psychose et transfert   - formation pour Infirmier de Secteur Psychiatrique - texte de Mr Rosenfeld -

 FORMATION DE BASE POUR SOIGNANT

 

PSYCHOSE ET TRANSFERT

 

 

 

 

Présentation de l'article d'Herbert A. ROSENFELD, intitulé :

 

"manifestations transférentielles et analyse du transfert d'un patient atteint de schizophrénie catatonique aiguë".

 

 

L'intérêt de Mélanie Klein et de ses disciples pour les phases les plus primitives du développement, ainsi que pour les mécanismes psychotiques dont ils décèlent la présence chez tous les individus, leur hypothèse d'un Moi à l'état d'ébauche qui serait présent dès la naissance les ont conduits à tenter le traitement des psychotiques en étudiant le transfert particulier de ces patients. Leurs interprétations sont très proches de celles d'une analyse classique, et en particulier pour enfant. Il existe à ce niveau un malentendu en ce qui concerne l'opinion de Sigmund Freud sur l'incapacité des psychotiques à établir un transfert. Dans son analyse du cas Schreber, Sigmund Freud relève parfaitement le transfert de celui-ci sur son médecin. Si par ailleurs S. Freud parle parfois d'absence de transfert, il veut dire que le transfert du psychotique s'effectue à partir de sa régression narcissique et fait donc partie d'une tentative délirante de renouer avec le monde des Objets. Il le situait alors dans une autre dimension que le transfert des névrosés, ce qui lui posait problème pour en effectuer l'interprétation. Et il faut bien dire que jusqu'à une date récente, la plupart des analystes se sont abstenus de traiter les schizophrènes, pour la simple raison que ces derniers seraient incapables d'établir un transfert.

Sigmund Freud (et Abraham) expliquaient cela en soulignant leur régression à un stade infantile très précoce (le stade "auto-érotique") où il n'y a pas encore conscience d'un Objet.

 

 

Expériences de transfert

 

Le psychanalyste américain d'origine polonaise Herman Nunberg (1883-1976) a eu l'occasion en 1920 d'observer pendant une longue période un patient schizophrène. Il note que le transfert était essentiellement de caractère anal et homosexuel, mais son article donne également une description claire de relations d'Objet d'ordre oral. A l'apogée du transfert sadique-oral, le patient perdit son intérêt pour l'analyste en tant qu'Objet externe. Cependant, la relation avec l'Objet interne était apparemment conservée. Herman Nunberg lui-même a suggéré que le patient était parfois capable de recouvrer son Objet en le dévorant, et il donne une description des symptômes et des expériences qui résultaient chez ce patient du "fantasme de dévoration de l'analyste".

O'Malley en 1923 décrit les réactions de transfert à la fois négatives et positives de ses patients psychotiques.

 

Barkas indique que chez des patients psychotiques, les transferts sont souvent de nature violente.

 

Le psychiatre et psychanalyste français René Laforgue (1894-1962) discute en 1936 l'analyse réussie d'une schizophrène. Au début de l'analyse, la patiente éprouvait une angoisse d'une telle intensité qu'elle était incapable de rester avec son analyste plus de quelques minutes avant de se sauver dans la salle d'attente. Grâce à l'analyse persévérante du transfert négatif, l'angoisse diminua progressivement et elle parla librement, manifestement à la faveur de l'établissement d'un transfert positif.

 

Le pédagogue et psychanalyste Viennois Ernst Federn (1914-2007) a montré en 1943 que les schizophrènes établissaient un transfert à la fois négatif et positif. Il souligne alors que ses patients schizophrènes ne peuvent être traités que dans un transfert positif qui doit être constamment entretenu. Il n'interprète pas le transfert, qu'il soit positif ou négatif, et il interrompt le traitement dès que le transfert négatif apparaît.

 

John Rosen en 1950 a montré que tous les patients schizophrènes ont manifesté un fort transfert négatif et positif, qu'il traite par la réassurance et l'interprétation.

 

A propos de la schizophrénie, des auteurs américains ont décrit l'importance du transfert et ils en ont conclu que le nourrisson était capable de relation d'Objet dès la naissance.

