réforme psychiatrie banalisation contrainte M. Guyader  

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Compte-rendu de l'émission "Contre Expertise" sur "France Culture" le 1er août 2011.

 

Michaël Guyader, psychanalyste, psychiatre, est chef de service du 8ème secteur de Psychiatrie Générale de l'Essonne. Il répond aux questions de l'animatrice Julie Gacon concernant l'application ce 1er août 2011, de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques sans consentement. Deux autres personnes participent à l'émission: la sociologue L. Velpry et l'historien C. Quetel. Leurs interventions respectives n'ont pas été retranscrites ici.

 

 

 


Réforme de la psychiatrie :

 

vers une banalisation de la contrainte ?

 

 

 


Julie Gacon : "Pouvoir soigner les personnes sans être obligé de les enfermer à l'hôpital, c'est un progrès, non?"

 

Michaël Guyader : "Bien entendu que de pouvoir soigner les patients en ambulatoire, c'est un progrès. Mais c'est quelque-chose qui est fait depuis des années! Ce qui est nouveau dans le texte de loi (loi du 5 juillet 2011, NdT), c'est de contraindre les patients à être soignés de cette façon-là. Et non-seulement de les contraindre de le faire, mais de briser ce qui est l'outil majeur du métier, à savoir le lien de confiance que nous essayons d'établir avec les patients. C'est pas toujours facile... Ce n'est facile avec personne. C'est le ressort du métier d'installer quelque-chose qui soit d'une confiance possible. De pouvoir adresser la parole à l'autre comme ça, c'est très difficile d'imaginer qu'on puisse le faire sous la contrainte, justement! C'est à dire que convoquer quelqu'un à un RdV où il doit être, faute de quoi il sera ré-hospitalisé, c'est une nouveauté. C'est l'une des choses avec lesquelles le "Collectif des 39" et moi-même sommes tout à fait en désaccord, c'est une façon de casser le métier."

 

Julie Gacon : "Comment ça va se passer, cette loi qui entre en vigueur aujourd'hui? Comment vous allez, vous psychiatre, pouvoir et devoir la mettre en place? Vous allez proposer au patient le domicile ou l'hôpital? Comment ça va se passer, qui va faire le choix?"

 

Michaël Guyader : "J'espère que ce choix continuera à être un choix médical, un choix qui va s'inscrire dans le protocole de soins. Quelques éléments m'amènent à en douter: en particulier le fait que si le préfet refuse une demande de sortie d'un patient soigné sous contrainte à l'hôpital sur demande de l'état, il a le droit de demander un deuxième avis. Si le deuxième avis concorde avec la première demande de sortie du patient, le préfet a le choix entre: soit prononcer la main-levée, soit prononcer l'obligation de soin en ambulatoire! Je suis proprement stupéfait de voir que cette compétence-là, qui est une compétence strictement médicale, soit aux mains de la puissance publique au nom du maintien de la sécurité des biens et des personnes! Donc en effet, j'espère que nous allons pouvoir continuer à prendre des décisions médicales sans qu'elles soient trop obérées par ce fatras de textes. Il y a deux éléments dans ce texte qui est mis en application aujourd'hui:

  1. il est issu du discours de Nicolas Sharkozy. Il faut donc rappeler que c'est un texte de loi qui a été pris sur commande, on oublie ça... Le président a souhaité un texte qui rende les sorties plus difficiles pour les patients hospitalisés. Dans son discours, d'ailleurs, il se trompe: le patient de Grenoble n'était pas en fugue, il était en sortie autorisée par son médecin!;

  2. le deuxième volet de la loi, c'est la décision du conseil constitutionnel d'intervenir dès lors que quelqu'un est hospitalisé sous contrainte et que le juge donne son avis au bout de 15 jours. Je pose la question: pourquoi au bout de 15 jours?"

Julie Gacon : "Est-ce qu'on a une idée de l'efficacité thérapeutique de la contrainte?"

 

Michaël Guyader : "Faire contrainte sur les patients, ça nous arrive tout le temps. Ça fait partie de la relation. Je parlais tout à l'heure de la difficulté qu'il y avait à instaurer une relation de confiance. Cette relation peut-être marquée dans la confiance par des moments où l'on dit à l'autre qu'on n'est pas d'accord, qu'on ne fait pas ça! Il nous arrive souvent de dire aux patients: 'je ne suis pas d'accord pour que vous sortiez. Vous êtes en service libre, certes, mais je pense que votre état de santé ne permet pas que vous sortiez'. Ça fait partie de ce qui peut s'élaborer entre le patient et le praticien, et qui concourre aux soins.

Il y a une chose assez étonnante à ce propos, c'est que l'on n'a pas besoin de lois pour dire, lorsqu'on est dans un service de chirurgie ou de médecine, et qu'on est en réanimation, on ne va pas crier au loup parce qu'on vient de nous priver de liberté. Ça fait partie entièrement du soin. Je ne vais pas me plaindre du fait que le chirurgien me dise: 'monsieur, vous ne pouvez pas sortir demain, je viens de vous opérer, il faut attendre une semaine'. Ça fait partie du lien qui s'instaure entre le praticien et le patient. Nous, nous avons affaire à ça tout le temps. C'est l'inverse qui est fait dans ce texte de loi. La question est dans la façon que la contrainte est contrôlée, organisée: on nous demande de dénoncer nos patients qui ne viennent pas à nos consultations!"

