concept fondamental psychologie theorie psychologique        - formation pour Infirmier de Secteur Psychiatrique - cours de Mr Giffard -

 FORMATION DE BASE POUR SOIGNANT

PSYCHOLOGIE:  THÉORIE ET CONCEPT (dossier 2)

 PSYCHIATRIE INFIRMIÈRE : COURS DE PSYCHOLOGIE

PREMIER DOSSIER

 CONCEPTS PSYCHOLOGIQUES  -  1er DOSSIER

L’agressivité  

Les 2 topiques

Les lapsus

La relation d'objet

L’attachement

Le stade du miroir

Les pulsions  

L’angoisse

Psychose et transfert

L'institution et la mort  

Conduites psychomotrices

Schéma corporel

Éléments de communication

Conduites alimentaires

Conduites excrémentielles

Conduites sexuelles

Forclusion du Nom du Père

Délire

Mécanismes de défense

Psychose/État limite/Névrose

Rêve et sommeil

 

 

Bibliographie

 

Avis important

 

 

Dictionnaire de psychologie .

Gardez-le dans un coin du bureau  !

 

 

Interventions orales de Mme Huguet,

sauf spécifications indiquées en marge du texte.

Écrit, enrichi et mis à jour par Mr Dominique Giffard,

pour le site "Psychiatrie Infirmière": psychiatriinfirmiere.free.fr/

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L'AGRESSIVITÉ 

Définition

 

L'agressivité est la manifestation de la tendance à nuire à autrui, que ce soit de façon réelle, imaginaire ou symbolique.

Il faut distinguer les deux aspects que sont l'expression pulsionnelle et la mobilisation en vue d'une intention.

Henri LABORIT : il a étudié les rapports entre l'homme et le milieu. Pour lui, l'agressivité est due à ce milieu. Il s'est spécialement intéressé aux inhibitions du comportement agressif, dont les manifestations peuvent être les coliques néphrétiques ou les ulcères par exemple.

Psychogenèse de l'agressivité

 

Au cours de son développement l'enfant passe habituellement par différents moments d'angoisse qu'il doit surmonter. Ainsi rencontrera t'il le traumatisme de la naissance, au stade Oral l'angoisse de dévoration, puis l'angoisse du huitième mois, au stade du miroir l'angoisse de morcellement, au stade anal l'angoisse de destruction, à l'Oedipe l'angoisse de castration, à l'adolescence l'angoisse existentielle et à l'âge adulte l'angoisse de mort.

L'origine de l'agressivité est pulsionnelle. Elle est la résultante de la projection de la pulsion de mort sur le mauvais Objet. Elle est liée par la libido pour la préservation du Moi (sexualité, reproduction, défense du territoire, emprise sur le monde, affirmation de soi). Elle est sublimée, déplacée. Elle contribue, au sortir de l'Oedipe,  à la formation du Surmoi.

Alors qu'avant l'Oedipe l'agressivité s'exprimait à travers la projection, le clivage... après l'Oedipe elle sera sublimée et s'exprimera en partie sous le contrôle du Surmoi. C'est une opération du Moi qui a transformé l'agressivité du ça en Surmoi (l'instance première est le ça. En sont issus dans un premier temps le Moi, formé grâce au contact avec la réalité extérieure, puis le Surmoi introjecté par le Moi qui fait se retourner l'énergie pulsionnelle contre lui-même).

Le Conscient accède à l'inconscient comme les organes des sens accèdent à la réalité extérieure. Il y a eu constitution d'un "grenier" où sont engrangées toutes les informations vécues. L'individu peut faire appel à un moment précis à ces vécus. Ces faits sont dits "refoulés". Tout ce qui est refoulé devient inconscient mais l'inconscient n'est pas constitué que de cela. Il y a aussi des contenus innés qui ne sont jamais passés par la conscience. L'inconscient obéit aux processus primaires que sont le déplacement (changement d'Objet) et la condensation (plusieurs Objets en un). Ces deux processus primaires obéissent au principe de plaisir. Les désirs sont mobiles et essaient de s'extérioriser, provocant le refoulement.

Le refoulement est un filtre incité par le Surmoi et opéré par le Moi. Le symptôme est le produit du refoulement qui consiste en un retour du refoulé sur le plan somatique. Il sert à échapper à l'angoisse. Il est le substitut d'une satisfaction pulsionnelle qui n'a pas eu lieu. Ce qui aurait du être plaisir devient déplaisir.

 

Conduites de fuite : fuir, c'est se soustraire, éviter une situation repérée comme dangereuse. Il y a deux sortes de dangers, un danger externe et un danger interne. Le danger interne vient de nos propres pulsions agressives et sexuelles. La solution de fuite est trouvée par le Moi qui utilisera parmi toutes les techniques dont il dispose celle ou celles qu'il aura plus particulièrement adopté au cours de son développement. Ainsi aura t'il le choix d'utiliser la sublimation, le déplacement, le refoulement, le clivage, la régression, le suicide, l'hyperactivité, le sommeil, le rêve, les rituels, l'instabilité, l'évanouissement, la surdité et la cécité psychiques, le délire, l'ironie, la fugue... etc. La pathologie n'est pas dans l'utilisation des conduites de fuite, mais dans la répétition exclusive d'une conduite particulière en réponse à tout danger.

Une conduite de fuite est toujours face à l'angoisse.

 

- L'agressivité a une source (somatique), un but (éliminer la tension), et un Objet (quelconque). L'agressivité est la manifestation de la tendance à l'agression, à nuire à...

- L'angoisse n'a pas d'Objet.

- La formation de symptômes est une réponse moins extériorisée pour échapper à l'angoisse.

 

Violence et agressivité

 

A la rencontre du ça et du Surmoi (ainsi que son pendant plus élaboré l'Idéal du Moi) se trouve le Moi.

 

INCONSCIENT

 ÇA  /  MOI  /  SURMOI  /  IDÉAL DU MOI

Idéal du Moi: "tu dois", "tu devrais".

 

Surmoi: "tu ne dois pas". Ce sont les interdits, la loi, les limites...

 CONSCIENT

Moi: pôle défensif de la personnalité construit avec les exigences du ça

         et les interdits du Surmoi face au réel.

INCONSCIENT

ça: pôle pulsionnel. Besoin de satisfaire immédiatement les pulsions.

      Principe de plaisir.

 

Confronté à une situation, l'individu a 3 possibilités de comportement: la fuite, la lutte ou l'inhibition de l'action.

L'agressivité est alors une agression de compétition avec défense du territoire. On y retrouve un dominé (inhibition de l'action, punition ou échec face à la lutte), et un dominant (succès du comportement d'agressivité par la lutte ou la fuite).

 

On distingue:

- l'agressivité hostile qui blesse volontairement l'Autre.

- l'agressivité instrumentale qui vise à se procurer des satisfactions individuelles, sans désir de nuire à autrui.

 

Théories de l'agressivité

 

Sigmund FREUD commence à en parler dans le phénomène de la colère et rattache cela aux représentations obsédantes de la névrose obsessionnelle. Puis, dans un deuxième temps, il évoque l'agressivité à propos de la structure Oedipienne. En fait, FREUD a beaucoup hésité à propos de l'agressivité et en a fait deux théories. En règle générale, l'agressivité est liée à la pulsion.

Il convient ici de distinguer l'instinct de la pulsion :

Pour FREUD, il y avait au début les pulsions du Moi (auto conservation et agressivité) et les pulsions sexuelles. Puis ensuite il élabora le deuxième édifice pulsionnel: libido et pulsion de mort. Il y a ainsi une catégorie de pulsions qui unit les différentes tendances (libido) et une catégorie de pulsions qui désunit, qui fragmente (pulsion de mort). Ces deux pulsions se combinent et forment les phénomènes de vie. La tendance liante de la libido est de faire que l'énergie agressive soit utilisée à d'autres fins, par sublimation vers l'art, dans la compétition, les études, ou encore vers le corps (somatisation, symptômes). Quand la libido n'y parvient pas, c'est le retour sur soi de l'agressivité (auto mutilation, masochisme).

La pulsion de mort se manifeste dans 3 grands registres :

Pour WINNICOTT, l'agressivité se développe avec le Moi. Il divise l'accession à l'agressivité en deux stades:

L'agressivité aux différents stades

 

Stade oral

Les premiers modèles de l'agressivité concernent le "mauvais Objet". "Bon" et "mauvais Objet" sont des termes introduits par Mélanie KLEIN pour désigner les premiers Objets pulsionnels partiels ou totaux, tels qu'ils apparaissent dans la vie fantasmatique de l'enfant de la première année. Cette qualité de bon ou mauvais est attribuée à l'Objet de façon imaginaire ou fantasmatique, mais néanmoins réelle pour l'enfant, en fonction de son caractère frustrant ou gratifiant, et en fonction de la projection sur ces Objets des pulsions libidinales ou agressives de l'enfant. "L'Objet naît dans la haine" nous dit FREUD. On ne reconnaît l'Autre que dans la différence. L'enfant ne se différencie de la mère que par les expériences de frustration. Il attend et se rend compte que la gratification vient d'un Autre que lui.

Stade anal

L'agressivité s'exprimera dans le comportement d'expulsion et de rétention. L'expulsion est l'équivalent de la projection agressive. La rétention est un refus. L'opposition s'exprimera par le "Non!", parole et geste associés. C'est un stade où l'agressivité est la plus marquée, car agie.

Stade urétral (entre anal et phallique)

Ce sont les premières manifestations du stade phallique. La miction revêt un aspect phallique, sadique et agressif (origine de l'énurésie). Durant l'Oedipe, la rivalité s'oriente vers le Parent de même sexe. Dans la forme inversée, l'hostilité s'oriente vers le Parent de sexe opposé. Il y a une peur de l'agression de l'Autre, vécue comme une castration.

Période de latence

L'agressivité est déviée sur la compétition scolaire, sportive. Périodes d'obéissance et de désobéissance.

L'adolescence

Réactivation massive des pulsions, dont l'agressivité, vis à vis de tout représentant d'autorité. La pulsion agressive se tourne dans l'originalité, la provocation, la grossièreté, mais aussi vers l'individu (suicide). Cette agressivité est transitoire et fonctionnelle, servant à la maturation. Ses fonctions sont:

L'agressivité sert aussi la sexualité, en privilégiant le couple. La solution la plus économique et maturante est la mentalisation. Par la mentalisation, le Moi élabore des solutions acceptables pour satisfaire à la fois la pulsion et les exigences du Surmoi. A contrario, quand il y a "agir", il y a eu débordement du Moi. Le passage à l'acte a rompu la mentalisation (comportement du psychopathe).

