ANALYSE DE LA POLITIQUE DE SANTÉ MENTALE:
LA FRANCE SE SABORDE !
FORMATION UNIQUE: L'ÉQUIPE INFIRMIÈRE
N'EST PLUS FORMÉE AUX SOINS PSYCHIATRIQUES |
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Une formation dans les I.F.S.I. inadaptée à la psychiatrie ...
Une technique inopérante lors des prises en charge relationnelles ...
L'équipe infirmière sort du soin relationnel !
1/ La formation unique enseignée depuis 1992 dans les instituts de formation en soins infirmiers (les I.F.S.I.) est de fait une formation à sens unique. A l'ancienne formation des infirmiers diplômés d'état (les I.D.E.), ont été rajoutés 3 mois de psychiatrie, ce qui est insuffisant et incompatible:
Insuffisant puisqu'on ne remplace pas les 3 ans de l'ancienne formation des infirmiers de secteur psychiatrique (les I.S.P.) par 3 mois;
Incompatible, car l'assimilation de la psychiatrie ne se fait pas sur les mêmes bases, en vue des mêmes objectifs ni dans le même esprit de formation. Les très nombreux infirmiers qui, dans ces conditions, demandent à travailler dans les services psychiatriques n'en sont que plus méritants. Mais sont-ils tous conscients du problème?
2/ La formation unique qui est désormais réservée aux infirmiers dans les I.F.S.I. ne les prépare pas du tout aux soins psychiatriques:
Réductrice, elle néglige volontairement les bases théoriques essentielles (psychanalyse, ethnopsychiatrie, psychopathologie... etc.);
Orientée, elle oblitère totalement la spécificité du soin relationnel en psychiatrie et sa démarche humaniste;
Incomplète, elle crée une demande légitime de formation de base de la part des nouvelles équipes infirmières. Cela permet aux laboratoires pharmaceutiques de répandre leur vision minimaliste et intéressée (avec distribution de leurs "livrets explicatifs" sur les pathologies et les seuls traitements médicamenteux, organisation ou parrainage de "débats formatifs" abondant dans leur sens, visites régulières pour "conseiller" les équipes, démarchage auprès des psychiatres, cadeaux proportionnés au pouvoir de décision des bénéficiaires, du stylo aux voyages à l'étranger en passant par le matériel informatique et la Hi-fi...). Tous les moyens sont employés pour privilégier l'approche organiciste dans le soin en psychiatrie.
3/ La formation unique a quasiment 20 ans. Ce recul a permis de détailler les causes de son échec, et de son incapacité désormais évidente à former des soignants pour la psychiatrie. 10 ans après le diplôme unique, le gouvernement reconnaissait enfin la gravité d'une situation qu'il avait pourtant lui-même créée: pour palier le manque de coopération entre deux professions (ISP et IDE) qu'il s'est acharné à opposer, il a institué un tutorat sensé favoriser la transmission des savoirs. Ainsi donc, les ISP avaient des savoirs à transmettre! Que ne leur avait-on demandé avant! Et pourquoi cela n'est-il pas annoncé officiellement dans les IFSI?
Puis pour compléter une formation inadaptée à la psychiatrie mais toujours délivrée aux infirmiers dans les IFSI, il a aménagé des stages professionnels de consolidation et intégration des savoirs pour l'exercice infirmier en psychiatrie. Le mot "consolidation" est là pour ménager certaines susceptibilités: on ne consolide pas ce qui n'a pas été enseigné!
Les ISP ont un savoir spécifique que la grande majorité des IDE ne leur reconnaissent toujours pas. Pour transmettre le savoir soignant dans les équipes de psychiatrie, 20 ans d'inertie, de refus voire de mépris ont montré qu'il fallait absolument ménager fierté et amour-propre des individus. Piochant sans l'avouer dans les anciens cours ISP, des formations universitaires 'diplômantes' de 150 à 300 heures, préparées spécialement pour les IDE, vont leur être finalement présentées. Elles délivrent un diplôme universitaire: cette fois, ils s'inscrivent: l'honneur est sauf, les IDE ne devront rien aux collègues plus âgés! Du savoir infirmier est ré-injecté goutte à goutte dans les nouvelles équipes, à défaut de s'être transmis entre les soignants. Grosso-modo, chaque module donne droit désormais à un diplôme universitaire... Mais au fait, avec leurs 3 années de cours dont 1400 heures de formation spécifiquement psy, ils ont eu droit à quoi les ISP?
