psycho therapie institutionnelle - texte de Mr Giffard, Infirmier de Secteur Psychiatrique -
PSYCHOTHÉRAPIE INSTITUTIONNELLE
Dossier réalisé pour le site "psychiatrie infirmière" à partir de plusieurs sources, dont les références sont en bas de page.
théorie et pratique
Naissance du concept de thérapie institutionnelle
La psychothérapie institutionnelle commence à se mettre en place à partir de 1940.
Dans un premier temps a eu lieu l’extension des idées psychanalytiques au profit des groupes (Jacob Moreno) et des soignants (Henri Ey) avec rencontres entre psychiatres, "brainstorming"... etc.
Sous l'initiative de quelques médecins sensibilisés et volontaires, plusieurs lieux de soins en France adaptent ou inventent de nouvelles pratiques soignantes: c'est dans ce contexte que commence l’expérience de l'hôpital de Saint Alban où se sont retrouvés des psychiatres comme Paul Balvet, François Tosquelles, Jean Ayme... D'autres hôpitaux vont conjuguer soin du patient, formation du personnel et humanisation des conditions hospitalières: ainsi à Fleury-lès-Aubrais où exercent des psychiatres novateurs comme Georges Daumézon et Lucien Bonnafé.
Ce fut à ces occasions qu’apparurent les premières idées françaises de désaliénisme, avec participation du personnel infirmier à la prise en charge thérapeutique du malade; d’exécutant, l’infirmier devient soignant.
Créés en 1937, les CEMEA, "Centres d’Entraînement aux Méthodes d'Éducation Active", seront invités en 1948 par Georges Daumézon. Ils organiseront ensemble leurs premiers stages de formation pour infirmiers psychiatriques à "La Charbonnière" dans le Loiret, et prendront en charge l'éducation de plusieurs malades hospitalisés à "Fleury-lès-Aubrais". C'est le début de l'engagement des ceméa en psychiatrie: psychiatrie et éducation seront désormais liées.
Sont isolées et reconnues à cette époque les manifestations pathologiques résultant de la vie en institution, et propres au milieu hospitalier psychiatrique. Cela concernera particulièrement les schizophrènes, chez qui seront observés des comportements agressifs ou de repli: on cherchera des moyens de guérir les malades en intervenant sur l’équipe soignante (Paul-Claude Racamier, "Sociopathologie des schizophrènes").
Idées de base
1/ Première idée: naturellement et insidieusement nocif, le milieu hospitalier traditionnel peut et doit être orienté dans une approche thérapeutique.
Dès 1822 déjà, Jean-Etienne Esquirol notait: "une maison d’aliénés peut être un instrument de guérison. Entre les mains d’un médecin habile, c’est l’agent thérapeutique le plus puissant contre les maladies mentales".
Hermann Simon: "dans le psychisme de chaque patient existe, à côté d’une partie malade, une partie saine et le psychiatre doit intentionnellement négliger la première".../... "Chez chaque malade, à côté des symptômes appartenant en propre à la maladie mentale, se trouvent d’autres manifestations psychiques (agressivité, inhibition, théâtralisme, stéréotypies, manifestations à caractère antisocial...) qui sont conditionnées par l’ambiance. l’application à une vie collective active et ordonnée est le meilleur moyen psychothérapeutique pour obtenir la guérison du symptôme".
Hermann Simon organise alors le soin en s’appuyant sur ces trois notions:
la libre circulation des patients hospitalisés: les portes sont ouvertes et les restrictions énormément diminuées. On remarquera alors bientôt que pour qu’un patient puisse "investir" son entourage et que ces investissements aient quelque valeur signifiante, il doit pouvoir circuler librement. Car le transfert est lié de façon très étroite avec le fonctionnement de l’établissement, son ambiance, sa fonction d’accueil, ses offres d’échanges, véritables conditions de possibilité des rencontres;
la responsabilisation du patient: il est au centre de sa thérapie, l'institution étant structurée autour de cette seule fin. Notons ici que l'importance de placer le sujet au centre de sa guérison est apparue avec Sigmund Freud et la psychanalyse;
Un milieu entièrement contrôlé au niveau psychothérapique, avec étude des résistances émanant du personnel et de l’hôpital. Le cadre thérapeutique doit alors être organisé de telle sorte qu'émergent des éléments en provenance de l’appareil psychique du patient.
Ces trois notions s'articulent autour de concepts profondément freudiens.
2/ Deuxième idée: utiliser le concept du transfert, en l'adaptant à la psychose.
Le transfert a été élaboré par Sigmund Freud comme "processus par lequel les désirs inconscients s’actualisent sur certains Objets dans le cadre d’un certain type de relation établi avec eux et éminemment dans le cadre de la relation analytique (...) sous la forme de répétition de prototypes infantiles vécue avec un sentiment d’actualité marqué".