Étant liée à une pulsion, l'agressivité aura une source, un but et un Objet. Sa source pourra être la peur (frustration, échec, danger, dépendance...), ou le plaisir (sexualité comme dans le sadisme, sublimée dans une réussite...). Se crée alors une relation Oedipienne car la lutte a un caractère Oedipien triangulaire (Moi, Autre, Objet). C'est la meurtre symbolique du père. L'Objet pourra être réel ou imaginaire (Dans le cas du bouc-émissaire, il y a déplacement de l'agressivité vis à vis d'un Objet imaginaire, souvent nous-même, sur un Objet réel, en l'occurrence l'Autre). Le but sera d'éliminer la tension ( passage à l'acte, mentalisation, sublimation, symptomatisation...).

 

Cas de l'agressivité en groupe : Tout autre groupe menace l'identité d'un groupe donné. Il faut voir le groupe comme le support de nos projections.

 

 

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LES 2 TOPIQUES

 

Définition

 

Conçue par S. FREUD, la topique est l'étude de la structure mentale, dans une théorie des lieux.

C'est la différenciation des parties de l'appareil psychique en systèmes doués de caractère et de fonction différents, et disposés dans un certain ordre. Dans la théorie psychanalytique, la topique révèle les rapports entre les 3 instances du ça, du Moi et du Surmoi, ainsi que l'ensemble des phénomènes qui s'y passent. 

C'est une métaphore qui permet de spatialiser les lieux psychiques.

 

1ère topique : Elle date de la science des rêves, entre 1900 et 1915. Il y a alors trois systèmes (l'Inconscient, le Préconscient et le Conscient) ayant chacun sa fonction, son type de processus, son énergie d'investissement et ses contours représentatifs. Entre ces 3 systèmes se situent des sas, des censures, dont la fonction est de contrôler le passage d'un système à l'autre. L'ordre de passage est toujours le même. La direction est "progrédiante" (Inconscient, Préconscient, Conscient) ou "régressive" (Conscient, Préconscient, Inconscient). Une représentation ne peut donc jamais passer du Conscient à l'Inconscient, ni inversement de l'Inconscient au Conscient.

Le "noyau pathogène" est un noyau qui peut donner naissance à la pathologie. Il est formé par le refoulement mais il est là aussi dès l'origine, de façon phylogénétique.

Chaque système est formé en couches, les souvenirs étant rangés autour du noyau pathogène, selon un ordre chronologique mais aussi logique.

La prise de conscience (ou ré-intégration du souvenir inconscient dans le conscient) se fait selon un défilé qui franchit les censures (censure entre Inconscient et Préconscient, censure entre Préconscient et Conscient).

 

2ème topique : Elle est élaborée à partir de 1920. Elle comporte 3 systèmes, le ça (pôle pulsionnel), le Moi (intérêt de la totalité de la personne, raison + narcissisme) et le Surmoi (agent critique, intériorisation des interdits et des exigences). Pour expliquer l'ensemble des phénomènes mentaux, FREUD en viendra à rajouter l'Idéal du Moi (très investit narcissiquement).

La deuxième topique fait intervenir des conflits inter-systèmiques mais aussi intra-systèmiques. Dans l'ambivalence par exemple, il y a un conflit créé par la dualité pulsionnelle à l'intérieur d'un même système, le ça (conflit intra-systèmique). Par contre, l'Oedipe est un conflit inter-systèmique entre le ça et le Surmoi. La deuxième topique met ainsi l'accent sur la dépendance entre les systèmes. Elle permet de se rendre compte par exemple que la sublimation permet à la fois la satisfaction du Moi et la satisfaction des revendications pulsionnelles. La deuxième topique révèle mieux la façon dont le sujet se construit, et se perçoit.

 

 

Description dynamique de l'appareil psychique réunissant les 2 topiques

 

 APPAREIL PSYCHIQUE : LES 2 TOPIQUES ... CONSCIENT
... PRÉCONSCIENT
... INCONSCIENT

 

 

Aspect économique

 

Le point de vue économique est l'aspect quantifiable des choses. L'énergie est susceptible de diminution, d'augmentation et d'équivalence. Le travail de l'appareil psychique est de transformer les énergies, dites "libres" dans l'Inconscient, et "liées" dans le Conscient, à des représentations particulières. Par exemple, un symptôme mobilisera une quantité d'énergie, ce qui tendra à appauvrir d'autres activités.

Les phénomènes comme l'angoisse, ou les mécanismes de défense sont des aspects dynamiques du fonctionnement psychique.

 

 

ça :

 intérêts pulsionnels.

Surmoi : 

 intérêts extérieurs.

Idéal du Moi :

 intérêts narcissiques.

Moi :

 intérêts de la totalité de la personne.

 

 

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LES LAPSUS

 

-" MERINGER et MAYER, à travers une approche linguistique, donnent aux différents sons du langage une valeur psychique distincte qui les fait s'empiéter les uns sur les autres. Aussi considèrent-ils qu'un lapsus peut-être occasionné en premier lieu par l'action d'une autre partie du discours que celle qu'on veut énoncer, et en deuxième lieu par un procédé analogue à celui de l'oubli. Cela veut dire qu'il sera consécutif à des influences extérieures au mot. Il sera donc provoqué par des éléments qu'on n'a nullement l'intention d'énoncer mais dont l'action se manifeste à la conscience par le trouble lui-même.

Notons que par la théorie des images verbales situées au-dessous du seuil de la conscience, la conception de MERINGER et MAYER se rapproche de notre conception psychanalytique, et dévoile de fait certains traits communs aux lapsus, à savoir:

Mais c'est dans le procédé psychothérapeutique que le lapsus remplit évidemment les services les plus précieux. Il est intéressant de noter à ce titre combien sont significatifs les signes d'émotion qu'on suscite en prouvant à quelqu'un qu'il a commis un lapsus. C'est que sans le savoir, les gens leur attachent une grande signification.

 

Les cas du bredouillement et du bégaiement sont différents puisqu'ils portent sur le rythme du discours tout entier. C'est néanmoins malgré tout le conflit intérieur qui nous est révélé ", Sigmund FREUD.

Les lapsus pourront être appréhendés de différentes manières suivant que l'on participe à une recherche linguistique (ils seront alors synonymes d'accident), ou que l'on s'intéresse à la présence active de l'inconscient (ils auront alors une valeur de témoin).

 

Il est important de distinguer plusieurs notions :

 

Trouble du langage : la même erreur se reproduit chaque fois que se trouvent réunies les mêmes composantes linguistiques.

 

Lapsus : on ne refait pas la même "erreur" à chaque fois. Le lapsus n'est pas uniquement dépendant du langage. Notons dans les lapsus courants le tutoiement involontaire.

 

Oubli : l'oubli n'est pas un lapsus en soi car il n'y a pas substitution. L'oubli peut-être dû au refoulement d'une idée...

 

Erreur d'écriture : c'est un lapsus écrit.

 

Erreurs de mémoire : reconstruction des souvenirs (souvenir écran). Après avoir oublié la séquence globale du souvenir manquant, ne reste qu'un petit morceau qui masque ainsi tout le reste.

 

Bégaiement : le bégaiement et le lapsus sont de natures essentiellement différentes. Dans le cas du lapsus, la volonté en vient à bout, tandis que pour le bégaiement au contraire, plus on y pense et plus il se présente. On distingue le bégaiement tonique (blocage sur une consonne) du bégaiement clonique (répétition saccadée). 

Maladresse : la maladresse est souvent un lapsus du message moteur. C'est un échec de la communication mimique faisant intervenir l'image inconsciente du corps, intégrée dans une relation à l'Autre. Ainsi, la culpabilisation peut amener l'individu à s'auto-mutiler lors d'un incident d'apparence banale au niveau conscient.

 

Méprise : elle indique souvent l'emprise de l'inconscient, comme par exemple le fait d'intervertir ses clefs au moment de leur utilisation peut révéler l'envie d'aller ailleurs...

 

Actes manqués : actes symptomatiques et accidentels. C'est un parasitage de l'acte normal par le désir inconscient, passant souvent pour une erreur (inconscient: représentation de choses. Préconscient: représentation de mots, jouant le rôle de filtres et révélant l'importance au conscient sans pour autant indiquer le contenu).

Les enfants font beaucoup de lapsus, entraînant des rires affectifs. C'est la reconnaissance rassurante d'un intérieur et d'un extérieur. Le lapsus est rassurant pour l'enfant.

 

Chez le psychotique ("être humain ayant construit un système de relations à l'autre de type psychotique"), le sujet a établi ses propres conventions au niveau du langage, suivant ses propres lois pour élaborer les phrases. Il aura ainsi des difficultés à admettre plusieurs sens pour un même mot.

 

Pour FREUD, le lapsus est relationnel (on "parle" aux autres). Il représente une décharge affective, échappant au contrôle du sujet. la réalisation du désir s'y fait métaphoriquement.

On peut aussi faire un lapsus passivement, en entendant un mot différent que celui qui est prononcé.

 

 

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LA RELATION D'OBJET

 

La relation Objectale est la relation qu'entretient un individu avec l'Objet vers lequel se tournent ses pulsions, l'Objet pulsionnel, qui peut être une personne.

A chaque stade de développement correspond une relation Objectale différente, spécifique de ce stade.