 

Eissler en 1951 a souligné que les schizophrènes répondaient pratiquement à toute approche psychothérapique compréhensive, et cela est dû à son avis à la grande acuité de la perception qu'ils ont du "processus primaire" à l'œuvre dans l'esprit d'autrui. Cependant il n'a pas vu que cette particularité était une manifestation transférentielle pouvant être rattachée à une relation d'Objet primitive spécifique.

 

En Angleterre

 

Les recherches de Mélanie Klein sur les phases précoces du développement infantile ont beaucoup encouragé les analystes à étudier des états psychotiques de gravités diverses. Elle a apporté des preuves de ce que le nourrisson développe dès la naissance des relations d'Objet à la fois avec des Objets externes et, à la suite d'introjections, avec des Objets internes. Elle reconnaît l'importance de l'auto- érotisme et du narcissisme, mais elle a beaucoup ajouté à la compréhension de ces phénomènes par son hypothèse selon laquelle ces derniers comportent l'amour de l'Objet internalisé. Elle a contribué à la psychopathologie de la schizophrénie dans son article "note sur les mécanismes schizoïdes". Elle y décrit les mécanismes schizoïdes au moyen desquels le nourrisson se défend contre des angoisses qui sont de forme paranoïde à ce stade le plus précoce du développement. Elle appela cette période la "position schizo- paranoïde". M. Klein est d'accord avec Sigmund Freud sur le fait que le schizophrène régresse au niveau infantile le plus précoce des tout premiers mois de la vie, mais la vue qu'elle en a est différente de celle de Sigmund Freud.

 

 

Confusion psychotique entre MOI et NON-MOI

 

Notons une forme particulière de relation d'Objet qu'entretient le patient schizophrène: quand il approche avec amour ou haine d'un Objet quelconque, il semble se confondre avec cet Objet. Cela n'est pas seulement la conséquence d'une identification par introjection, c'est aussi le fait de pulsions et de fantasmes aboutissant à faire pénétrer la totalité ou des parties de lui-même dans l'Objet afin de contrôler ce dernier. Mélanie Klein a proposé le terme d'identification projective pour ces processus. Cette identification, complémentaire de l'introjection de l'Objet, apporte un certain éclairage sur les difficultés du nourrisson à distinguer le Moi et le non-Moi, et elle rend compte de beaucoup de manifestations habituellement appelées auto-érotiques ou narcissiques. Elle est également en rapport avec les processus de clivage du Moi.

 

Les pulsions et les fantasmes de pénétrer de force dans l'Objet peuvent être considérés comme la forme la plus primitive de relation d'Objet, laquelle commence dès la naissance. Ceux-ci peuvent colorer les pulsions orales, anales, phalliques, et influencer ainsi les relations d'Objet précoces et même des relations d'Objet plus tardives. Il faut bien savoir que les sujets schizophrènes n'ont jamais complètement dépassé la phase la plus précoce du développement à laquelle cette relation appartient, et c'est à ce niveau qu'ils régressent dans les états schizophréniques aigus. La gravité du processus dépend d'un facteur quantitatif, à savoir l'importance de la partie du Moi et des forces instinctuelles qui est entraînée dans cette régression.

 

 

Le négativisme en défense contre la confusion

 

Dans la schizophrénie, les défenses du Moi contre les tendances à pénétrer de force dans divers Objets ont également une grande importance. Le négativisme est par exemple l'une de ces défenses.

 

Anna Freud, dans un article de 1951 intitulé "négativisme et capitulation émotionnelle", explique que le négativisme de sa patiente était lié à la peur d'éprouver de l'amour pour l'analyste, car cela aurait voulu dire pour la patiente qu'elle était en train de capituler devant elle, et donc qu'elle serait envahie par l'analyste. Anna Freud suggéra que ces processus remontaient aux tout premiers mois de la vie, qu'ils étaient peut-être liés à l'introjection et qu'ils pouvaient avoir un rapport avec la schizophrénie.

