soin relationnel infirmier en psychiatrie et sante mentale  - texte de Mr Dominique Giffard -

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PROMOTION D'UN SOIN RELATIONNEL INFIRMIER EN PSYCHIATRIE

 

... Ou comment redonner son sens soignant à la parole infirmière.

L'article ci-dessous est un résumé d'une version intégrale parue dans la revue "Perspectives Psy", vol. 49 n°3, juil-sept 2010.

Un extrait a été publié par l'ACN en octobre 2010 dans "info nursing" n°156.



Contexte

 

 

Le changement d'orientation date du milieu des années 1980, mais cela est apparu en pleine lumière au début des années 1990: en France, sous prétexte d'économies et d'Europe, plusieurs décisions politiques catastrophiques pour la santé ont entraîné la destruction des soins relationnels en psychiatrie publique. Se fiant aveuglément à la vision simpliste et réductrice véhiculée -entre autres moyens- par le DSM-3, des décideurs incompétents ont saccagé les formations psychiatriques des professionnels, leur refusant l'assimilation des théories analytiques et de ses approches thérapeutiques spécifiques. En faisant cela ils ont ouvert la voie, accompagné puis favorisé l’implantation des lobbies pharmaceutiques au cœur des lieux de soins comme des instances décisionnelles.

Parallèlement a été programmée la suppression régulière des lits d'hospitalisation et des personnels qualifiés.

 

Ayant interrompu la formation d'infirmiers de secteur psychiatrique, ils tentent désormais de réduire l'offre publique de soin aux seuls traitements médicamenteux ou par électrochoc. La politique gestionnaire puis sécuritaire qu'ils mettent en place depuis 20 ans étouffe consciencieusement tout projet thérapeutique relationnel, quand elle ne stigmatise pas ouvertement la maladie mentale et les malades.

 

La Psychiatrie Française est en danger (voir le communiqué des CEMEA). A la notion de soin, à laquelle ils ne croient plus vraiment, les responsables politiques récents et actuels ont substitué (et non adjoint, comme la sectorisation psychiatrique l'aurait voulu) celle de resocialisation, de réhabilitation et de réadaptation au monde du travail. Ils viennent de rajouter dans une même logique l’enfermement sécuritaire. Mais en supprimant les formations et les lits puis en stigmatisant la folie, ils n'ont supprimé ni la maladie, ni la souffrance, ni les malades. Ils ont seulement rendu plus difficile l’approche soignante!

 

Nous sommes entrés dans un contexte généralisé de méconnaissance des réalités psychiatriques, de fermetures de lits et de services, de réduction d'effectifs soignants, d'entraves au soin pour cause de protocoles absurdes. Face à une politique irresponsable, décidée sans concertation et appliquée de manière agressive, il existe des moyens pour résister aux protocoles aseptisés, pour redonner du lien au cœur des démarches soignantes.


Introduction au soin infirmier

 

 

La politique française de santé mentale les concerne douloureusement et directement; les professionnels infirmiers ont donc leur mot à dire. Pour redonner son sens à l’approche soignante en psychiatrie, les professionnels infirmiers ont même des mots à dire: des mots soignants.

 

Parce qu’elle s’inspire fondamentalement des théories freudiennes et lacaniennes, l’approche relationnelle infirmière pose en préalable la singularité de la personne soignée, et sa capacité à s'exprimer en tant qu'être humain. Se référant aux expériences de l'hôpital spécialisé de St Alban, de l'école de Maud Mannoni à Bonneuil ou encore de la structure Santé Mentale et Communauté à Villeurbanne, le soin relationnel infirmier s'appuie sur l'échange verbal, la discussion thérapeutique et l'ouverture à l’autre. Il préserve ainsi l’aspect humain d'un soin psychiatrique du quotidien.

 

Pierre Delion:(1) "la psychiatrie est une branche de la médecine qui prend la responsabilité de traiter les maladies mentales. Mais dans cette discipline, plus encore que dans les autres, la personne qui porte les symptômes psychiatriques doit être prise en considération et accueillie avec la plus grande attention: il s’agit donc d’une médecine de l’humain.
L’importance de l’humain est en rapport direct avec le fait que souvent la rencontre avec le malade mental se produit au moment le moins propice à sa reconnaissance en tant qu’autrui, puisqu’il vient au contact du psychiatre et de son équipe à un moment de décompensation (dépression, suicide, délire, passage-à-l’acte, manifestations inhabituelles, bizarres, étranges, retrait). Il y a donc lieu de travailler une fonction d’accueil qui permette une rencontre avec cet autrui en déshérence psychopathologique. Cette ambiance accueillante sera déterminante pour approcher le patient, pour entrer en contact et faire connaissance avec lui dans le temps et dans l’espace".