 

Julie Gacon : "Jusqu'à présent, vous faisiez un travail sur ces absences?"

 

Michaël Guyader : "Quand quelqu'un ne vient pas à ses séances, je lui dis: 'hé bien alors, qu'est-ce qui vous est arrivé?"

 

 

- Suivent les interventions des 2 autres professionnels, concernant leurs domaines respectifs: l'histoire et la sociologie -

 

 

Michaël Guyader, reprenant la parole : "L'enfermement, il est d'abord dans les têtes. L'asile, il est dans la tête des soignants, des gouvernants. Qu'est-ce que c'est que cette histoire de ne pas supporter qu'il y ait des fous qui baguenaudent, qui vivent chez eux!? Il a fallu beaucoup, beaucoup travailler pour permettre aux patients de réintégrer la cité. Ça a pris beaucoup de temps, et ça a demandé beaucoup de travail. Ça fait une quinzaine d'années qu'on voit les choses se complexifier beaucoup. On retrouve des pratiques que je pensais complètement disparues."

 

Julie Gacon : "Il y a quand même eu la loi de 1990 pour l'ouverture des hôpitaux!?"

 

Michaël Guyader : "Mise à l'isolement, contention des patients, c'est quelque chose qui est monnaie courante. On a vu ça dans les émissions de TV qui montraient des pratiques de certains psychiatres 'éminents'. Je trouve ça personnellement insupportable! Quant à ce qui se passe du côté de la sortie et de l'entrée des patients, l'entrée n'était pas favorisée mais ce qui est certain aujourd'hui c'est que la sortie va être compliquée! Et on le voit absolument constamment depuis que la pression s'est faite, depuis le plus haut sommet de l'état jusqu'aux préfets, on refuse des demandes de sorties pour des motifs qui sont absolument abracadabrantesques! Les préfets font de la médecine à longueur de journée depuis quelque temps. Ça ne va pas aller en s'améliorant... Là où se pose la question de fond concernant les patients aujourd'hui, et cette affaire de l'enfermement, c'est (de faire attention à) 3 éléments:

  1. les moyens donnés à la psychiatrie;

  2. la formation des soignants en psychiatrie qui est devenue aujourd'hui catastrophique, il faut le dire. Les infirmiers avec lesquels je travaille, avec grand plaisir, qui sont des gens pour la plupart très remarquables, ont eu 1 mois de formation en psychiatrie en tout et pour tout pendant leur cursus! C'est absolument insupportable...

Julie Gacon, l'interrompant : Vous faites un lien entre la disparition des infirmiers en psychiatrie et la réapparition des murs d'enceinte dans les hôpitaux?"

 

Michaël Guyader : "Bien évidemment!! À partir du moment où on ne sait plus comment faire, on appelle le service de sécurité! Quand un patient ne veut pas prendre son traitement, et qu'on ne sait pas comment on fait avec un patient qui risque de s'agiter si on le lui donne, eh bien, le plus facile à faire c'est d'appeler le service de sécurité! Ce qui se fait et qui est dommage.

  1. le dernier point, c'est d'avoir une conception de la folie. Est-ce que l'homme n'est qu'une somme de molécules, une somme de symptômes analysables statistiquement, et qui auraient pour conséquence telle ou telle thérapeutique normée? Personnellement, je ne suis pas de cet avis.

Je pense qu'il faut réfléchir à ces questions-là, et que nous n'avons pas à gagner à la protocolisation de la psychiatrie.

 

                                                                .../...

 

Il n'y a pas que des médecins en psychiatrie. L'essentiel du corps des soignants sont des infirmiers, particulièrement mal traités, il faut bien le dire. Leur sort est peu enviable au jour d'aujourd'hui. Ils ont à faire un travail très difficile pour lequel ils sont très peu formés. Dans le service dont je m'occupe il y a 30 lits. Il y a 20 personnes qui sont là parce qu'elles n'ont pas de logement, pas de maison de retraite et pas de foyer pour les accueillir. Elles n'ont pas de logement parce qu'il n'y a pas de logement. Quand on cherche un logement pour les patients, on n'en trouve pas. Il n'y a pas de foyers parce que la puissance publique a accompagné la fermeture des lits en psychiatrie par la création de beaucoup trop peu de moyens alternatifs, c'est à dire de foyers, de structures d'hébergement et d'accueil, d'appartements... etc. Nous n'avons pas ce dont nous aurions besoin pour faire le travail comme il conviendrait. D'autre part, je l'ai dit tout à l'heure et je le répète parce que ça me tient à cœur, elle (la puissance publique, NdT) a ruiné l'enseignement des infirmiers qui rappelons-le avaient 3 ans de formation en psychiatrie avant 1992, et avant que l'idée totalement saugrenue ne soit venue, Europe oblige, de faire passer les infirmiers psychiatriques au tronc commun. Ils sont passés de 3 ans de formation à 1 mois! .../... Le rapport de l'IGAS (commandé suite à l'inquiétante augmentation des violences dans les services de psychiatrie, il a été publié juste avant la loi de 2011, NdT) conseille la formation aux arts martiaux pour tous les soignants, toutes catégories professionnelles confondues! Et ça se fait déjà dans les services!"

 

 


Michaël Guyader,

Chef de service de Psychiatrie Générale.

Émission 'Contre Expertise' sur France Culture – 1er août 2011.

 

 

 

 


 

 

 

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  MÀJ 10.09.11