 

Herbert Rosenfeld, dans un article intitulé "analyse d'un état schizophrénique avec dépersonnalisation" rapporte le cas d'une patiente dont l'attitude négative à l'égard de tout ce qui concernait l'analyste diminua lorsqu'il eut commencé à comprendre sa peur, de nature paranoïde, que l'analyste pénètre de force en elle, lui faisant perdre son identité. Son attitude négative la défendait en fait contre l'activité de son désir amoureux, car celui-ci était lié à des pulsions et à des fantasmes dans lesquels elle pénétrait de force dans l'analyste pour le voler et faire le vide en lui. Elle se défendait également contre la peur de se perdre à l'intérieur de lui.

 

 

Une schizophrénie grave traitée par la psychanalyse

 

Présentation du cas par Herbert Rosenfeld: le matériel clinique qu'il présente est celui d'un schizophrène très malade âgé de vingt ans, qu'il a traité par la psychanalyse pendant 4 mois.

 

"Le patient était malade depuis 3 ans lorsque je le vis pour la première fois. Il souffrait d'hallucinations, de confusions et d'accès de violence. Il avait eu en tout 90 comas insuliniques et plusieurs électrochocs. Le directeur médical de l'hôpital psychiatrique où vivait ce patient le décrivait comme l'un des pires cas de schizophrénie auxquels il ait eu affaire. On disait qu'il était dangereusement impulsif, replié sur lui-même, et parfois presque muet. Ni les médecins ni les infirmières n'avaient été capables d'établir un contact avec lui. Cependant, lorsque deux collègues psychanalystes le virent en consultation, ils purent établir un certain contact avec lui, et ils pensèrent qu'une psychanalyse pouvait être essayée. C'est alors que je commençai l'analyse, au début de 1952. Pendant une quinzaine de jours, il fut conduit à mon cabinet en voiture. Après quoi je le vis à l'hôpital psychiatrique privé où l'on s'occupait de lui. La psychanalyse fut interrompue au bout de quatre mois par les parents qui vivaient à l'étranger, et cela fut malencontreux car un travail analytique important avait été fait. A partir du troisième mois, le patient avait des périodes de raison qui duraient plusieurs heures après la séance d'analyse. Mais il était clair qu'il aurait fallu encore de nombreux mois avant qu'une amélioration stable puisse être espérée."

 

"L'aspect le plus important et le plus frappant de l'analyse de ce patient apparemment inaccessible et replié sur lui-même fut l'intérêt qu'il manifesta dès le début pour l'analyste et pour le déroulement de l'analyse. Dès les premières séances, des manifestations de transfert positif apparurent, et au cours de la troisième séance un transfert négatif violent vint à la surface. Mon approche personnelle était analytique dans la mesure où j'interprétais au patient une grande partie de ce que j'étais capable de comprendre de ce qu'il disait et de son comportement. Et toutes les fois que c'était possible, c'est à dire souvent, le matériel analytique était rapporté à la situation de transfert. Le patient réagissait souvent de façon saisissante aux interprétations, tantôt détendu, tantôt angoissé. Souvent, il confirmait ce que je lui avais dit de façon directe ou indirecte, et parfois il me corrigeait. On pourrait considérer que, dans ce cas, le déroulement de l'analyse, pour l'essentiel, était très comparable à celui d'un cas de névrose. Cependant, je ne me suis pas servi de divan. Le matériel apporté par ce patient était d'une compréhension plus difficile que celui des patients névrosés, et je me suis quelquefois trouvé dans l'obligation de comprendre et d'interpréter à partir de très peu de matériel. Ultérieurement, l'analyse ressembla à une analyse d'enfant par le jeu."