Maintien du lien et mise à distance

 

En maintenant le contact, la parole autorise la mise à distance. Elle participe ainsi à la reconnaissance de la personne en tant que sujet autonome, apte à entretenir des relations avec son entourage.

 

La parole a aussi un pouvoir contenant et de pare-excitation. En créant et en enrichissant les échanges entre les individus, elle autorise l’expression du ressenti et des élans pulsionnels. Dans le même temps, elle permet à l’auditeur de les recevoir.

 

Ces aspects de la parole trouvent, dans le soin infirmier hospitalier et extra-hospitalier une incidence directe tant au niveau des instances particulières de la thérapie (entretiens ou activités) qu’au niveau de la vie quotidienne, partagée par l’équipe soignante et les patients (accueil, discussions, accompagnements, repas…).


La parole participe pleinement au soin des patients

 

Quand l'infirmier reconnaît la possibilité profondément soignante de la parole, qu'elle soit parole échangée, donnée, reçue, ou simplement permise... quand il lui re-connaît son pouvoir thérapeutique, alors la parole re-devient soignante. Elle acquiert un sens. C'est cet outil relationnel qui fait de l'infirmier psychiatrique un ‘soignant de la relation’.

 

R. Menahem(2): "La fonction essentielle de cet instrument qu’est une langue est celle de communication. Toutefois les langues ont également deux fonctions secondaires, l’une de servir de support à la pensée, et l’autre d’être un moyen d’expression… Mais, bien avant de servir à communiquer, le langage sert à vivre".

 

 

Pratique soignante 

 

 

La parole permet de contenir

 

L’hôpital doit être vécu par le patient hospitalisé comme un lieu sécurisant, capable de lui donner les moyens de ‘vivre-avec’ (et non ‘vivre-par’) son handicap. L’infirmier psychiatrique devra établir ici, au niveau verbal, des relations de soin propices à l’établissement d’une ‘aire sécurisante’ et rester disponible, à l’écoute du discours des patients, les rassurant ainsi par sa présence et sa disponibilité. Notons qu’écouter le patient c’est le reconnaître en tant que sujet de son discours. Un écueil menace en effet toute approche trop ‘maternante’.

 

M. Sassolas(3): "un fonctionnement trop maternant qui, en protégeant sans cesse le patient contre toute émergence de conflit et d’angoisse (au niveau de la vie quotidienne par exemple) ne lui permet pas de s’exprimer en tant que sujet désirant et conflictuel en face des soignants, des autres patients et du monde extérieur… le disqualifie en tant que sujet".

 

Remarquons qu’au quotidien, l’infirmier exerçant en psychiatrie pourra participer à la reconnaissance du patient en tant que sujet à travers par exemple des remarques telles que "avez-vous bien mangé? Avez-vous bien dormi? Qu'avez-vous pensé de ce film?"... etc.

 

 

Fonction de pare-excitation

 

Un objectif de soin sera de faire reconnaître au patient les angoisses qui l’assaillent en les lui nommant. Savoir soi-même gérer l’angoisse que le patient provoque est thérapeutique car on lui communique, par la parole, à la fois le calme et la manière d’y parvenir. Aussi l’équipe devra t’elle préserver sa capacité d’écouter l’agressivité, de recevoir en elle-même les violences et les expressions des angoisses. Cet aspect de pare-excitation permet au patient de se ‘vider’ de ses transports agressifs, de communiquer et de recevoir en retour une élaboration de ses affects.

 

 

Repères dans l’espace et le temps

 

La parole sert à la localisation dans l’espace. Elle permet en effet de préciser l’emplacement des différents lieux usuels auprès des personnes démentes, désorientées ou tout simplement nouvelles dans la structure.

 

La parole sert aussi à se situer dans le temps: on retiendra ainsi son aspect de repères dans le quotidien, que ce soit au niveau des entretiens infirmiers, des informations transmises, des rappels de l'heure pour les activités ou simplement du "bonjour" du matin.

 

 

Décharge des pulsions

 

Notons qu’un des aspects essentiels du langage est la décharge des pulsions. "Le langage permet d’exprimer les mouvements pulsionnels. Dans ma perspective, cela correspond à la fonction primordiale du langage…", nous dit R. Menahem(2).