Ainsi on a:

·  Stade oral (de 0 à 8 mois) : Il s'agit d'une relation symbiotique (fusionnelle), l'Objet est partiel (sein, lait). Jusqu'à 2 mois, le nouveau-né n'est pas indifférencié du monde extérieur. S'il éprouve plaisir et insatisfaction, réagit aux excitations (internes ou externes)... c'est dans un état entièrement narcissique. A partir du 3ème mois, un Objet sommaire commence à se distinguer, à prendre du relief: la Mère, ou toute personne s'occupant de lui, lui apportant plaisir, satisfaction;

·  Stade oral (à 8 mois) : La relation est devenue anaclitique (conscience du soutien maternel), l'Objet est total (mère). Le bébé la distingue au point de ressentir son absence: un étranger est reconnu comme tel et provoque de l'angoisse. Le 8ème mois est une étape importante dans le développement du nourrisson. Elle est abordée par Jacques LACAN dans le stade du miroir;

·  Stade anal (de 1 à 3 ans) : Relation ambivalente (don /refus), Objet total (mère) et Objet partiel (boudin fécal);

·  Stade phallique (de 3 à 6 ans) : Relation triangulaire, Objet du désir (mère ou père), Objet partiel (pénis), avec division des pulsions agressives et sexuelles (mère et père);

·  Latence (de 6 à 12 ans) : Relation triangulaire stabilisée;

·  Adolescence (après 12 ans) : une relation triangulaire génitalisée s'installe progressivement, durant laquelle l'adolescent dirige ses pulsions vers des Objets ayant valeur de substituts Parentaux. Les choix des partenaires se font par rapport à eux, en fonction de l'image qu'il en a.

A chacun des trois Objets partiels du jeune enfant correspondent des comportements de la vie adulte, à savoir:

 

 

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Texte de Mr René Zazzo: "l'attachement, un besoin primaire". Reproduit sur "Psychiatrie Infirmière": psychiatriinfirmiere.free.fr/

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L'ATTACHEMENT

 

Un besoin primaire

 

La théorie de l'attachement peut se formuler ainsi: la construction des premiers liens entre l'enfant et la mère, ou celle qui en tient lieu, répond à un besoin biologique fondamental. Il s'agit d'un besoin primaire, c'est à dire qu'il n'est dérivé d'aucun autre.

S'il en est bien ainsi, on doit abandonner la théorie selon laquelle la nourriture est le seul besoin originel, dont la satisfaction entraîne ultérieurement la création d'un lien libidinal avec la nourrice selon cette conception classique. L'attachement à la mère serait une "prime de plaisir" s'ajoutant au plaisir de la nourriture. En termes Freudiens, la libido s'appuierait, s'étayerait sur la pulsion d'auto-conservation, sur le besoin de nourriture.

Si la théorie de l'attachement est exacte, on peut dire aussi que le besoin et la recherche d'autrui ne sont pas le résultat d'un apprentissage. Ils sont inscrits dès la naissance dans l'économie de l'individu. L'enfant est un être social dans une économie biologique et cette sociabilité s'exprimerait donc dès les premières réactions.

 

L'origine d'une découverte

 

Cette théorie, avec les travaux d'HARLOW et de BOWLBY, arrive à maturité en 1958. C'est vers cette date que le terme d'attachement est proposé pour le distinguer sinon l'opposer à la notion d'Objet libidinal, et à celle de dépendance émotionnelle, développées par les théoriciens de l'apprentissage. Cet aboutissement vient de loin, de la convergence de deux traditions de recherche. L'une est celle de l'éthologie et l'on connaît les recherches faites tout d'abord sur les oiseaux nidifuges et qui ont montré que les petits s'attachaient dès les premières heures de la vie par une sorte de tropisme à la mère, ou à un substitut de la mère, ou même au premier mobile que voyait et suivait le petit. L'autre tradition est celle des recherches sur le nourrisson et son attachement à la mère, inaugurées par SPITZ dans les années 1940. Celui-ci observe que le petit enfant séparé de sa mère présente souvent un syndrome grave, les réactions à la perte de la mère apportant la preuve négativement que l'Objet libidinal était déjà constitué pour lui.

 

Une jonction s'est faite entre ces deux courants, une sorte de chassé - croisé: les psychologues de l'animal ont repris les observations, les idées de SPITZ, et ont procédé eux aussi à l'observation des effets de la séparation mère-enfant chez l'animal. On a ainsi abouti à la description d'un syndrome assez comparable à celui observé chez le petit enfant.

En sens inverse, les psychologues de l'enfance et notamment des psychanalystes tels que BOWLBY se sont interrogés: puisque le petit animal, disent les éthologistes est dès la naissance orienté vers l'autre, vers le "socius", n'existe t'il pas également chez l'enfant la même orientation inscrite en quelque sorte dans son équipement biologique? Jusqu'alors on considérait couramment que le besoin social n'était qu'une pulsion secondaire. N'est il pas comme pour certains animaux un besoin primaire?

 

Les chercheurs sont parvenus à dresser un inventaire des différentes réactions de l'enfant envers la mère, inventaire  qui a d'ailleurs été comparé à ce moment là aux inventaires établis par les éthologistes. Cris, recherche de contacts peau à peau, recherche de la chaleur, suivre des yeux et surtout -ce qui a donné lieu à des recherches extrêmement minutieuses- le rôle du sourire. On a découvert que l'apparition du sourire était beaucoup plus précoce qu'on ne le pensait et que, dès l'âge de trois à quatre semaines, le sourire établissait déjà une communion, une communication entre l'enfant et la mère. Pour l'enfant qui ne peut pas se déplacer, le sourire constitue un contact à distance, un appel. N'était il pas un équivalent moteur fonctionnel de la "conduite de poursuite" qu'on observe chez le poussin, ou de la conduite d'agrippement observée chez certains singes et notamment le rhésus?

 

La publication de ces travaux a alors provoqué une explosion de recherches en ce sens, en Angleterre, au Canada, aux Etats-Unis. Il y eut au moins sept grands instituts qui se consacrèrent essentiellement à des recherches sur la première année de la vie et qui mirent en collaboration des psychanalystes, des théoriciens de l'apprentissage, des psychologues de l'enfant... etc. La théorie originelle de l'attachement avait été le résultat d'une rencontre entre une spéculation et une observation clinique: les critères n'en étaient pas précis. Il s'agissait alors de mener des travaux plus rigoureux et de suivre minutieusement des dizaines d'enfants dès la naissance.

 

Il est intéressant de signaler que la théorie classique admise par tous n'avait jamais, pas plus chez les théoriciens de l'apprentissage que chez les psychanalystes, donné lieu à des recherches empiriques, ce sont justement les travaux d'HARLOW et de BOWLBY qui ont amené les théoriciens de l'apprentissage à faire des recherches très systématiques dès les premiers jours de la vie.

 

Les méthodes

 

Comment mettre en évidence l'existence de l'attachement, d'Objets d'attachement et l'âge d'apparition de ces Objets? Plusieurs recherches ou méthodes sont utilisées:

  1. Étudier les effets de la séparation. Ce sont les observations premières de SPITZ qui ont été répétées et confirmées par d'autres auteurs.

  2. Étudier les effets de l'éloignement momentané. Il s'agit de créer des situations non traumatisantes qui répètent des situations naturelles: la mère s'éloigne de l'enfant, la mère se promène avec l'enfant dans un landau et elle laisse le landau sur un trottoir pour entrer dans un magasin... etc. Plusieurs auteurs et tout d'abord H. R. SCHAFFER, onbt mis au point un certain nombre de situations et ont mesuré l'intensité des protestations de l'enfant (avec comme définition opérationnelle du "besoin d'attachement" la recherche ou le maintien de la proximité).

  3. Étudier les réactions de l'enfant en présence d'étrangers. On considérait comme preuve d'existence d'Objets d'amour le fait qu'à partir d'un certain âge l'enfant réagit de façon négative ou différente en présence d'un étranger (mais l'hypothèse n'est pas si simple).

Voilà donc trois types de techniques qui ont été diversifiées et appliquées dans des conditions extrêmement variables.

 

Comment d'autre part analyser la genèse, la création de ces liens? C'est ici sans doute que les théoriciens de l'apprentissage et les psychanalystes de la prime enfance ont le plus étroitement collaboré. Pour ce second type de problème la méthode consiste en l'observation longitudinale des diverses réactions et conduites (cris, pleurs sourires... etc.) présentées par l'enfant dès sa naissance. On observe également au cours de ces recherches la conduite de la mère, du père, de telle ou telle autre personne de l'entourage dans l'hypothèse que cette création de liens s'opère dans un "système d'affection", comme dit HARLOW à propos des animaux, et non pas sur la seule initiative de l'enfant.

 

Dès sa naissance, de jour en jour, de semaine en semaine, avec des variantes expérimentales, on tente de savoir quels sont les stimuli efficaces pour le déclenchement du sourire, stimuli auditifs dans les tout premiers jours de la vie, stimuli visuels, mouvements, quelles sortes de mouvements... etc. On établit des comparaisons suivant le milieu éducatif, les méthodes éducatives, l'importance de la fratrie, le nombre de personnes qui entourent l'enfant, les attitudes maternelles ou de maternage extrêmement variées. La recherche, partie d'abord de populations non différenciées, s'est engagée dans des analyses de plus en plus fines, de plus en plus individualisées. On constate par exemple qu'en général l'enfant recherche le contact physique, les caresses, mais qu'un nombre non négligeable d'enfants les tolèrent mal, sans être pour autant anormaux.

 

Faits et hypothèses

 

En ce qui concerne le premier type de problème (l'apparition de l'attachement) on est parvenu à décrire une genèse en plusieurs stades. Le dernier stade, le plus facile à définir apparemment, est qu'à partir de six ou sept mois l'enfant établit des attachements différenciés. L'apaisement pour l'enfant qui pleure est produit par une ou quelques personnes familières à l'exclusion de toutes les autres. Dans les mois qui précèdent, l'apaisement est obtenu par l'apparition de n'importe qui, on appelle cela l'attachement indifférencié ou l'attachement supra-individuel: l'enfant est calmé par la présence d'une personne quelle qu'elle soit. Il semble que le bébé soit apaisé dans les deux premiers mois de la vie par toute stimulation sensorielle et non par le contact ou la présence d'individus. L'enfant, dit-on, incapable de produire lui-même des changements de stimulations, incapable d'initiatives motrices importantes, supporte mal la monotonie sensorielle. Par exemple, l'enfant mis devant un mur blanc réagit négativement au bout de quelque temps. Il suffit alors de faire mouvoir les rideaux pour que l'enfant se calme.

 

Dans ces conditions là, on peut se demander si on ne revient pas à une théorie de l'étayage qui consisterait à dire que le besoin d'autrui est appris par l'intermédiaire du maternage, d'une nourriture. Mais il s'agirait ici d'une nourriture particulière, la nourriture sensorielle. On pourrait donc conclure que dans les deux premiers mois de la vie ce n'est pas la présence d'autrui qui est importante mais cette nourriture sensorielle: l'enfant réagissant négativement à la monotonie, il faut rompre cette monotonie, et d'ailleurs les mères sans avoir fait d'études de psychologie, savent très bien comment calmer un enfant en produisant à côté de lui des stimulations de tous ordres.