 

 

Une séance qui illustre la méthode de l'auteur

 

"Afin de donner une image plus précise du comportement du patient et de sa façon de parler, ainsi que de ses réactions aux interprétations, je vais rapporter de façon plus détaillée la plus grande partie des quatre premières séances et d'une séance ultérieure. Avant la première séance, le patient avait été informé par un collègue qu'il me verrait régulièrement chaque jour, à l'exception du dimanche. Lorsque le patient fut seul avec moi pour la première fois, il s'assit dans un fauteuil, l'air perplexe et confus. Après quelques minutes, il parvint à dire un mot: "résurrection". Après quoi il sembla à nouveau confus. Je dis: "résurrection veut dire vivre". Il me regarda en face et me demanda: "êtes-vous Jésus?". Je répondis que Jésus pouvait faire des miracles et qu'il espérait que je pourrais le guérir de façon miraculeuse. Alors, il sembla saisi de désarroi et de doute. Après un silence considérable, il mentionna le nom du docteur A. qui l'avait traité par des procédés physiques pendant plus d'un an. Après une longue pause, il dit: "catholicisme". J'interprétai qu'il avait cru dans le docteur A. et qu'il se sentait désappointé parce que le traitement avait échoué. Il répliqua alors en soulignant: "les Russes étaient nos alliés". Je lui répondis qu'il avait le sentiment que le docteur A. avait été son allié, et que maintenant il s'était retourné contre lui. Qu'il avait peur que moi aussi, après avoir été un allié, je ne me transforme en ennemi. Il dit alors clairement: "c'est vrai". A partir de ce moment il devint plus communicatif et rationnel et il indiqua un certain nombre de ses problèmes sexuels, par exemple la circoncision, dont il pensait que c'était une forme de vengeance, et il dit: "je ne comprends pas l'amour et la haine". Plus tard il dit: "il y avait un garçon à l'école". Après une pause, il continua: "il était assis à côté de moi, mais l'ennui était qu'il y avait un autre garçon de l'autre côté". J'interprétai qu'il commençait à m'aimer comme il avait aimé le garçon à l'école. Mais il me voulait tout à lui, alors qu'il comprenait que j'avais d'autres amis et d'autres patients. Il fut d'accord, mais peu après il s'agita, se leva de son fauteuil et dit: "on doit partir immédiatement. Je ferais mieux de partir maintenant". Et ensuite il marmonna: "il me faut une scie". Je pensai qu'il était effrayé par sa jalousie vis-à-vis des autres patients et qu'il voulait partir afin de s'empêcher de me haïr et de m'attaquer. Lorsque je le lui eus montré, il resta agité jusqu'à la fin de la séance."

 

"Je résumerai ainsi les aspects les plus frappants de cette séance: ce patient, particulièrement malade et confus, essaya presque d'emblée de rattacher l'expérience actuelle de sa relation avec moi à une relation interpersonnelle antérieure. Dans son esprit, le médecin qui avait cessé de le traiter, après avoir été un ami et un allié, s'était transformé en ennemi. En me demandant si j'étais Jésus, il me considérait apparemment comme un personnage omnipotent. Par la suite, il manifesta les signes de l'établissement d'un transfert homosexuel. Son angoisse au moment de nous quitter et son besoin d'une scie ne furent pas suffisamment compris lors de la première séance, mais cela indiquait son incapacité à détacher de moi des parties de lui-même. Dans l'ensemble, son intérêt pour moi en tant qu'Objet était indéniable."

 

 

Premiers pas vers le transfert

 

"Au début de la deuxième séance, le patient avait l'air sensiblement plus confus que lors de la première, et il semblait préoccupé par des hallucinations. Il ne fit pas attention à moi et regarda tout autour de la pièce avec perplexité, essayant de fixer ses yeux sur un point et puis sur un autre. Il semblait n'avoir aucun contact avec moi. Au bout d'un certain temps, j'interprétai qu'il m'avait perdu et qu'il essayait de me retrouver. Il dit distinctement: "pas vrai", et il continua sa recherche autour de la pièce. Me rappelant sa remarque à propos de la scie, au moment de me quitter la dernière fois, j'interprétai qu'il s'était perdu lui-même et qu'il était en train de se chercher dans mon bureau. Son expression devint presque immédiatement moins confuse et il me regarda en face, disant: "chacun doit chercher ses propres racines". Un peu plus tard, il dit: "je ne sais pas si c'est bien que vous aimer trop". J'interprétai qu'il avait peur en m'aimant trop de tomber en moi et de perdre ses propres racines et lui-même. Il répondit: "je veux continuer tranquillement à ma manière à moi". Après cela il s'immobilisa complètement et ne bougea plus pendant dix minutes. Lorsque je l'interrogeai, il répondit qu'il avait peur de bouger. Après une pause il continua, disant qu'il avait un lourd fardeau sur les épaules, et rapidement, il ajouta en me regardant: "maintenant c'est plus léger". Je lui montrai qu'il indiquait là son souhait de se décharger rapidement de ce fardeau."