Pendant ce temps-là, rien n'a changé dans le programme actuel des études infirmières: on laisse les mêmes causes entraîner les mêmes problèmes! La liste ci-dessous énumère les principales incompatibilités qui existent depuis 1992 entre ce que propose la formation de base (inadaptée car toujours axée sur les soins généraux) et la technique très particulière du soin relationnel en psychiatrie. Cela permet de comprendre pourquoi les équipes infirmières rencontrent tant de difficultés en psychiatrie:
· Un "rapport au symptôme" excessivement réducteur
En soins généraux, le symptôme est l'émanation de la maladie qu'on combat, et doit donc disparaître. La formation unique que les I.F.S.I. réservent à leurs I.D.E. n'enseigne pas qu'en psychiatrie un symptôme puisse être primordial. Il donne un sens dans la relation au patient. Cet aveuglement est dramatique pour les services de soin car le symptôme est un élément de communication parmi d'autres.
· Une seule vérité que tout le monde tente d'approcher
A chaque patient correspond 1 diagnostic (et la priorité de l'hôpital général sera de le découvrir), et à chaque diagnostic correspond 1 traitement (pour l'époque et le lieu donné). Il est peu envisageable en soins généraux de douter d'une telle évidence. Aussi est-ce tout logiquement que le médecin ordonne et que les infirmiers agissent. L'équipe infirmière D.E. agit à l'unisson dans la suite de son médecin. Cet état d'esprit, qui convient si bien à la technique des soins généraux car il évite les erreurs, est inadapté à la psychiatrie où l'on recherchera le débat contradictoire et argumenté.
· Une logique trop Cartésienne
Tout dans la formation I.D.E. prédispose à admettre que le soin se passe uniquement au niveau du réel. De la cellule à l'organe, du sang au système circulatoire, tout est logique, dissécable, analysable. Cette conviction rassurante, qui convient aux soignants de l'hôpital général, est paralysante en psychiatrie, où la relation soignante agit au niveau du sens et du symbole.
· Des personnalités transparentes
En soins généraux, l'acteur s'efface derrière l'acte, car on y soigne par le faire (technique soignante), et non par l'être (relation soignante). La formation unique apprend bien cela. Seulement en psychiatrie, on soigne beaucoup par l'être et par le dire, et malheureusement cela ne s'apprend plus vraiment.
· Peu de mise à distance dans la relation
A l'hôpital général, tout est fait pour que l'infirmière et son patient, en tant que personnes, s'effacent, restent au second plan. L'attention se porte exclusivement sur le lieu du soin (la plaie...) et la technique. L'infirmière D.E. n'a donc pas besoin de savoir gérer son rapport à l'Autre, ni son positionnement dans ce qui se vit, se dit ou se fait. Ceci la fragilise en psychiatrie où 2 individus sont en présence, en "prise directe". Pourtant c'est justement dans cet espace relationnel, créé ensemble par (et pour) le patient et le soignant, que le soin peut se faire. Sans une perception attentive appropriée, sans une connaissance de ce qui s'y joue, l'infirmière D.E. n'y aura pas accès. Par contre, elle risquera d'être une cible privilégiée face aux comportements manipulatoires, d'où qu'ils viennent.
· Trop d'automatismes
L'infirmière D.E. doit apprendre une technique, qu'elle aura à répéter à l'identique. Elle cherchera à acquérir un automatisme, garant de fiabilité en soins généraux. Cette recherche, cette aptitude ne la prédisposent pas véritablement à la psychiatrie (l'automatisme risque d'entraîner la chronicité).
· Des rapports excessivement hiérarchisés et soumis
La formation I.D.E. est sous-tendue par ce postulat : "il n'y a qu'une vérité médicale, et si quelqu'un la connaît c'est avant tout le médecin (ou le livre)". Aussi le personnel comprend qu'il ne sait pas plus ni mieux que le médecin (ou le livre) ne doive savoir déjà. La position des futures équipes infirmières, dans ce rapport hiérarchisé, sera plus faite d'obéissance que d'échange de points de vue. La discussion est alors également hiérarchisée, quand elle n'est pas à sens unique. Cela nourrit des relations rigidifiées et soumises. Trois ans de formation I.D.E. (plus les éventuelles années de pratique infirmière en soins généraux qui ont suivi) ont inculqué un "rapport à l'Autre" qui, s'il ne nuit pas au soin en hôpital général, est inadapté à la psychiatrie: un avis différent, une association libre doivent pouvoir y être donnés sans appréhension.
