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"le meilleur antidépresseur, c'est l'autre"
propos recueillis de Boris Cyrulnik
Le Point n° 1943 (p.76), article du 10 décembre 2009.
"Notre société est devenue une fabrique de dépressifs, pour le plus grand bonheur des firmes pharmaceutiques", affirme Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et père de la "résilience".
"Le psychotrope, c'est le pompier que l'on fait intervenir pour éteindre l'incendie mental. Aujourd'hui, on l'appelle pour le moindre feu de brindille. Encouragé par les laboratoires pharmaceutiques, on a médicalisé le mal-être. On nous a fait croire que les angoisses existentielles auxquelles personne n'échappe doivent être traitées par des médicaments. On tranquillise chimiquement.
Pour les dépressions sévères, les médicaments sont indispensables. Le problème, c'est que l'on prescrit aussi des psychotropes à des gens qui n'en ont pas besoin. Ces médicaments ne soignent pas, ils soulagent un peu, comme la morphine apaise les cancéreux sans les guérir. Il faut donc expliquer aux patients que cela ne va pas faire disparaître leur problème, mais les aider à moins souffrir. Il ne faut pas nier cette souffrance d'un patient dépressif.
Autrefois, certains vieux paysans qui restaient dans des villages vidés par l'exode rural faisaient des catatonies anxieuses: ils se raidissaient au point de devenir rigides comme des bouts de bois, leurs pieds gonflaient et devenaient énormes. C'était une réaction physique au sentiment d'abandon. Aujourd'hui, on leur donnerait un psychotrope qui leur redonnerait la force de vivre. Notre société a le culte du médicament. Avec les psychotropes, médecins et patients veulent croire au miracle. Vous êtes mal, voici du 'Prozac'. Avec à la clé le risque d'en faire consommer abusivement.
Dans les sociétés où la solidarité demeure une valeur culturelle, lorsqu'une personne est victime d'une dépression, on fait venir le Chaman qui réunit le village. Le groupe fait corps autour de celui qui souffre, donne un sens à sa souffrance, le sécurise. Dans notre société où l'on a donné des coups de ciseaux au lien social, l'individu est seul, il n'a plus d'épaule sur laquelle s'appuyer. S'il n'est pas assez performant physiquement ou mentalement, il n'existe plus, il est rejeté par le groupe comme un pestiféré. Cela suscite beaucoup d'angoisse. Le coup de blues, le manque d'assurance ou une grande timidité sont vécus comme des handicaps insupportables. Les psychotropes sont devenus des béquilles qui permettent d'avancer au même rythme que les autres.
Les découvertes récentes en neurobiologie montrent qu'établir une relation amicale avec quelqu'un favorise la sécrétion de beaucoup de neuromédiateurs euphorisants. C'est également le cas de l'activité physique. Beaucoup de mes patients ont arrêté leurs somnifères après s'être inscrits dans un groupe de marche. Parler aux autres, aller au cinéma, avoir une alimentation équilibrée ou faire du sport peuvent souvent remplacer les antidépresseurs, abusivement prescrits. La solidarité affective fait psychothérapie. Le corps médical voit trop souvent le médicament comme la baguette magique. La vérité est que la relation sociale guérit plus vite et plus sûrement. Même quand les psychotropes sont nécessaires, ils ne sont pas suffisants".
- Propos de Boris Cyrulnik recueillis par J.M. Décugis, C. Labbé et O. Recasens -
Consultez aussi :
l'article de 2004 du Dr E. Zarifian sur la psychiatrie neuro-biologique "voir le cerveau penser est une métaphore poétique";
l'article de "Sciences et Avenir" en août 2006: "les psychotropes sont mal utilisés en France";
la lettre de Pierre Paresys "en diminuant la solidarité, on augmente le coût global", septembre 2006;
l'article de J. P. Ortiz révélant en 2007 le "coût de la santé aux USA";
et tous les articles du dossier "articles de presse".
Compléments d'informations (textes ayant pour thème "l'infirmier, la formation et la psychiatrie")
"Programmes officiels de formation infirmière en psychiatrie", formation ISP (1979-1992), consolidation des savoirs (2003) et tutorat (2006);
"Guide du service infirmier en psychiatrie", Ministère des affaires sociales et de la solidarité, Direction des hôpitaux, 1991;
"Charte de formation pour des infirmiers en psychiatrie et santé mentale", 4èmes assises Nales des infirmiers en psychiatrie, décembre 1995;
"Spécificité des soins infirmiers en hôpital psychiatrique", 'Soins Psychiatrie', février 1998;
"Il était une fois les infirmiers de secteur psychiatrique", 'Soins Psychiatrie', septembre 2001;
"Charte de l'exercice infirmier en psychiatrie et en santé mentale", 7èmes assises Nales des infirmiers en psychiatrie, novembre 2005;
"Du nous au je, la posture de l'infirmier en psychiatrie", 'Informations Sociales', janvier 2008;
"Promotion d'un soin relationnel infirmier en psychiatrie", perspectives psy, juillet-septembre 2010;
"L'infirmier de secteur psychiatrique, notions et repères", psychiatrie infirmière, septembre 2011.
Sur les conséquences d'une formation unique infirmière imposée à la psychiatrie par le gouvernement de 1992,
et la suppression des centres de formation spécifique, consulter ci-dessous:
le dossier détaillant les graves insuffisances de la "formation unique infirmière";
la circulaire gouvernementale du 10 juillet 2003 qui révèle l'absence de formation psychiatrique au sein des IFSI;
l'émission sur 'France Culture' en août 2011 dénonçant comme conséquences une "banalisation de la contrainte en psychiatrie".
Références d'articles ayant pour thème "la participation des infirmiers à la psychothérapie".
Liens utiles:
psychothérapie institutionnelle; la psychiatrie avant le désaliénisme; charte des droits du patient en psychiatrie; |
Boris Cyrulnik, journal 'Le Point' n°1943 p.76 Interview parue le 10 décembre 2009, et reproduite sur "Psychiatrie Infirmière" |
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