 

"Dans la première partie de cette séance, le patient semblait complètement replié dans un univers personnel, oublieux de moi et seulement en proie à des hallucinations visuelles. Il corrigea une interprétation de transfert, à propos du fait de me perdre. Mais il répondit à l'interprétation qu'il s'était perdu lui-même. Cette dernière interprétation est bien sûr également une interprétation de transfert, prenant en compte le sentiment du patient qu'en m'aimant trop il s'était perdu dans mon bureau, symbole de moi-même. L'état apparent de repli narcissique était clairement en rapport avec l'identification projective. La signification du fardeau sur ses épaules et la façon dont celui-ci s'allégea si rapidement n'étaient pas claires pour moi, mais l'expression de la physionomie du patient indiquait que ce fardeau avait quelque chose à voir avec moi, c'est à dire qu'à la suite d'une introjection j'étais devenu un fardeau interne pour lui."

 

 

L'analyste transformé en persécuteur

 

"Au début de la troisième séance, le patient était très agité et riait beaucoup, d'une manière provocante et agressive. Il était également en proie à des hallucinations et, lorsqu'il ne riait pas de moi, il m'ignorait. D'abord, aucun contact avec le patient ne semblait possible et il ne disait rien. En observant son comportement, je remarquai qu'il faisait des gestes de la main, comme pour me balayer de côté. J'interprétai alors qu'il voulait me montrer que le traitement n'était plus bon. Il dit immédiatement, en accentuant son rire agressif: "plus bon du tout!", faisant des mouvements des mains comme si tout était terminé. Je lui montrai qu'il avait espéré un traitement miraculeux et rapide, et que dans son désappointement et sa haine, il avait le sentiment de m'avoir détruit et de n'avoir fait rien de bon du traitement et de moi. Après cela l'expression de sa physionomie changea, il parut effrayé et suspicieux, et lorsque je pris la parole il sauta dans son fauteuil, comme si je l'avais attaqué. J'interprétai qu'il se sentait incohérent et confus, et qu'il me reprochait de se sentir si mal. Il était effrayé lorsque je prenais la parole, parce qu'il croyait que je le bourrais agressivement de mots afin de le rendre confus. Ceci expliquait pourquoi il se fermait à moi et essayait de ne pas faire attention à moi. Je dus répéter plusieurs fois des interprétations assez semblables, en parlant très distinctement et très tranquillement. Au bout d'un certain temps il sembla moins effrayé et parla d'échelles de couleurs. Il désigna alors mon agenda bleu et dit qu'il était marron. Je pris cela pour une manifestation de coopération, m'indiquant plus clairement ce qu'il ressentait, tout particulièrement que ses attaques m'avaient transformé en fèces et que pour me venger je mettais du désordre (des fèces) en lui."

 

"Ce qui frappe le plus dans cette séance, c'est la violence du transfert négatif qui vint à la surface si tôt après le début du traitement. Son rire exprimait à la fois une attaque sadique contre moi et un triomphe sur moi. Ses attaques anales m'avaient transformé en persécuteur. Cette situation de persécution se répéta souvent sous différentes formes, et par la suite il devint évident qu'il n'était pas possible de considérer ces attaques seulement du point de vue de l'analité. J'ai indiqué qu'à la fin de la dernière séance il avait parlé d'un fardeau pesant sur ses épaules. Au cours des séances ultérieures, il donna des exemples qui montraient que ce fardeau représentait tous les problèmes qu'il ressentait à l'intérieur de lui, les Objets introjectés, ses angoisses, sa dépression et la persécution, et son propre mauvais côté. Et il avait toujours son fantasme de mettre ce fardeau sur mes épaules ou à l'intérieur de moi comme une violente attaque contre moi, dans laquelle je n'étais pas seulement transformé en fèces, mais je devenais son propre mauvais côté. Je ne puis que donner des indications à propos d'un autre point: chaque fois que le patient avait le sentiment qu'il s'était débarrassé de son fardeau, il ne se sentait pas seulement persécuté par moi, mais il lui semblait qu'il s'en était déchargé dans une quantité innombrable de gens et, de ce fait, il se sentait clivé et divisé en plusieurs hommes qui devenaient tous des persécuteurs. En dehors de ses sentiments de persécution, il se plaignait alors de perdre des parties de lui-même."