· Une formation théorique cruellement absente
Les infirmiers formés dans le cadre des soins généraux n'ont pas eu la formation nécessaire en psychiatrie, en pédopsychiatrie, en ethnopsychiatrie, en psychanalyse, en psychologie ni en psychopathologie. Leurs bases théoriques sont quasiment inexistantes. Deux choix s'offrent alors aux nouveaux diplômés affectés en psychiatrie: imiter totalement leurs collègues infirmiers ou solliciter aveuglément et constamment les directives médicales. Dés lors, dans un cas comme dans l'autre, leurs actions ont tendance à être vides de sens. Car ne pas pouvoir mettre de mots sur ce qui se fait (ou ne se fait pas), ne pas savoir donner de sens à la relation établie au quotidien, hypothèque cruellement le soin dans la relation au patient.
· Un enseignement peu sérieux, voire irresponsable
Les I.F.S.I. entretiennent généralement une méconnaissance, mais parfois aussi un dénigrement de la psychiatrie et du soin psychiatrique. Le peu d'enseignement, assuré quelquefois par obligation, restera souvent très théorique, superficiel, sans compréhension ni mise en pratique. Ainsi, les 3 seuls stages obligatoires proposés aux étudiants durant leur formation ne s'inscriront pas nécessairement dans une démarche formatrice cohérente et réfléchie. Le nouvel infirmier pourra alors terminer sa formation sans n'avoir jamais mis les pieds dans une unité d'accueil de psychiatrie adulte, ni un centre de prise en charge pour enfant ou adolescent, ni même un service de long séjour pour personnes âgées. Il aura néanmoins validé très officiellement un diplôme qualifié d'unique, le reconnaissant apte à travailler dans toutes les structures de psychiatrie!
· Des critères de sélection non-adaptés à la psychiatrie lors de l'entrée à l'I.F.S.I.
La sélection d'entrée dans les écoles pour I.S.P. intégrait d'importants critères de diversité sociale et affective. Étaient volontairement insérés dans les promotions infirmières une grande quantité d'adultes ayant déjà eu une expérience professionnelle, ou au contraire connaissant le chômage. D'autres étaient choisis car ils avaient -entre autres spécificités- une vie de couple, ou étaient parents... N'ayant pas compris l'enjeu, et ne rémunérant pas les promotions, les I.F.S.I. sélectionnent toujours leurs étudiants dans la perspective des seuls soins généraux, sans privilégier la diversité des âges ou des parcours individuels. Arrivent désormais en services psychiatriques beaucoup de jeunes et très jeunes diplômés au sortir de l'adolescence, peu autonomes, sans expérience professionnelle, et n'ayant connu les réalités sociales qu'à travers les filtres familiaux et scolaires. Peu à même de comprendre la vie et les problèmes des patients dont ils devront s'occuper, trop de nouvelles infirmières et de nouveaux infirmiers seront dramatiquement désorientés par leur confrontation aux dures réalités sociales. Ils seront nombreux à demander leur changement de service au bout de quelques années. D'autres induiront malgré eux des relations affectives et réductrices, parfois entachées d'incompréhension, de dégoût, de copinage, de paternalisme ou de pitié... les jeunes diplômés n'ont presque plus d'aînés pour leur apprendre à établir une distance dans la relation.
· Une féminisation de la profession qui n'est pas sans danger
La sélection d'entrée dans les écoles pour I.S.P. tenait compte -avant leurs fermetures- d'une certaine proportion entre les hommes et les femmes, et constituait ainsi des promotions d'infirmières et d'infirmiers adaptées aux besoins réels des services psychiatriques. Cela offrait une diversité dans l'équipe soignante qui favorisait les choix d'identification, et enrichissait les relations. Une des conséquences de l'absence de sélection spécifique pour l'entrée des étudiants dans les I.F.S.I. est la féminisation des équipes soignantes en psychiatrie. Comme parallèlement elles n'ont pas de formation suffisamment adaptée (psychologie, pédopsychiatrie, psychiatrie, psychanalyse, ethnopsychiatrie...), les prises en charge relationnelles laissent maintenant souvent la place à des rapports de force non-thérapeutiques et dangereux, exposant inutilement patients et soignants aux accidents ("le déficit de savoirs des nouveaux infirmiers entraîne une mauvaise gestion des situations d'agressivité", extrait de l'article du psychiatre Patrick Chaltiel).
- http://psychiatriinfirmiere.free.fr/ - "Analyse" -
Consulter ici "l'interview du psychiatre J. OURY" sur l'évolution en psychiatrie |
Consulter ici un "témoignage sur la formation psychiatrique" dans les IFSI |
Consulter ici les "résultats de l'enquête gouvernementale" sur les IFSI |
Quand la presse en parle ... ... consulter ici les "articles de presse" |
MÀJ 21.05.11