 

Des études plus fines ont assoupli ce schéma en termes de stades. Comme d'habitude, une théorie des stades est toujours très contestable: elle peut être utile à un certain moment de la recherche mais elle risque d'effacer ce qui est souvent essentiel, à savoir la connaissance des préparations des conduites futures, de ce qu'on peut appeler les préludes.

La considération du besoin de stimulations sensorielles, besoin qui apparaît comme dominant sous le critère de l'apaisement dans les premières semaines de la vie, ne doit pas nous masquer l'amorce d'une conduite très précoce, le sourire, qui est probablement le prélude des conduites d'attachement qui deviendront elles mêmes dominantes vers l'âge de deux mois.

On sait maintenant que le sourire s'ébauche dès les premières heures de la vie, entre la troisième et la quinzième heure, selon les enfants, qu'il ne concerne alors que les muscles de la bouche (nous revenons à l'oralité peut être) et que dans les jours suivants, la morphologie du sourire s'élargit, gagne les yeux, différents stimuli provoquent alors automatiquement le sourire, la voix à une certaine hauteur de ton qui correspond au registre féminin, puis des stimuli visuels comme le visage, les yeux.

Il ne s'agit pas encore d'une réaction à une personne. L'enfant n'a pas encore construit un tel Objet. On le stimule avec différentes sources sonores, de différentes hauteurs, voix enregistrées, sonnettes... etc. On voit à quoi il réagit, à quoi il ne réagit pas. On utilise aussi des leurres et on constate que l'enfant à partir d'un certain âge réagit à la forme du visage. Il fixe d'abord la ligne des cheveux et puis à un certain âge, c'est le mouvement des yeux qui déclenche à coup sur le sourire.

 

Les mécanismes seraient donc innés, le sourire appartient à l'homme et d'ailleurs différentes recherches ont montré que chez l'enfant aveugle le sourire jusqu'à un certain âge se développe comme chez l'enfant voyant. On sait également que dès l'âge de trois mois la réaction sourire à l'étranger n'est pas la même en fréquence et en intensité que celle à la mère ou à une personne familière. Entre cinq et quinze semaines, il est impossible de distinguer une différence entre le sourire à la mère et le sourire à une personne étrangère, alors qu'à partir de quinze semaines la différence est incontestable.

 

On peut donc déduire :

  1. que les conduites d'échange, que le tissage des liens commencent dès le premier mois de la vie. On peut fort bien admettre cependant que la recherche des stimulations sensorielles est alors le trait dominant, mais l'un n'exclut pas l'autre, toutes les conduites du sourire prouvant qu'un autre processus se développe simultanément;

  2. que la distinction entre le familier et l'étranger commence bien plus tôt qu'on ne le croyait, probablement dès l'âge de trois mois;

A propos de la discrimination mère/Etranger, on sait que les choses sont beaucoup plus complexes qu'on ne l'imaginait du temps de SPITZ. L'Objet d'attachement défini par les critères de protestation quand la mère s'en va et d'apaisement quand la mère revient, existe plusieurs mois avant que n'apparaissent les réactions négatives à l'égard de l'étranger. Les réactions négatives à l'étranger, et pas nécessairement de peur d'ailleurs, se produisent deux ou trois mois après que les critères d'existence de l'Objet libidinal, de l'Objet d'amour, soient acquis.

 

Les toutes premières réactions à l'égard de l'étranger sont beaucoup plus souvent d'étonnement, de curiosité, de plaisir, que des réactions d'évitement et de peur, sauf lorsque le contact est proche. On constate qu'à huit mois l'enfant n'a pas peur lorsque l'étranger est à une certaine distance de lui (un mètre ou deux). Lorsque l'étranger s'approche et établit un contact physique, un certain nombre d'enfants ont des réactions négatives qui sont encore minoritaires à l'âge de dix mois. Ce n'est que vers treize mois qu'on note des réactions négatives chez la majorité des enfants. La notion d'angoisse du huitième mois, avec l'interprétation que SPITZ en donnait, est donc rejetée par tous les observateurs psychanalystes de la prime enfance. De toute façon, il n'y a pas simultanéité d'apparition des signes positifs de l'Objet d'attachement et de réactions négatives à l'égard de l'étranger. D'autre part, la réaction de peur caractérisée est plus tardive qu'on ne le pensait (elle est d'ailleurs différentielle suivant qu'il s'agit de garçons et de filles) et la réaction se produit au moment où l'Etranger s'approche pour toucher l'enfant et le prendre.

Il faut enfin ajouter que les enfants n'ont pas qu'un seul Objet d'attachement: il semble que vers sept mois, lorsque l'attachement apparaît, dans 70% des cas il s'agisse effectivement de l'attachement à une seule personne, et dans 40% de la population étudiée cette personne est la mère. Dans un pourcentage non négligeable, le père, ou d'autres personnes sont aussi Objets d'attachement.

 

Il n'y a donc pas un seul Objet d'attachement, cet Objet n'est pas nécessairement la mère, ce peut être une personne qui ne s'occupe pas continuellement de l'enfant. Il faudra de longues semaines, de longs mois pour construire cet Objet d'attachement dans une sorte de lente imprégnation, enfin, quatre mois environ après la création du premier Objet, pour la majorité des enfants il y a au moins deux Objets d'attachement: le père et la mère.

 

Questions ouvertes à propos de l'attachement

 

La notion d'attachement n'est plus contestée mais on peut diverger d'interprétation. L'attachement  est "appris" et c'est le besoin qui serait inné mais non l'attachement lui-même. Il y a à se demander comment l'enfant passe de l'attachement au détachement. Après avoir été lié à la mère, après avoir créé cet Objet d'amour, il acquiert en dépit ou grâce à lui, son autonomie par rapport à la mère, son indépendance. Ceci a été étudié chez l'animal et encore par HARLOW de très belle façon. Il nous montre comment le petit rhésus, à partir d'un certain âge, vers deux mois (il peut déjà marcher), quitte la mère pour aller vers tout ce qui brille, ce qui est inhabituel, étrange. Il veut y aller, la mère le retient, il s'échappe, il a peur, il revient vers la mère qui lui donne quelques claques (certaines mères sont d'ailleurs plus permissives que d'autres). Il se blottit alors contre elle. Et puis, à un certain moment, il repart, et un beau jour il s'en va pour de bon. Il y a donc ce va et vient entre la recherche du giron maternel, la sécurité et le départ vers "ailleurs", vers la liberté. Comment s'opère, et par quel jeu de complicité et de conflit entre la mère et l'enfant, cette émancipation? De quelle façon l'attachement est-il à la fois entrave et condition pour la vie libre?

 

Il y a là une question majeure. Après que l'enfant humain se soit détaché au sens où l'entend SCHAFFER (il ne recherche plus la proximité mais au contraire la distance), il conserve avec la mère, et pendant de longues années et pour toujours, des liens d'affection. C'est le problème de l'intériorisation du lien qui, au contraire de la dépendance émotionnelle, peut être durable. Le détachement au sens littéral du terme n'est pas la négation de l'attachement. Le lien change de nature. Mais comment? Et comment l'attachement prépare t'il l'établissement d'autres liens avec d'autres personnes?

 

Il ne faut pas trop se hâter de répondre. Les réponses de "bon sens" risquent d'être purement verbales et d'entretenir nos préjugés d'adulte, nos illusions introspectives. Quant aux spéculations les plus brillantes, elles apparaissent presque toujours d'une naïveté extrême le jour où nous découvrons les faits tels qu'ils sont. Il ne servirait à rien d'opposer métaphysiquement l'amour intériorisé à l'attachement primaire, comme le désir au besoin, et en fin de compte le psychique au biologique.

Qu'il y ait là une dualité de niveaux fonctionnels, c'est l'évidence. Mais affirmer cette évidence ce n'est rien expliquer à moins de considérer comme explication l'avènement d'un principe psychique à un moment donné, qui transcende le biologique ou qui s'étaye sur lui. A la manière de BERGSON qui pose l'esprit sur le corps comme on accroche sa veste à un porte manteau. L'explication est dans la recherche de genèse, de filiation, une création du temps concret: maturation nerveuse, expériences, activité, et aussi la collaboration de l'entourage, le processus de différenciation à partir de la symbiose primitive.

 

Nous savons aujourd'hui que le corps ne vit pas seulement de nourriture mais de chaleur d'autrui. Le biologique n'est pas seulement défini par les fonctions de respiration, de circulation, de nutrition mais aussi par la recherche du congénère et nous savons que cette fonction jusqu'alors ignorée est déjà observée chez l'animal. En d'autres termes, entre autres ceux que la psychanalyse emploie, les pulsions d'auto conservation visent non seulement la quête de nourriture mais aussi la présence d'autrui. La notion d'attachement opère alors sans doute une jonction entre les fonctions qui assurent la survie individuelle et celles qui assurent la survie de l'espèce. Elle invite à remettre en cause l'économie dualiste des pulsions, telle que Freud pouvait la formuler dans le langage de son époque. L'attachement c'est à la fois un processus d'auto conservation et d'intégration dans l'espace avec ses deux aspects de socialité et de sexualité. Il n'y a pas de hiatus entre les pulsions d'auto conservation et les pulsions relatives à l'espèce.

 

Les expériences sur le rhésus ont aussi permis à HARLOW de démontrer à la fois la puissance du besoin d'attachement chez l'enfant et l'existence de systèmes d'affection. Une première expérience est désormais célèbre: une singe femelle élevée dans l'isolement est parvenue à l'âge adulte, elle refuse tout contact avec ses congénères, toute approche du mâle. On procède à une insémination artificielle. Un enfant naît. Elle refuse de le nourrir, elle le maltraite, elle tente plusieurs fois de le tuer. L'enfant pourtant ne se laisse pas rebuter par les mauvais traitements, il s'accroche à elle, il la cajole, et petit à petit la mère se laisse séduire, elle s'attache à son petit. Parallèlement, son attitude à l'égard des mâles se modifie: elle est fécondée sans artifice. Et son second enfant, elle l'accepte avec tendresse.