 

 

La perte du lien avec le monde extérieur

 

"Un autre aspect important de cette séance fut le retrait par le patient de son intérêt pour le monde extérieur. Le retrait et le manque d'intérêt des schizophrènes sont souvent attribués exclusivement à leur auto- érotisme. Dans cette séance cependant, ainsi que plus tard, il devint clair que le retrait du monde extérieur était en relation avec sa peur de la persécution. Lorsqu'un Objet représentant le monde extérieur avait été attaqué, il avait non seulement le sentiment que le monde extérieur avait été détruit, mais aussi que le monde extérieur et les Objets le représentant s'étaient transformés en persécuteurs. Ainsi, le retrait des investissements du monde extérieur était utilisé pour se défendre contre les persécuteurs extérieurs."

 

"Ce fut pour moi une expérience très éclairante que de constater que ce patient, qui était pratiquement inaccessible au début de la séance, semblait comprendre et répondre aux interprétations de sa peur de la persécution dans la situation transférentielle. A la fin de la séance, son rire avait complètement cessé et il semblait beaucoup moins halluciné."

 

 

Transfert négatif et déception antérieure

 

"Au cours de la quatrième séance, il avait l'air beaucoup mieux. Cependant, il me confondit d'abord avec le docteur A. Il dit plusieurs fois: "c'est arrivé avant", ou "c'était la dernière fois". J'interprétai son angoisse que tout se répète et que moi aussi je l'abandonne comme le docteur A., ce qui signifiait à ses yeux que je me retournerais contre lui. C'est alors que je reliai les angoisses de persécution des séances précédentes à la situation réelle. Je lui expliquai que lorsque le docteur A. avait cessé de le traiter, il avait pensé que le docteur A. l'avait agressivement laissé à son désordre. Il ressentait cela comme une représaille, parce qu'il pensait n'avoir fait rien de bon du traitement du docteur A., de la même façon qu'il m'avait montré la veille que mon traitement n'était plus bon. Le patient indiqua plusieurs fois qu'il comprenait, et vers la fin de la séance il dit: "je veux tout faire pour vous aider". Rappelez-vous que le patient m'avait averti de sa peur de la persécution au cours de la toute première séance, lorsqu'il m'avait dit: "les Russes étaient nos alliés". La suspicion du patient au cours de cette séance pouvait être reliée à l'expérience qu'il avait faite du traitement précédent. Les angoisses de persécution liées au fait d'être abandonné furent par la suite reliées à des expériences réelles plus précoces, en particulier avec sa mère, qui l'avait laissé crier pendant des heures alors qu'il était bébé."

 

"En somme, pendant cette séance le patient poursuivit la perlaboration (c'est le processus par lequel l'analysé intègre une interprétation et surmonte les résistances qu'elle suscite) de son transfert négatif. La peur de répéter des expériences antérieures et la répétition actuelle d'expériences antérieures est bien sur un facteur des plus importants dans toute analyse du transfert."