Remanié, étendu au mode relationnel psychotique, le concept sera à la base de toute approche en psychothérapie institutionnelle.
Jean Oury met en évidence les notions de "transfert dissocié" et de "transfert multiréférentiel". Il indique ainsi comment la personne psychotique, ayant construit avec le monde un rapport Objectal singulier, ne peut "transférer" sur un seul psychanalyste comme cela se passe dans la cure-type du névrosé.
Par contre, dans l’établissement hospitalier et avec l’équipe soignante qui l’accueille, le patient peut "instituer" d’une façon partielle, à l’instar des objets partiels, des investissements de divers ordres sur des personnes, des choses, des espaces... etc.
Introduction à la "constellation transférentielle": s'y trouvent rassemblés, souvent pour la première fois, les fragments projetés d’un sujet psychotique. Il ne s’agit pas de réunir un groupe qui prend en charge tel patient pour parler de ce qui se déroule aux niveaux conscients et objectifs, mais bien plutôt de réunir ce qui a pu être l’objet d’un investissement partiel du sujet en question, que ce soit les soignants qu’il apprécie, mais aussi ceux qui le persécutent, de façon à approcher les différents niveaux qui constituent la réalité psychique projetée du patient sur son entourage.
Par ce type de construction du rapport au monde, le patient actualise dans le "transfert institutionnel" les modalités selon lesquelles il s’est lui-même construit. Toute la difficulté consiste à repérer et réunir ces investissements hétérogènes (Pierre Delion).
3/ Troisième idée: avoir du personnel nombreux pour travailler en psychiatrie (Paul Sivadon) et spécialement formé (Pierre Delion).
La situation particulière du personnel infirmier et sa position stratégique dans le soin aux malades mentaux sont reconnues dès 1937 par le psychiatre Georges Daumézon. Il révèlera bientôt le rôle majeur tenu par l’équipe infirmière, dont il valorise la "convivance avec les malades".
Il crée en 1948 avec Germaine Le Guillant, permanente aux CEMÉA, des stages de formation spécifiquement destinés aux infirmiers présents en psychiatrie. Ces stages seront l’occasion de rencontres très enrichissantes entre infirmiers, médecins et éducateurs.
C'est ce personnel nombreux et de mieux en mieux formé qui permettra l'organisation des réunions de personnel, autorisera l'envoi régulier de stagiaires en formation, assurera la création et le fonctionnement des clubs, groupes ou ateliers thérapeutiques, puis étoffera la psychiatrie de secteur naissante...
Définition de la psychothérapie institutionnelle
La psychothérapie institutionnelle est une "méthode permettant de créer une aire de vie avec un tissu inter-relationnel, où apparaissent les notions de champ social, de champ de signification, de rapport complémentaire, permettant la création de champs transférentiels multi-focaux" (Jean Oury).
La thérapie institutionnelle doit permettre à une équipe de fonctionner de manière plus harmonieuse, donc plus soignante.
- PSYCHOTHÉRAPIE INSTITUTIONNELLE -
Présentation et spécificités
Découlant des théories psychanalytiques, "la psychothérapie institutionnelle est une pratique psychiatrique qui recherche avant tout, pour le préserver, le côté humain de la relation. Impliquant le sujet dans une vie collective active et ordonnée, elle le met ainsi, bien qu’il soit malade mental, au centre de sa guérison".
L’idée de base est de se servir du milieu hospitalier comme facteur thérapeutique. "La psychothérapie institutionnelle part du principe que la psychose existe, que le transfert existe et enfin que le transfert psychotique existe" (Pierre Delion). Les mouvements affectifs qui se créent entre les patients et les gens de leur entourage (soignants, administratifs, ouvriers...) sont reconnus et recherchés. Les échanges ne se font pas qu'avec une seule personne, mais partout où le patient entre en relation: le transfert englobe alors l’ensemble de la situation institutionnelle et devra donc être appréhendé en tant que tel dans des espaces de parole institués. François Tosquelles crée à cette fin le concept de "contre-transfert institutionnel".
Proposée à l'origine aux seuls patients psychotiques, pour qui elle représente un 'abri psychique' contenant et adapté, la technique se révélera également pertinente dans la prise en charge des psychopathes et des névrosés... sans oublier que ces derniers, bénéficiant encore d'une intégration sociale et/ou familiale suffisante, pourront également avoir accès aux thérapies individuelles.
Reconnaissant à chaque être humain sa singularité, la psychothérapie institutionnelle s'efforcera de construire pour chaque patient une thérapeutique sur mesure. Car à travers l'institution, c'est réellement dans la rencontre et la relation avec le patient que la thérapie se développe.