 

Les liens se créent dans l'enfance au moyen de systèmes d'affection: système mère/enfant, système père/enfant, système entre compagnons d'âge, si important pour le jeune rhésus puisqu'il peut pallier pour lui la perte de la mère. La notion de système complète la notion de besoin d'attachement. Contrairement à ce qu'on a pu dire, la théorie de l'attachement ne fait pas de l'enfant un être isolé, seul artisan de son développement. Au besoin originel de l'enfant, il faut bien en effet qu'autrui soit disposé à répondre. Cette disposition peut avoir pour racines chez l'adulte ses propres attachements de la prime enfance. Mais elle est déterminée aussi par une très longue histoire. Dans le couple mère/enfant, la mère apporte au tissage des liens, la coloration de sa sexualité adulte. Elle est la séductrice bien avant que son enfant soit séducteur. Dans la symbolique de FREUD, pourquoi est il question uniquement d'Oedipe et jamais de Jocaste, sa mère?

Texte de Mr René Zazzo: "l'attachement, un besoin primaire",

extrait de la revue "le groupe familial" n° 71, avril 1976. 

 

 

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LE STADE DU MIROIR

 

Le développement de la personnalité passe par l’acquisition du "JE". Beaucoup de malades mentaux ne sont pas "sujet de leur discours".

 

Il faut bien savoir que le nourrisson ne se vit pas distinct de sa mère, et donc qu'il n'a pas conscience de son propre corps. Ce n'est que progressivement qu'il va prendre conscience de lui-même, et intégrer les limites de ce corps qui est à lui et différent des Autres. Il distinguera ainsi ce qui est de l'ordre du Moi et ce qui ne l'est pas.

On peut remarquer déjà que vers 4 mois il réagit à son image reflétée par le miroir, mais comme à n'importe quelle apparition d'enfant. Il sait par contre reconnaître sa mère et la reconnaît dans le miroir, mais n'a pas encore réalisé qu'il s'agissait d'une image.

Dans cette évolution psychique du petit enfant, survient vers 7 ou 8 mois un stade important pour son développement que LACAN nomme le "stade du miroir". Cette étape doit permettre au bébé d'identifier ce corps qui est à lui et qui est différent de l'Autre, le premier Autre la mère. Son corps à lui, il l'a déjà exploré des mains, de la bouche, et ses yeux ont enregistré les mains et les pieds qui passaient devant son visage. Il reconnaît aussi les visages de ses proches. Quand il se voit dans le miroir, il attend une réaction de cet Autre devant lui. La mère qui le tient dans ses bras (ou est placée derrière lui) va lui nommer cette image et lui dire "c'est l'image de ton corps, c'est toi que l'on voit dans le miroir". Cette parole de la mère va lui faire prendre conscience de leur existence distincte,  à elle et à lui. Il va chercher confirmation en se retournant pour voir sa mère derrière (ou à côté de) lui.


Cette étape du stade du miroir a une grande valeur symbolique dans l'évolution psychique de l'enfant. Elle le force à prendre conscience qu'il est différent de sa mère, des Autres. Elle lui donne des limites dans la vision de ce corps "limité" par un contour, et aussi par une taille. Il se perçoit comme un tout, unique, et aussi comme extériorité. Il découvre les parties de son corps qu'il ne connaissait pas encore: le schéma corporel se construit. La relation affective que l'enfant entretient avec les autres, de symbiotique (relatif à un soutien mutuel) devient anaclitique (conscience de ce soutien). Désormais l'enfant sait qu'il a besoin de la mère. C'est une période très importante de distinction, que ce soit extérieur/intérieur ou Moi/Autre (le "Moi" se forme en même temps que se forme l'Objet extérieur, l'un n'existant que par rapport à l'autre).
Il découvre aussi que l'Autre dans la glace n'est qu'une image et non un être réel. C'est un leurre: l'enfant passe du réel à l'imaginaire.

 

Distinction entre les théories de LACAN et de DOLTO

 

Chez LACAN, le miroir est une surface plane qui réfléchit visuellement. L'image du "stade du miroir" est ainsi un mirage de totalité et de maturation face au réel dispersé et immature que l'enfant a de son corps. C'est donc une expérience première et inaugurale dans un réel dispersé et morcelé. LACAN oppose le corps morcelé du bébé à cette image globale à laquelle il doit se confronter. C'est un commencement dans sa maturation psychologique. De cet impact naîtra une "jubilation" due à l'appropriation de cette image de son corps, total et aimé de la mère. Le stade du miroir a une valeur décisive.

 

Chez DOLTO par contre, le miroir est une surface réfléchissante de toute forme sensible, visible comme psychique. Ce qui importe alors, c'est la fonction relationnelle réfléchie par l'image du miroir. La surface plane du miroir est relativisée, ce n'est qu'un instrument parmi d'autres pour individualiser le corps, l'image inconsciente du corps mais aussi le visage, et découvrir la différence (Moi/Autre, différence des sexes...). L'enfant n'est pas dans un réel dispersé et morcelé mais déjà cohésif et continu. L'opposition n'est plus dans un face à face mais bien plutôt entre deux images différentes: l'image visuelle vue par l'enfant et l'image inconsciente qu'il a de son corps. Le stade du miroir ne marque plus un commencement mais confirme une "individuation narcissique primaire". Et l'impact produit chez l'enfant n'est plus jubilatoire mais s'apparente bien à une épreuve douloureuse de castration. En effet, l'enfant fait le constat qu'il existe un grand écart entre son image et lui. Il n'est pas cette image que lui renvoie le miroir et devant laquelle s'extasie sa mère. Il ne se réduit pas à cela, et c'est une véritable épreuve qu'il doit franchir.

 

 

Communication de Lacan

sur le "stade du miroir".

 JACQUES LACAN ET LE STADE DU MIROIR

 

 

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LES PULSIONS

 

Définition

 

La pulsion est une force biologique inconsciente qui, agissant de façon permanente, suscite une certaine conduite. La source des pulsions est corporelle. C'est un état d'excitation (la faim, la soif, le besoin sexuel) qui oriente l'organisme vers un objet, grâce auquel la tension sera réduite. La pulsion fournit l'énergie psychique nécessaire à l'activité de l'appareil psychique. C'est une charge énergétique qui fait tendre l'appareil psychique vers un but. Concept à la limite du somatique et du psychique, une pulsion a trois composantes:

Les pulsions partielles ou pré-génitales sont celles qui sont à l'oeuvre dans la sexualité infantile (pulsions orales, anales, phalliques) et qui seront rassemblées comme préliminaire de la pulsion génitale.

 

Affect et représentation

 

Dans la pulsion, il faut envisager l'affect et la représentation. La représentation est définie comme ce que l'on se représente, ce qui forme le contenu concret d'un acte de pensée, en particulier la reproduction d'une perception antérieure (par exemple l'évocation d'un voyage). L'affect est l'expression qualitative de la quantité d'énergie pulsionnelle et de ses variations (pour l'exemple cité, ce pourra être le sentiment agréable de bonheur qui s'attache à ce voyage).

 

Théorie Freudienne :

 

FREUD a étudié les pulsions dites "instinctuelles" et le refoulement qu'elles subissent par la censure morale. Il est d'usage de distinguer trois étapes dans le cheminement de la pensée de FREUD:

  1. Première étape : elle est caractérisée par le dualisme entre pulsions sexuelles d'une part, et pulsions du Moi ou d'auto conservation d'autre part. Cette dualité est une opposition entre les pulsions qui servent à la sauvegarde de l'individu et les pulsions qui assurent la conservation de l'espèce. Les pulsions sexuelles, par leurs exigences, peuvent compromettre la sécurité du sujet, en tout cas sa quiétude à l'intérieur de son milieu social. Toutefois, un apport majeur de cette première élaboration est la notion d'étayage. En effet, pulsions sexuelles et pulsions du Moi ne s'opposent pas d'emblée. Au début de la vie, elles s'étayent sur les fonctions d'auto conservation, c'est à dire qu'elles empruntent à la fois la source et leur objet. La pulsion sexuelle ne se définit en somme que par un certain mode particulier de satisfaction qui n'est qu'une sorte de bénéfice obtenu en plus. Une des conséquences importantes de cet étayage sur diverses fonctions du corps est la notion de pulsions sexuelles. Il n'y a ainsi qu'une sexualité, qu'une pulsion sexuelle, mais de l'enfance jusqu'à la phase oedipienne, les composantes de cette pulsion peuvent fonctionner de façon autonome.

  2. Deuxième étape : elle est marquée par l'introduction du narcissisme dans la théorie des pulsions. Si auparavant FREUD distinguait une satisfaction auto érotique et une satisfaction objectale, il introduit maintenant une autre modalité qui est l'investissement global du Moi par la libido. Le narcissisme nous amène à considérer 3 faits: un état totalement indifférencié (Moi- ça- sujet- monde extérieur), la constitution d'une image unifiée du Soi par succession des auto érotismes et (ou) par intériorisation d'une image de l'Autre, le retrait sur le Moi de la libido investissant les objets extérieurs (narcissisme secondaire).

  3. Troisième étape : elle institue l'opposition entre pulsions de vie et de mort. La pulsion de mort est postulée à la suite d'une remise en cause du principe de plaisir par la compulsion de répétition. Il semble exister dans la vie psychique une tendance irrésistible à la répétition qui s'affirme sans tenir compte du principe de plaisir en se mettant en quelque sorte au dessous de lui. La tendance à la répétition est une propriété générale des pulsions qui poussent l'organisme à reproduire, à rétablir un état antérieur auquel il avait dû renoncer. Le changement et le progrès seraient dus à l'action des facteurs extérieurs, des facteurs perturbants qui obligent l'organisme à sortir de cette inertie. Mais l'état antérieur à la vie étant inorganique, on peut dire que la pulsion tend à ramener l'organisme vers l'inorganique, ou encore que la fin vers laquelle tend toute vie est la mort. On en arrive ainsi à postuler aux racines de notre vie psychique une pulsion de mort. A celle-ci s'oppose une pulsion de vie (EROS) qui tend à organiser des formes de substances vivantes de plus en plus complexes et à les maintenir tels. Cependant, les deux pulsions de vie et de mort peuvent se trouver unies dans des proportions variables et ces variations modifient de façon considérable le comportement du sujet.

