffée de DSM, d’échelles quantitatives et de protocoles…/… des solidarités indéniables se développent entre associations, qu’elles appartiennent au champ sanitaire ou au champ médico-social, mais aussi avec les GEM gérés par les usagers. Ce sont ces solidarités, s’inscrivant dans des démarches militantes nouvelles, qui pérennisent la dimension humaniste de l’accueil de personnes confrontées à des troubles psychiques" (Bernard Durand, président de la FASM, août 2011).

 

 

 

 

Entre les murs de l’hôpital psychiatrique de Saint Alban existe un vieux cimetière. Ses cyprès vieillissants ont été arrachés, les croix de bois ont disparu, rongées par les intempéries.

Y sont enterrés des religieuses, quelques maquisards… et des centaines de fous anonymes, parias honteux jusque dans la mort.

A côté des deux parents de François Tosquelles, décédés lors d’un séjour chez leur fils, est gravé un poème de Paul Eluard.

Hébergé à l’asile de Saint Alban, il l’écrivit en 1943.

Le cimetière des fous

 

Ce cimetière enfanté par la lune
Entre deux vagues de ciel noir
Ce cimetière archipel de mémoire
Vit de vents fous et d'esprit en ruine

 

Trois cents tombeaux réglés de terre nue
Pour trois cents morts masqués de terre
Des croix sans nom corps du mystère
La terre éteinte et l'homme disparu

 

Les inconnus sont sortis de prison
Coiffés d'absence et déchaussés

 

N'ayant plus rien à espérer
Les inconnus sont morts dans la prison

 

Leur cimetière est un lieu sans raison

 

 

 

 

- Novembre 2011 -

Mr Dominique Giffard,

Infirmier de Secteur Psychiatrique.

 

 

 

 

 

 

 

  1. 1980, "Fleury-les-Aubrais 1948 : les Ceméa s’engagent dans le champ de la Santé mentale" de Germaine le Guillant  (ré-édition dans V.S.T. n°72, oct. 2001);

  2. 1982, "La formation des infirmiers en psychiatrie", mémoire de psychiatrie, Dr V. Noireaud, (thèse soutenue en Franche-Comté, non-publiée);

  3. 1994, "Actualités de la psychothérapie institutionnelle", ouvrage collectif sous la direction de Pierre Delion, Ed. Matrice, Vigneux.

    1. Michel Minard et Alain Castera: "la psychothérapie institutionnelle est-elle morte et enterrée?", p.285;

    2. Jean Ayme: "Essai sur l'histoire de la psychothérapie institutionnelle", (visible également sur http://www.euro-psy.org/site/La_Borde.html);

  4. 1998, le 27 juin: "Portrait de Jean Oury", par Eric Favereau, journal 'Libération';

  5. 2001, "Thérapeutiques institutionnelles" de Pierre Delion, dans l’Encyclopédie Médico-chirurgicale Psychiatrie, 37-930-G-10, 2001 (visible également sur http://www.revue-institutions.com/, dossier "Articles");

  6. 2003, "A quelle heure passe le train, conversations sur la folie" de Jean Oury et Marie Depussé (Calmann-Levy);

  7. 2005, "Roger Gentis, un psychiatre dans le siècle" de Patrick Faugeras (Éditions Érès);

  8. Janvier 2007, "Pratiques en Santé Mentale". Article de Patrick Alary et Claude Finkelstein "Les GEM, une réponse à la solitude, le moyen de la dignité par l’entraide et la solidarité";

  9. 2007, "Agir en Santé Mentale", plaquette d’information de la FASM Croix-marine;

  10. Les 15 et 16 juin 2007, les 22èmes 'Rencontres de Saint-Alban': discussions informelles avec Jean Ayme, Michèle et Marcel Béteille, J. Pierre Boulhol, Michel Tosquelles; Interventions de P. Delion, P. Faugeras, M. Minard et J. Oury;

  11. 2009, le 10 décembre: "Le meilleur antidépresseur, c'est l'autre", propos de Boris Cyrulnik recueillis par J.M. Décugis, C. Labbé et O. Recasens, journal 'Le Point' n° 1943 (p.76);

  12. Le 20 mai 2010, "Est-il encore possible d’arrêter la destruction de la psychiatrie?", article de Bernard Durand, Président de la FASM Croix-marine, (texte visible sur Médiapart.fr);

  13. Le 14 décembre 2010, "Autismes, Psychoses et Existence. Le travail avec les personnes réputées déficitaires: défenses collectives et maltraitance". Lise Gaignard, Docteur en psychologie du travail, conférence organisée par la FASM à Tours;

  14. Mai 2011, "Pratiques en Santé Mentale". Article de Dominique Friard p.23 ("Ça bouillonne dans les boyaux de la tête");

  15. Le 1er août 2011, "Réforme de la psychiatrie: vers une banalisation de la contrainte?", débat avec Michaël Guyader, Chef de Service du 8ème secteur de Psychiatrie Générale de l’Essonne, membre du "Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire". Émission "Contre-Expertise" sur 'France Culture', 18h.15 à 19h.00;

  16. Août 2011, "Pratiques en Santé Mentale".

    1. Éditorial de Bernard Durand : "Militance et santé mentale" p.1;

    2. Article de Nicolas Henckes : "Soigner pour changer la psychiatrie. Réflexions sur la ‘psychiatrie militante’ de l’après 1945", p.10;

  17. Octobre 2011, "Institutions, Revue de Psychothérapie Institutionnelle" n°48: "Transmission". Le présent texte a été construit en reprenant pour base l'article p.73 intitulé "Saint-Alban, lieu de psychothérapie institutionnelle", écrit en 2007 par l'auteur;

  18. Office de tourisme, plaquette d’information du syndicat d’initiative: rue de l’hôpital, 48120 Saint-Alban-sur-Limagnole. Contact: ot.stalban@wanadoo.fr ou tel: 04.06.31.57.01;

  19. Association culturelle du personnel de Saint-Alban: Centre Hospitalier F. Tosquelles, 48120 St-Alban-sur-Limagnole. Contact: assoculturelle@chft.fr ou tel: 04.66.42.55.55. Sa présidente Mme Claverie, son ancien président Mr Béteille;

  20. Site Internet: http://psychiatriinfirmiere.free.fr/formation/infirmier/psychiatrie/infirmier-secteur-psychiatrique.htm;

  21. Site Internet: http://aufonddubois.midiblogs.com/archive/2009/11/08/le-cimetiere-des-fous.html.

 

 

 

 

 

 

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MAJ 24.06.16