 

 

Des désirs oraux se rapportant à la personne de l'analyste

 

"Je rapporterai maintenant une séance ultérieure (cinq semaines après le début du traitement) pour montrer plus en détail certains aspects de la relation d'Objet qu'il répétait dans le transfert. J'ai expliqué au début que la famille de mon patient se trouvait à l'étranger. Son père l'avait amené en Angleterre pour le faire soigner. Deux jours avant cette séance, son père était reparti chez eux. Au début de la séance, le patient avait l'air un peu confus. Toutefois, sans attendre de commentaires ou d'aide de ma part, il dit clairement: "confus", et lorsque je l'interrogeai il ajouta: "à propos de mon père". Après avoir cherché ses mots, il dit: "j'aurais dû rester plus longtemps". Je lui montrai à quel point il se sentait confus à l'endroit de son père, car de toute évidence, il avait voulu dire que son père aurait dû rester plus longtemps. Aussitôt après, il dit: "le docteur A. s'est suicidé, je veux dire dans la psychiatrie". Je lui fis remarquer qu'il confondait également le docteur A. avec lui-même. Lorsque le docteur A. avait cessé de le traiter, lui, le patient était déprimé et suicidaire, mais il avait l'impression d'avoir rempli le docteur A. de sa dépression et de ses idées de suicide. Je reliai cela au départ de son père et je lui rappelai qu'il avait très souvent exprimé sa peur que moi aussi je l'abandonne. Il dit alors: "athéisme". Je dis qu'il voulait me dire qu'il ne pouvait plus croire en personne après avoir été désappointé par son père, qui le quittait maintenant ainsi qu'il l'avait déjà fait auparavant au cours de son existence."

 

" Progressivement, il devint malgré tout beaucoup plus intéressé et vivant, et il semblait plus amical et en confiance avec moi, comme s'il voulait tout expliquer. Il dit: "si on va jusqu'au bout, on ne peut pas revenir sur tout". Je lui interprétai alors que lorsqu'il aimait quelqu'un et qu'il croyait en lui ou en elle, il voulait aller jusqu'au bout, ce qui signifiait pour lui pénétrer à l'intérieur de l'autre personne et devenir ainsi embrouillé et confus. Il avait également le sentiment qu'après s'être plongé dans les gens, il éprouvait des difficultés pour en sortir. Je dis qu'il était très important pour lui que je comprenne combien il s'était mis en moi. Et ceci était l'une des raisons qui lui faisaient tant redouter d'être abandonné, car il avait peur non seulement de me perdre, mais de se perdre lui-même. Il approuva de grand coeur. A nouveau, il me regarda avec confiance et dit: "un homme avec de grands os mange beaucoup", et il fit des mouvements de mastication. Je dis qu'il m'avertissait de son avidité et qu'il me montrait que, dans son désir amoureux de pénétrer en moi, il était en train de me dévorer. Il émit alors un grand nombre de mots se référant à son pays natal, et il parla des couleurs. Il était clair qu'il éprouvait le besoin de souligner son individualité et que les différentes couleurs représentaient différents aspects de lui-même, ce que nous avions compris auparavant. Il demanda alors: "qu'est-ce que le rose a à voir avec tout ça?"... "Rose" était le mot clé pour exprimer son désir oral du pénis, ce que nous avions analysé et discuté de façon répétée. Il était clair que ses pulsions visant à entrer en moi stimulaient ses désirs homosexuels oraux. Il se leva, trouva un pot plein d'eau et en but. Il se renversa alors en arrière en faisant des mouvements de succion et de mastication. Tout en faisant cela, il semblait s'être replié sur lui-même. J'interprétai qu'en buvant il avait eu le fantasme de boire à mon pénis et de mastiquer ce dernier. Je suggérai que son désir de me pénétrer stimulait ses désirs à l'égard de mon pénis. Dans son état de repli il se sentait fusionné avec moi, non seulement parce qu'il se sentait à l'intérieur de moi, mais aussi parce que, en même temps il me dévorait, moi et mon pénis. A nouveau il devint plus attentif, il donnait l'impression d'écouter soigneusement et acquiesça plusieurs fois."