Pulsions de vie et de mort sont toujours intriquées. Cette intrication tient à l'action propre d'EROS qui cherche toujours à assembler, lier. Lorsqu'il y a désintrication des pulsions apparaît l'ambivalence amour/haine. A la limite on peut dire que deux conceptions existent. Dans la première conception pulsionnelle, la vie a son origine à l'intérieur de l'organisme et la pulsion est en quelque sorte à son service. Dans la deuxième, la vie a son origine dans un accident extérieur à l'organisme et les pulsions tendent au contraire à ramener cet organisme à un inorganique antérieur à la vie. La mort selon FREUD serait le résultat proprement dit et le but de la vie. Ce n'est pas la mort qui est un accident, c'est la vie.

 

 

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L'ANGOISSE

 

Spécificité de l'angoisse

 

- L'inquiétude : elle concerne les destinées humaines. C'est une impression d'insécurité inexprimable. Elle peut se rapprocher de l'angoisse.

 

- Doute et soucis : ils se rapportent à une chose, un évènement.

 

- La peur : c'est une sensation immédiate, spontanée. Elle est liée à l'instinct de conservation. Elle provoque une réponse qui est la fuite ou la riposte. Elle est conséquente à la perception d'un danger extérieur. La peur est le choc face à ce danger.

Il faut distinguer plusieurs intensités :

- L'anxiété : c'est un sentiment proche de l'angoisse mais relatif à une difficulté réelle, bien qu'intense. Etant plus mentalisé, ce sentiment est maîtrisable.

 

- L'angoisse : elle est de l'ordre du vécu et sans objet, face à laquelle il n'y a pas de solution. On observe alors une immobilité de l'esprit. Si l'on peut dire que la phobie est une peur sécurisante ("je n'aurai peur qu'en présence des serpents"), l'angoisse par contre ne permet pas la représentation de la peur, et sera donc dramatique pour celui qui la vit.

 

Manifestations physiques de l'angoisse

 

"Angoisse" vient d'un mot latin qui veut dire "passage étroit", "resserrement". Cela traduit le fait d'avoir la gorge serrée, de mal respirer. Les crises d'asthme sont souvent des manifestations de l'angoisse. Il pourra de même y avoir des manifestations cardiaques, vasculaires, céphaliques. Ces manifestations font que l'on perçoit l'expérience de manière déréelle.

 

L'angoisse au cours du développement

 

L'angoisse est une manifestation fonctionnelle que l'enfant doit vivre de manière ponctuelle et maturante.

 

 

DIFFÉRENTS STADES

TYPE D'ANGOISSE

Naissance :  

 ... traumatisme.

Stade oral :  

 ... angoisse de dévoration (être dévoré).

 ... angoisse de persécution (paranoïde et schizoïde).

8ème mois :  

 ... angoisse de séparation ou d'abandon.

Stade du miroir :  

 ... angoisse de morcellement.

Stade anal :  

 ... angoisse de destruction (effraction anale, se vider de son corps).

Oedipe :  

 ... angoisse de castration.

Adolescence :  

 ... angoisse existentielle.

Age adulte :  

 ... angoisse de mort.

 

 

A chacune de ces situations l'angoisse est surmontée car l'individu en trouve des solutions. Il intériorise l'obstacle, se le représente et le maîtrise. Mais il reste toujours une trace de ces angoisses primitives. Chaque nouvelle angoisse est une métonymie. L'angoisse est dynamisante pour la personnalité, ou paralysante dans le cas de l'angoisse pathologique. Dans tous les cas l'on a affaire à une perte et la problématique qui en découle doit être surmontée.

 

Les mécanismes de l'angoisse

 

Théories freudiennes de l'angoisse :

L'angoisse est liée à la pulsion. Un excès de tension crée une surcharge d'énergie qui ne peut se libérer et provoque l'angoisse. L'angoisse est secondaire à la non - utilisation de l'énergie.

- 1ère théorie : l'angoisse est liée à une perte de la représentation.

- 2ème théorie : l'angoisse est le résultat d'un conflit entre le ça et le Surmoi, le ça et le Moi ou le Surmoi et le Moi. C'est le Moi qui vit l'angoisse, comme un signal d'alarme émit par lui face à un désir incompatible. L'angoisse a une fonction d'auto - conservation.

 

Pour Mélanie KLEIN :

Elle décrit deux formes d'angoisses qui correspondent à deux positions. Ce sont deux modalités relationnelles du sujet face au monde extérieur.

- 1ère position : position schizo-paranoïde. C'est celle de l'enfant d'avant 4 à 5 mois, ou plutôt son reflet répétitif, avec l'angoisse de morcellement, de dévoration vis à vis du mauvais Objet, qui est le représentant des pulsions de mort.

- 2ème position : position dépressive. C'est le reflet répétitif d'après 4 mois, correspondant à l'angoisse dépressive. L'Objet affectif est reconnu et l'angoisse correspond à la culpabilité que l'enfant éprouve vis à vis de son agressivité. On a alors affaire à une angoisse de perte de l'Objet idéalisé.

 

Pour René SPITZ :

La méthode de l'observation directe montre l'observation de l'angoisse aux alentours du 8ème mois. Avant, le Moi n'est pas capable de ressentir l'angoisse.

 

Les Objets de l'angoisse

 

Ils sont imaginaires mais peuvent se concrétiser dans des représentations. Ils peuvent aussi faire irruption dans le réel (cas des phobies, des hallucinations). L'Objet dans la réalité n'est qu'un support de l'angoisse.

 

Classification de l'angoisse

 

Il y a trois structures psychopathologiques auxquelles correspondent trois types d'angoisses :

 

Névrose :  ... relation triangulaire  ... angoisse de castration.
État limite :  ... relation anaclitique  ... angoisse de perte.
Psychose :  ... relation fusionnelle  ... angoisse de morcellement.

 

 

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Chap. IV: "comment analyser le transfert des psychotiques", par H. Rosenfeld. Reproduit sur "Psychiatrie Infirmière": psychiatriinfirmiere.free.fr/

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PSYCHOSE ET TRANSFERT

 

Chapitre extrait du livre d'Herbert A. ROSENFELD, intitulé "manifestations transférentielles et analyse du transfert d'un patient atteint de schizophrénie catatonique aiguë", PUF, 1952.

 

L'intérêt de Mélanie KLEIN et de ses disciples pour les phases les plus primitives du développement, ainsi que pour les mécanismes psychotiques dont ils décèlent la présence chez tous les individus, leur hypothèse d'un Moi à l'état d'ébauche qui serait présent dès la naissance les ont conduits à tenter le traitement des psychotiques en étudiant le transfert particulier de ces patients. Leurs interprétations sont très proches de celles d'une analyse classique, et en particulier pour enfant. Il existe à ce niveau un malentendu en ce qui concerne l'opinion de FREUD sur l'incapacité des psychotiques à établir un transfert. Dans son analyse du cas SCHREBER, FREUD relève parfaitement le transfert de celui-ci sur son médecin. Si par ailleurs FREUD parle parfois d'absence de transfert, il veut dire que le transfert du psychotique s'effectue à partir de sa régression narcissique et fait donc partie d'une tentative délirante de renouer avec le monde des Objets. Il le situait alors dans une autre dimension que le transfert des névrosés, ce qui lui posait problème pour en effectuer l'interprétation. Et il faut bien dire que jusqu'à une date récente, la plupart des analystes se sont abstenus de traiter les schizophrènes, pour la simple raison que ces derniers seraient incapables d'établir un transfert.

FREUD (et ABRAHAM) expliquaient cela en soulignant leur régression à un stade infantile très précoce (le stade "auto- érotique") où il n'y a pas encore conscience d'un Objet.

 

Expériences de transfert

 

NUNBERG en 1920 a eu l'occasion d'observer pendant une longue période un patient schizophrène. Il note que le transfert était essentiellement de caractère anal et homosexuel, mais son article donne également une description claire de relations d'Objet d'ordre oral. A l'apogée du transfert sadique- oral, le patient perdit son intérêt pour l'analyste en tant qu'Objet externe. Cependant, la relation avec l'Objet interne était apparemment conservée. NUNBERG lui- même a suggéré que le patient était parfois capable de recouvrer son Objet en le dévorant, et il donne une description des symptômes et des expériences qui résultaient chez ce patient du "fantasme de dévoration de l'analyste".

O'MALLEY en 1923 décrit les réactions de transfert à la fois négatives et positives de ses patients psychotiques.

BARKAS indique que chez des patients psychotiques, les transferts sont souvent de nature violente.

LAFORGUE en 1936 discute l'analyse réussie d'une schizophrène. Au début de l'analyse, la patiente éprouvait une angoisse d'une telle intensité qu'elle était incapable de rester avec son analyste plus de quelques minutes avant de se sauver dans la salle d'attente. Grâce à l'analyse persévérante du transfert négatif, l'angoisse diminua progressivement et elle parla librement, manifestement à la faveur de l'établissement d'un transfert positif.

FEDERN en 1943 a montré que les schizophrènes établissaient un transfert à la fois négatif et positif. Il souligne alors que ses patients schizophrènes ne peuvent être traités que dans un transfert positif qui doit être constamment entretenu. Il n'interprète pas le transfert, qu'il soit positif ou négatif, et il interrompt le traitement dès que le transfert négatif apparaît.

ROSEN en 1950 a montré que tous les patients schizophrènes ont manifesté un fort transfert négatif et positif, qu'il traite par la réassurance et l'interprétation.

 

A propos de la schizophrénie, des auteurs américains ont décrit l'importance du transfert et ils en ont conclu que le nourrisson était capable de relation d'Objet dès la naissance.

EISSLER en 1951 a souligné que les schizophrènes répondaient pratiquement à toute approche psychothérapique compréhensive, et cela est dû à son avis à la grande acuité de la perception qu'ils ont du "processus primaire" à l'œuvre dans l'esprit d'autrui. Cependant il n'a pas vu que cette particularité était une manifestation transférentielle pouvant être rattachée à une relation d'Objet primitive spécifique.