 

 

La parole sert de tiers

 

Afin d’éviter toute relation de fascination ou de rejet, l’équipe pluridisciplinaire a un rôle de référence à tenir, en tant que tiers, face aux relations duelles soignant/soigné que les prises en charge peuvent par ailleurs fortement induire.

 

M. Sassolas: "en effet, tout ce qui est fait en commun par les soignants et les patients risque toujours, si l’on n’y prend garde, d’être l’occasion pour eux de dénier ce qui fait problème entre eux et nous, c’est-à-dire justement cette spécificité, cette différence. L’objectif est de créer une situation de soins rendant tolérable et dynamisante cette différence, non de l’escamoter. La nier serait s’engager sur le chemin dangereux d’une illusion qu’un jour ou l’autre la vie viendrait douloureusement démentir: nous ne sommes ni les parents, ni les frères, ni les conjoints de nos patients. Illusion d’autant plus nocive qu’elle fait écho à cet autre déni présent dans la tête de ces patients, celui de la double pierre angulaire de toute réalité humaine: la différence des générations et la différence des sexes".

 

La parole sera ici un des vecteurs séparateurs, et donc réparateurs, autant par les questions et remarques posées à l’infirmier sur sa prise en charge –M. Mannoni(4): "L’autre, le tiers, vient offrir quelque chose qui n’a rien à voir avec l’action du moment et fait rupture, ce qui est le contraire de faire arbitrage. L’issue est toujours dans le tiers, dans quelqu’un d’extérieur, dans la parole…"–, que par les réponses fournies par lui à l’équipe.

 

Il y a en effet dans le ‘rendre-compte’ une distanciation par rapport à l’objet du discours, en l’occurrence le patient. M. Sassolas(5): "ce tiers a pour effet de transformer radicalement une situation à deux en une situation à trois, et constitue le meilleur garant contre l’omnipotence réciproque du patient et du soignant, source fréquente d’enlisement fusionnel de la situation thérapeutique".

 

 

L’après coup : un aspect important du soin

 

Une étape importante dans le soin est la réflexion commune de l’équipe (lors de réunions par exemple, ou en discutant de manière informelle) sur son vécu propre face à un patient.

M. Mannoni(4): "le soin est dans la prise en compte groupale, après coup, des problèmes rencontrés, des différents ressentis des soignants".

 

 

Participation aux entretiens

 

Au niveau des entretiens, "les mots sont l’instrument essentiel du traitement psychique" nous dit Freud(6). "Un profane trouvera sans doute qu’il est difficile de comprendre comment des troubles pathologiques du corps et de l’âme peuvent être éliminés par de simples mots. Il aura l’impression qu’on lui demande de croire en la magie. Il n’aura d’ailleurs pas tout à fait tort, car les mots que nous utilisons dans notre langage de tous les jours ne sont rien d’autre que de la magie édulcorée. Mais il nous faudra suivre un chemin détourné afin d’expliquer comment la science entreprend de restaurer les mots pour leur rendre au moins une partie de leur ancien pouvoir magique".

 

L’infirmier référent, et pas besoin pour cela qu'il se soit ou qu’il ait été désigné officiellement, devra à ce niveau assurer au patient un support soignant qui l’aidera à prendre en charge son évolution psychique et les conflits qui en découlent. Parallèlement, l’infirmier a ici à transmettre les informations au sein de l’équipe.

 

 

Pertinence lors des ateliers

 

Notons l’intérêt des ateliers où la parole pourra remplir des rôles de médiation, de mentalisation, de contenance, d’échange, de contact… (groupe parole, atelier conte, photo-langage…), mais aussi pour apporter la réassurance, la revalorisation (travail d’expression avec les personnes âgées, bistrot-mémoire…).

 

 

Aide à la mentalisation

 

Faire accéder le patient à la mentalisation, c’est lui fournir une parole pour verbaliser, pour canaliser ses pulsions plutôt que les subir uniquement. A long terme, cela fournit au sujet souffrant, une fois sorti de l’hôpital, de la structure de soin ou de la prise en charge, la possibilité d’exprimer verbalement ses souffrances. Il s’agira alors pour le soignant d’assurer un suivi dans le soin, et pour le malade dans une situation critique, d'avoir l’assurance –qui lui aura été verbalisée– qu’il peut compter sur une équipe soignante disponible.