 

 

La fusion avec l'analyste est reconnue par le patient

 

"Au cours de cette séance, le patient donna une illustration de la relation d'Objet qu'il avait commencé à comprendre au cours de la deuxième séance. Il montrait que c'était le mode oral qui prédominait dans ses pulsions de pénétration de l'Objet, ce que dans son langage personnel le patient appelait "sa manière d'aller jusqu'au bout". Cela aboutissait ici à un état de confusion que le patient était capable de décrire lui-même. Lorsque les états de confusion et de clivage étaient plus graves, le patient était incapable de parler, et d'autres fonctions du Moi étaient gravement perturbées, telles que par exemple la coordination des mouvements."

 

"Un aspect important du transfert traité dans cette séance fut la tendance à laisser des parties de lui-même dans l'analyste. Il est important que l'analyste le comprenne, parce que l'interprétation des identifications projectives et du clivage permet progressivement au patient, selon sa propre expression "de se reprendre", ce qui est nécessaire à l'intégration du Moi. L'état apparemment auto- érotique dans lequel plongea le patient vers la fin de la séance est un autre point intéressant. L'ensemble du matériel de cette séance permet d'émettre l'hypothèse selon laquelle dans l'état de repli il m'introjectait ainsi que mon pénis, et simultanément se projetait lui-même en moi. Je fais donc ici à nouveau l'hypothèse qu'il est parfois possible de retrouver une relation d'Objet dans un état apparemment auto- érotique. Au cours de séances ultérieures, le patient fit souvent plus clairement la différence entre ses Objets internes et les parties de lui-même qui entraient ou qui étaient à l'intérieur de ses Objets. En d'autres termes, ce n'est qu'à un stade plus tardif du traitement qu'il devint possible de distinguer les mécanismes d'introjection objectale et d'identification projective qui vont si souvent de pair."

 

 

En résumé : une vérification des hypothèses Kleiniennes

 

"Dans cet article, je ne me suis attaché qu'à certains aspects du cas. Je souhaitais montrer qu'un patient schizophrène profondément replié sur lui-même est capable d'établir une relation transférentielle positive et négative, que le transfert peut être observé et interprété au patient, et que le patient répond aux interrogations du transfert positif et négatif. Je voulais également montrer que l'état de repli de ce patient ne peut pas être considéré simplement comme une régression auto- érotique. Le repli du schizophrène peut être une défense contre des persécuteurs extériorisés, ou le résultat d'une identification à l'Objet après introjection et projection simultanées. Dans l'état d'identification que le patient ressent comme une confusion, il a conscience d'être mêlé à quelqu'un d'autre (son Objet). Cet article a un autre but, qui est de montrer la régression de ce patient schizophrène au stade le plus précoce, pour lequel Mélanie Klein a proposé le terme de "position schizo- paranoïde". Le patient manifeste les signes d'une relation d'Objet marquée par des pulsions et des fantasmes dans lesquels il fait pénétrer de force lui-même ou des parties de lui dans un Objet, ce qui conduit à des états de confusion, de clivage de soi, de perte de soi et à des sentiments de persécution dans lesquels les hallucinations visuelles et auditives sont accentuées."

 

"Cette relation d'Objet, les mécanismes qui en résultent et qui s'y rattachent jouent un rôle important dans beaucoup d'autres névroses et psychoses. Ils ont néanmoins une signification particulière pour l'ensemble du groupe des schizophrénies. J'indique qu'une meilleure compréhension de l'identification projective commence à nous ouvrir un nouveau champ de recherche, et dans cet article j'ai essayé de montrer comment elle permet de comprendre et d'interpréter les manifestations transférentielles de ce patient schizophrène.

 

 

 

 

 

Liens utiles:

 PSYCHIATRIE INFIRMIÈRE : THÉRAPIES ANALYTIQUES

Article de Herbert A. Rosenfeld, disciple de Mélanie Klein,

"Manifestations transférentielles et analyse du transfert

d'un patient atteint de schizophrénie catatonique aiguë"

"PUF", 52 p.135-150 et "Psychiatrie Infirmière"

http://psychiatriinfirmiere.free.fr/,

références et contact e-mail.

PSYCHOTHÉRAPIE

INSTITUTIONNELLE

 PSYCHOTHÉRAPIE INSTITUTIONNELLE

bibliographie

 

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MAJ 14.01.12