 

En Angleterre, les recherches de Mélanie KLEIN sur les phases précoces du développement infantile ont beaucoup encouragé les analystes à étudier des états psychotiques de gravités diverses. Elle a apporté des preuves de ce que le nourrisson développe dès la naissance des relations d'Objet à la fois avec des Objets externes et, à la suite d'introjections, avec des Objets internes. Elle reconnaît l'importance de l'auto- érotisme et du narcissisme, mais elle a beaucoup ajouté à la compréhension de ces phénomènes par son hypothèse selon laquelle ces derniers comportent l'amour de l'Objet internalisé. Elle a contribué à la psychopathologie de la schizophrénie dans son article "note sur les mécanismes schizoïdes". Elle y décrit les mécanismes schizoïdes au moyen desquels le nourrisson se défend contre des angoisses qui sont de forme paranoïde à ce stade le plus précoce du développement. Elle appela cette période la "position schizo-paranoïde". KLEIN est d'accord avec FREUD sur le fait que le schizophrène régresse au niveau infantile le plus précoce des tout premiers mois de la vie, mais la vue qu'elle en a est différente de celle de FREUD.

 

Confusion psychotique entre MOI et NON-MOI

 

Notons une forme particulière de relation d'Objet qu'entretient le patient schizophrène: quand il approche avec amour ou haine d'un Objet quelconque, il semble se confondre avec cet Objet. Cela n'est pas seulement la conséquence d'une identification par introjection, c'est aussi le fait de pulsions et de fantasmes aboutissant à faire pénétrer la totalité ou des parties de lui-même dans l'Objet afin de contrôler ce dernier. Mélanie KLEIN a proposé le terme d'identification projective pour ces processus. Cette identification, complémentaire de l'introjection de l'Objet, apporte un certain éclairage sur les difficultés du nourrisson à distinguer le Moi et le non-Moi, et elle rend compte de beaucoup de manifestations habituellement appelées auto-érotiques ou narcissiques. Elle est également en rapport avec les processus de clivage du Moi. Les pulsions et les fantasmes de pénétrer de force dans l'Objet peuvent être considérés comme la forme la plus primitive de relation d'Objet, laquelle commence dès la naissance. Ceux-ci peuvent colorer les pulsions orales, anales, phalliques, et influencer ainsi les relations d'Objet précoces et même des relations d'Objet plus tardives. Il faut bien savoir que les sujets schizophrènes n'ont jamais complètement dépassé la phase la plus précoce du développement à laquelle cette relation appartient, et c'est à ce niveau qu'ils régressent dans les états schizophréniques aigus. La gravité du processus dépend d'un facteur quantitatif, à savoir l'importance de la partie du Moi et des forces instinctuelles qui est entraînée dans cette régression.

 

Le négativisme en défense contre la confusion

 

Dans la schizophrénie, les défenses du Moi contre les tendances à pénétrer de force dans divers Objets ont également une grande importance. Le négativisme est par exemple l'une de ces défenses.

Anna FREUD, dans un article de 1951 intitulé "négativisme et capitulation émotionnelle", explique que le négativisme de sa patiente était lié à la peur d'éprouver de l'amour pour l'analyste, car cela aurait voulu dire pour la patiente qu'elle était en train de capituler devant elle, et donc qu'elle serait envahie par l'analyste. Anna FREUD suggéra que ces processus remontaient aux tout premiers mois de la vie, qu'ils étaient peut-être liés à l'introjection et qu'ils pouvaient avoir un rapport avec la schizophrénie.

ROSENFELD, dans un article intitulé "analyse d'un état schizophrénique avec dépersonnalisation" rapporte le cas d'une patiente dont l'attitude négative à l'égard de tout ce qui concernait l'analyste diminua lorsqu'il eut commencé à comprendre sa peur, de nature paranoïde, que l'analyste pénètre de force en elle, lui faisant perdre son identité. Son attitude négative la défendait en fait contre l'activité de son désir amoureux, car celui-ci était lié à des pulsions et à des fantasmes dans lesquels elle pénétrait de force dans l'analyste pour le voler et faire le vide en lui. Elle se défendait également contre la peur de se perdre à l'intérieur de lui.

 

Une schizophrénie grave traitée par la psychanalyse

 

Présentation du cas par Herbert ROSENFELD : le matériel clinique qu'il présente est celui d'un schizophrène très malade âgé de vingt ans, qu'il a traité par la psychanalyse pendant 4 mois.

"Le patient était malade depuis 3 ans lorsque je le vis pour la première fois. Il souffrait d'hallucinations, de confusions et d'accès de violence. Il avait eu en tout 90 comas insuliniques et plusieurs électrochocs. Le directeur médical de l'hôpital psychiatrique où vivait ce patient le décrivait comme l'un des pires cas de schizophrénie auxquels il ait eu affaire. On disait qu'il était dangereusement impulsif, replié sur lui-même, et parfois presque muet. Ni les médecins ni les infirmières n'avaient été capables d'établir un contact avec lui. Cependant, lorsque deux collègues psychanalystes le virent en consultation, ils purent établir un certain contact avec lui, et ils pensèrent qu'une psychanalyse pouvait être essayée. C'est alors que je commençai l'analyse, au début de 1952. Pendant une quinzaine de jours, il fut conduit à mon cabinet en voiture. Après quoi je le vis à l'hôpital psychiatrique privé où l'on s'occupait de lui. La psychanalyse fut interrompue au bout de quatre mois par les parents qui vivaient à l'étranger, et cela fut malencontreux car un travail analytique important avait été fait. A partir du troisième mois, le patient avait des périodes de raison qui duraient plusieurs heures après la séance d'analyse. Mais il était clair qu'il aurait fallu encore de nombreux mois avant qu'une amélioration stable puisse être espérée."

 

"L'aspect le plus important et le plus frappant de l'analyse de ce patient apparemment inaccessible et replié sur lui-même fut l'intérêt qu'il manifesta dès le début pour l'analyste et pour le déroulement de l'analyse. Dès les premières séances, des manifestations de transfert positif apparurent, et au cours de la troisième séance un transfert négatif violent vint à la surface. Mon approche personnelle était analytique dans la mesure où j'interprétais au patient une grande partie de ce que j'étais capable de comprendre de ce qu'il disait et de son comportement. Et toutes les fois que c'était possible, c'est à dire souvent, le matériel analytique était rapporté à la situation de transfert. Le patient réagissait souvent de façon saisissante aux interprétations, tantôt détendu, tantôt angoissé. Souvent, il confirmait ce que je lui avais dit de façon directe ou indirecte, et parfois il me corrigeait. On pourrait considérer que, dans ce cas, le déroulement de l'analyse, pour l'essentiel, était très comparable à celui d'un cas de névrose. Cependant, je ne me suis pas servi de divan. Le matériel apporté par ce patient était d'une compréhension plus difficile que celui des patients névrosés, et je me suis quelquefois trouvé dans l'obligation de comprendre et d'interpréter à partir de très peu de matériel. Ultérieurement, l'analyse ressembla à une analyse d'enfant par le jeu."

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Une séance qui illustre la méthode de l'auteur

 

"Afin de donner une image plus précise du comportement du patient et de sa façon de parler, ainsi que de ses réactions aux interprétations, je vais rapporter de façon plus détaillée la plus grande partie des quatre premières séances et d'une séance ultérieure. Avant la première séance, le patient avait été informé par un collègue qu'il me verrait régulièrement chaque jour, à l'exception du dimanche. Lorsque le patient fut seul avec moi pour la première fois, il s'assit dans un fauteuil, l'air perplexe et confus. Après quelques minutes, il parvint à dire un mot: "résurrection". Après quoi il sembla à nouveau confus. Je dis: "résurrection veut dire vivre". Il me regarda en face et me demanda: "êtes-vous Jésus?". Je répondis que Jésus pouvait faire des miracles et qu'il espérait que je pourrais le guérir de façon miraculeuse. Alors, il sembla saisi de désarroi et de doute. Après un silence considérable, il mentionna le nom du docteur A. qui l'avait traité par des procédés physiques pendant plus d'un an. Après une longue pause, il dit: "catholicisme". J'interprétai qu'il avait cru dans le docteur A. et qu'il se sentait désappointé parce que le traitement avait échoué. Il répliqua alors en soulignant: "les Russes étaient nos alliés". Je lui répondis qu'il avait le sentiment que le docteur A. avait été son allié, et que maintenant il s'était retourné contre lui. Qu'il avait peur que moi aussi, après avoir été un allié, je ne me transforme en ennemi. Il dit alors clairement: "c'est vrai". A partir de ce moment il devint plus communicatif et rationnel et il indiqua un certain nombre de ses problèmes sexuels, par exemple la circoncision, dont il pensait que c'était une forme de vengeance, et il dit: "je ne comprends pas l'amour et la haine". Plus tard il dit: "il y avait un garçon à l'école". Après une pause, il continua: "il était assis à côté de moi, mais l'ennui était qu'il y avait un autre garçon de l'autre côté". J'interprétai qu'il commençait à m'aimer comme il avait aimé le garçon à l'école. Mais il me voulait tout à lui, alors qu'il comprenait que j'avais d'autres amis et d'autres patients. Il fut d'accord, mais peu après il s'agita, se leva de son fauteuil et dit: "on doit partir immédiatement. Je ferais mieux de partir maintenant". Et ensuite il marmonna: "il me faut une scie". Je pensai qu'il était effrayé par sa jalousie vis-à-vis des autres patients et qu'il voulait partir afin de s'empêcher de me haïr et de m'attaquer. Lorsque je le lui eus montré, il resta agité jusqu'à la fin de la séance."

 

"Je résumerai ainsi les aspects les plus frappants de cette séance: ce patient, particulièrement malade et confus, essaya presque d'emblée de rattacher l'expérience actuelle de sa relation avec moi à une relation interpersonnelle antérieure. Dans son esprit, le médecin qui avait cessé de le traiter, après avoir été un ami et un allié, s'était transformé en ennemi. En me demandant si j'étais Jésus, il me considérait apparemment comme un personnage omnipotent. Par la suite, il manifesta les signes de l'établissement d'un transfert homosexuel. Son angoisse au moment de nous quitter et son besoin d'une scie ne furent pas suffisamment compris lors de la première séance, mais cela indiquait son incapacité à détacher de moi des parties de lui-même. Dans l'ensemble, son intérêt pour moi en tant qu'Objet était indéniable."