Précision importante
La psychothérapie institutionnelle, même si sa dénomination a pu le laisser croire, n'est pas assujettie à un établissement hospitalier particulier. Il existe une différence importante entre "l'établissement" (le bâti délimité par les murs de l'hôpital) et "l'institution" (l'organisation des règles de la vie en commun). La psychothérapie institutionnelle est tout à fait adaptée au soin des patients dans la cité, et donc à la psychiatrie de secteur. "Si elle a pris naissance dans un hôpital, c’est parce qu’il n’y avait à l’époque pas d’autre lieu d’accueil de la psychose" (Jean Ayme).
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Fonctionnement
Les psychothérapies institutionnelles prennent des formes variées suivant le champ d’action et l’équipe soignante. Néanmoins, au sein d’un même hôpital (équipe soignante, administration, services généraux) doit se développer une cohésion, et la thérapie doit conserver un fonctionnement global uniforme.
Caractéristiques principales:
prise de conscience du contre-transfert, qui est un "a priori" de l’équipe soignante envers tel ou tel malade, en dehors de toute visée soignante. Ces contre-transferts existent toujours mais il est bon d’en avoir conscience. Par exemple, le service peut prescrire des médicaments pour soigner, au niveau fantasmatique, sa propre angoisse, à travers le soin d'un malade. L’équipe doit s’astreindre à un grand nombre de réunions de groupe afin de minimiser l’influence du contre-transfert;
le travail thérapeutique ne dépend pas de l’ensemble des soignants mais l’ensemble de l’équipe bénéficie du travail à tour de rôle d’une minorité de soignants;
tout système institutionnel n’a de valeur que s’il est conçu pour disparaître et être remplacé par un autre, provisoire lui aussi.
Moyens
Le malade doit se trouver entouré d’Objets vis-à-vis desquels il établira des relations, et à l’égard desquels il manifestera tous ses moyens de défense. Ces Objets devront garder une certaine mouvance pour pouvoir prêter forme aux élaborations fantasmatiques du patient.
Le personnel soignant, le personnel administratif, les services généraux sont de tels Objets mais il faut absolument éviter que tel infirmier plutôt que tel autre, telle personne plutôt qu’une autre ne joue un rôle privilégié.
Parmi les moyens de défense du malade, citons l’agressivité, la projection, l’anorexie, la TS, ou tentative suicide... etc.
En pratique, seront institués des:
réunions 'soignant-soigné' et/ou 'soignant-soignant'. Il faut éviter l'écueil de la 'réunionnite', lieu de réunion vide de parole, et le non-sens de la 'réunion non-thérapeutique' au cours de laquelle s’échangent des informations sans articulation significative pour la compréhension soignante. Il faut éviter aussi l’utopie de la 'réunion-rêve', perdant le contact avec le réel pour privilégier l’imaginaire, ne tenant compte que du désir du soignant;
clubs intra et/ou extra hospitaliers, comme les ateliers d’ergothérapie, mobilisant les affects autour de la création, ou encore les clubs sur le quartier, à l’extérieur de l’hôpital. Tous ces clubs doivent prôner l’échange (marchandises, langage, social, ou relationnel) et le travail thérapeutique est justement d'accompagner, de guider et d’informer;
groupes, organisés ou spontanés, comme les groupes de gestion, de supervision, de contrôle analytique, d’enseignement, de lecture, de classe sociale, d’oralité... etc. L’intervention institutionnelle se fait au niveau de la stratégie et de l’invention...
Il faut éviter que ces réunions, clubs et groupes, trop nombreux, n’entraînent un processus de clivage par leurs interactions discordantes.
Il faut utiliser tous les moyens disponibles pour parvenir à la meilleure cohésion possible, avec une bonne articulation des infos, des contrats qui soient révisables, un accueil permanent…
Dominique Giffard, novembre 2009.
Infirmier
de Secteur Psychiatrique.
Sources:
Larges extraits de "Thérapeutiques institutionnelles" de Pierre Delion;
"Que faut-il entendre par psychothérapie institutionnelle" de François Tosquelles;
"Symposium sur la psychothérapie collective" de P. Sivadon, F. Tosquelles, L. Le Guillant, G. Daumezon;
"Essai sur l'histoire de la psychothérapie institutionnelle" de Jean Ayme;
"Psychothérapie institutionnelle: transfert et espace du dire" de Jean Oury.
Accès au dossier: "psychothérapie institutionnelle et formation infirmière".
Références d'articles ayant pour thème "la participation des infirmiers à la psychothérapie".
Liens utiles: |
Dossier réalisé par Mr D. Giffard, nov. 2009 pour le site "Psychiatrie Infirmière" : |
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