Les moyens institutionnels utilisés par l’infirmier

 

 

L’équipe pluridisciplinaire

 

Le soignant ne peut pas travailler seul, face et avec des patients psychotiques, état-limite ou gravement névrosés. La notion d’équipe prend ici toute sa dimension. On notera à ce niveau l’importance de la communication verbale pour transmettre les informations entre les membres de l’équipe soignante, pour faciliter la compréhension de l’acte thérapeutique. L’équipe évite ainsi les manipulations et pourra jouer son rôle de tiers et de référent.

 

Le rôle infirmier est défini par une présence rassurante, ‘contenante’ dans le service, sur la structure extérieure ou en soin à domicile, une écoute disponible, une capacité à déceler et gérer l’angoisse envahissante, une aptitude à calmer l’excitation ou au contraire stimuler tel ou tel patient. La verbalisation est à développer avec les patients et avec la famille autant pour prévenir que pour guérir.

 

Pour éviter la chronicité et l’enlisement dans le travail soignant, l’équipe devra rester vigilante à réactualiser régulièrement tout projet de soin. Notons que le contact par la parole, et le rapprochement à l’autre que cela permet, facilitent un investissement constant, ce qui ne peut que dynamiser l’ensemble des individus soignants et soignés.

 

La parole participe aux soins, particulièrement lors des entretiens où elle sert à l’approche investigatrice du médecin, du psychologue… 

 

 

Le travail de secteur

 

Le travail de secteur facilite le contact entre les personnes et renforce la relation de soin. La parole prend ici une dimension supplémentaire du fait même qu’elle est transmise et échangée dans l’habitat même du patient, et sur son lieu de vie. Le soignant, dans cette plus grande intimité, aura besoin de toute la fonction tiers du langage.

 

Notons à ce niveau que la parole infirmière demeure le lien qui rapproche le patient de la réalité, soit qu’elle re-signifie les termes du contrat de soin, soit qu’elle fait prendre conscience de tel ou tel problème personnel ou relationnel, soit encore qu’elle renvoie le patient à tel vécu ou à telle réalité.

 

À un autre niveau et dans une large mesure, c'est encore par le ‘dire’ infirmier que s'articulent les liens au sein même de l'équipe pluridisciplinaire, puis entre celle-ci et le patient à son domicile, ainsi qu'avec son entourage familial, les intervenants médico-sociaux mis à contribution sur le secteur, les divers professionnels sollicités... etc.

 

 

Conclusion

 

 

Il est essentiel de considérer le soin par la parole dans toutes les facettes de la relation thérapeutique. Outre la pertinence qu’elle a dans les entretiens (aide au devenir conscient des processus inconscients, expression des troubles psychiques, repère dans le temps et l’espace) et lors d’ateliers (groupes de discussion personnel-patient, ateliers d’expression verbale), la parole remplit aussi un rôle privilégié dans le soin au quotidien.

 

L’équipe infirmière doit tenter ici d’avoir le plus souvent possible à l’esprit le fait qu’elle peut donner un sens à ses dires, à ses mots, à ses silences, et donc demeurer soignante dans les moindres aspects de la vie de tous les jours.

 

Le soin relationnel infirmier s'exerce au-delà des protocoles imposés aux équipes. Aucune 'évaluation administrative des pratiques' ne peut espérer l'appréhender. Car c'est dans la relation particulière établie avec la personne soignée que l'infirmier psychiatrique maintient sa capacité soignante.

C'est là son rôle quotidien et spécifique.

 

 

- Décembre 2010 -

Mr Dominique Giffard,

Infirmier de Secteur Psychiatrique.

 

 

Sources

  1. P. Delion, "thérapeutiques institutionnelles" (2001, éditions scientifiques et médicales Elsevier);

  2. R. Menahem, "langage et folie, essai de psycho-réthorique" (1986, 'les Belles Lettres', Paris);

  3. -  M. Sassolas, "les frères orphelins" (1982, 'Transitions', supplément n°9);

  4. M. Mannoni, "réunions des stagiaires de Bonneuil" (Paris, 1986);

  5. -  M. Sassolas, "réunions du vendredi" (Villeurbanne, 1986);

  6. -  S. Freud, "le traitement psychique" (1905, étude).

 PSYCHIATRIE INFIRMIÈRE : LE SOIN INFIRMIER

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bibliographie

 

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MAJ 12.10.12