 

Premiers pas vers le transfert

 

"Au début de la deuxième séance, le patient avait l'air sensiblement plus confus que lors de la première, et il semblait préoccupé par des hallucinations. Il ne fit pas attention à moi et regarda tout autour de la pièce avec perplexité, essayant de fixer ses yeux sur un point et puis sur un autre. Il semblait n'avoir aucun contact avec moi. Au bout d'un certain temps, j'interprétai qu'il m'avait perdu et qu'il essayait de me retrouver. Il dit distinctement: "pas vrai", et il continua sa recherche autour de la pièce. Me rappelant sa remarque à propos de la scie, au moment de me quitter la dernière fois, j'interprétai qu'il s'était perdu lui-même et qu'il était en train de se chercher dans mon bureau. Son expression devint presque immédiatement moins confuse et il me regarda en face, disant: "chacun doit chercher ses propres racines". Un peu plus tard, il dit: "je ne sais pas si c'est bien que vous aimer trop". J'interprétai qu'il avait peur en m'aimant trop de tomber en moi et de perdre ses propres racines et lui-même. Il répondit: "je veux continuer tranquillement à ma manière à moi". Après cela il s'immobilisa complètement et ne bougea plus pendant dix minutes. Lorsque je l'interrogeai, il répondit qu'il avait peur de bouger. Après une pause il continua, disant qu'il avait un lourd fardeau sur les épaules, et rapidement, il ajouta en me regardant: "maintenant c'est plus léger". Je lui montrai qu'il indiquait là son souhait de se décharger rapidement de ce fardeau."

 

"Dans la première partie de cette séance, le patient semblait complètement replié dans un univers personnel, oublieux de moi et seulement en proie à des hallucinations visuelles. Il corrigea une interprétation de transfert, à propos du fait de me perdre. Mais il répondit à l'interprétation qu'il s'était perdu lui-même. Cette dernière interprétation est bien sûr également une interprétation de transfert, prenant en compte le sentiment du patient qu'en m'aimant trop il s'était perdu dans mon bureau, symbole de moi-même. L'état apparent de repli narcissique était clairement en rapport avec l'identification projective. La signification du fardeau sur ses épaules et la façon dont celui-ci s'allégea si rapidement n'étaient pas claires pour moi, mais l'expression de la physionomie du patient indiquait que ce fardeau avait quelque chose à voir avec moi, c'est à dire qu'à la suite d'une introjection j'étais devenu un fardeau interne pour lui."

 

L'analyste transformé en persécuteur

 

"Au début de la troisième séance, le patient était très agité et riait beaucoup, d'une manière provocante et agressive. Il était également en proie à des hallucinations et, lorsqu'il ne riait pas de moi, il m'ignorait. D'abord, aucun contact avec le patient ne semblait possible et il ne disait rien. En observant son comportement, je remarquai qu'il faisait des gestes de la main, comme pour me balayer de côté. J'interprétai alors qu'il voulait me montrer que le traitement n'était plus bon. Il dit immédiatement, en accentuant son rire agressif: "plus bon du tout!", faisant des mouvements des mains comme si tout était terminé. Je lui montrai qu'il avait espéré un traitement miraculeux et rapide, et que dans son désappointement et sa haine, il avait le sentiment de m'avoir détruit et de n'avoir fait rien de bon du traitement et de moi. Après cela l'expression de sa physionomie changea, il parut effrayé et suspicieux, et lorsque je pris la parole il sauta dans son fauteuil, comme si je l'avais attaqué. J'interprétai qu'il se sentait incohérent et confus, et qu'il me reprochait de se sentir si mal. Il était effrayé lorsque je prenais la parole, parce qu'il croyait que je le bourrais agressivement de mots afin de le rendre confus. Ceci expliquait pourquoi il se fermait à moi et essayait de ne pas faire attention à moi. Je dus répéter plusieurs fois des interprétations assez semblables, en parlant très distinctement et très tranquillement. Au bout d'un certain temps il sembla moins effrayé et parla d'échelles de couleurs. Il désigna alors mon agenda bleu et dit qu'il était marron. Je pris cela pour une manifestation de coopération, m'indiquant plus clairement ce qu'il ressentait, tout particulièrement que ses attaques m'avaient transformé en fèces et que pour me venger je mettais du désordre (des fèces) en lui."

 

"Ce qui frappe le plus dans cette séance, c'est la violence du transfert négatif qui vint à la surface si tôt après le début du traitement. Son rire exprimait à la fois une attaque sadique contre moi et un triomphe sur moi. Ses attaques anales m'avaient transformé en persécuteur. Cette situation de persécution se répéta souvent sous différentes formes, et par la suite il devint évident qu'il n'était pas possible de considérer ces attaques seulement du point de vue de l'analité. J'ai indiqué qu'à la fin de la dernière séance il avait parlé d'un fardeau pesant sur ses épaules. Au cours des séances ultérieures, il donna des exemples qui montraient que ce fardeau représentait tous les problèmes qu'il ressentait à l'intérieur de lui, les Objets introjectés, ses angoisses, sa dépression et la persécution, et son propre mauvais côté. Et il avait toujours son fantasme de mettre ce fardeau sur mes épaules ou à l'intérieur de moi comme une violente attaque contre moi, dans laquelle je n'étais pas seulement transformé en fèces, mais je devenais son propre mauvais côté. Je ne puis que donner des indications à propos d'un autre point: chaque fois que le patient avait le sentiment qu'il s'était débarrassé de son fardeau, il ne se sentait pas seulement persécuté par moi, mais il lui semblait qu'il s'en était déchargé dans une quantité innombrable de gens et, de ce fait, il se sentait clivé et divisé en plusieurs hommes qui devenaient tous des persécuteurs. En dehors de ses sentiments de persécution, il se plaignait alors de perdre des parties de lui-même."

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La perte du lien avec le monde extérieur

 

"Un autre aspect important de cette séance fut le retrait par le patient de son intérêt pour le monde extérieur. Le retrait et le manque d'intérêt des schizophrènes sont souvent attribués exclusivement à leur auto- érotisme. Dans cette séance cependant, ainsi que plus tard, il devint clair que le retrait du monde extérieur était en relation avec sa peur de la persécution. Lorsqu'un Objet représentant le monde extérieur avait été attaqué, il avait non seulement le sentiment que le monde extérieur avait été détruit, mais aussi que le monde extérieur et les Objets le représentant s'étaient transformés en persécuteurs. Ainsi, le retrait des investissements du monde extérieur était utilisé pour se défendre contre les persécuteurs extérieurs."

 

"Ce fut pour moi une expérience très éclairante que de constater que ce patient, qui était pratiquement inaccessible au début de la séance, semblait comprendre et répondre aux interprétations de sa peur de la persécution dans la situation transférentielle. A la fin de la séance, son rire avait complètement cessé et il semblait beaucoup moins halluciné."

 

Transfert négatif et déception antérieure

 

"Au cours de la quatrième séance, il avait l'air beaucoup mieux. Cependant, il me confondit d'abord avec le docteur A. Il dit plusieurs fois: "c'est arrivé avant", ou "c'était la dernière fois". J'interprétai son angoisse que tout se répète et que moi aussi je l'abandonne comme le docteur A., ce qui signifiait à ses yeux que je me retournerais contre lui. C'est alors que je reliai les angoisses de persécution des séances précédentes à la situation réelle. Je lui expliquai que lorsque le docteur A. avait cessé de le traiter, il avait pensé que le docteur A. l'avait agressivement laissé à son désordre. Il ressentait cela comme une représaille, parce qu'il pensait n'avoir fait rien de bon du traitement du docteur A., de la même façon qu'il m'avait montré la veille que mon traitement n'était plus bon. Le patient indiqua plusieurs fois qu'il comprenait, et vers la fin de la séance il dit: "je veux tout faire pour vous aider". Rappelez-vous que le patient m'avait averti de sa peur de la persécution au cours de la toute première séance, lorsqu'il m'avait dit: "les Russes étaient nos alliés". La suspicion du patient au cours de cette séance pouvait être reliée à l'expérience qu'il avait faite du traitement précédent. Les angoisses de persécution liées au fait d'être abandonné furent par la suite reliées à des expériences réelles plus précoces, en particulier avec sa mère, qui l'avait laissé crier pendant des heures alors qu'il était bébé."

 

"En somme, pendant cette séance le patient poursuivit la perlaboration (c'est le processus par lequel l'analysé intègre une interprétation et surmonte les résistances qu'elle suscite) de son transfert négatif. La peur de répéter des expériences antérieures et la répétition actuelle d'expériences antérieures est bien sur un facteur des plus importants dans toute analyse du transfert."

 

Des désirs oraux se rapportant à la personne de l'analyste

 

"Je rapporterai maintenant une séance ultérieure (cinq semaines après le début du traitement) pour montrer plus en détail certains aspects de la relation d'Objet qu'il répétait dans le transfert. J'ai expliqué au début que la famille de mon patient se trouvait à l'étranger. Son père l'avait amené en Angleterre pour le faire soigner. Deux jours avant cette séance, son père était reparti chez eux. Au début de la séance, le patient avait l'air un peu confus. Toutefois, sans attendre de commentaires ou d'aide de ma part, il dit clairement: "confus", et lorsque je l'interrogeai il ajouta: "à propos de mon père". Après avoir cherché ses mots, il dit: "j'aurais dû rester plus longtemps". Je lui montrai à quel point il se sentait confus à l'endroit de son père, car de toute évidence, il avait voulu dire que son père aurait dû rester plus longtemps. Aussitôt après, il dit: "le docteur A. s'est suicidé, je veux dire dans la psychiatrie". Je lui fis remarquer qu'il confondait également le docteur A. avec lui-même. Lorsque le docteur A. avait cessé de le traiter, lui, le patient était déprimé et suicidaire, mais il avait l'impression d'avoir rempli le docteur A. de sa dépression et de ses idées de suicide. Je reliai cela au départ de son père et je lui rappelai qu'il avait très souvent exprimé sa peur que moi aussi je l'abandonne. Il dit alors: "athéisme". Je dis qu'il voulait me dire qu'il ne pouvait plus croire en personne après avoir été désappointé par son père, qui le quittait maintenant ainsi qu'il l'avait déjà fait auparavant au cours de son existence."

 

"Progressivement, il devint malgré tout beaucoup plus intéressé et vivant, et il semblait plus amical et en confiance avec moi, comme s'il voulait tout expliquer. Il dit: "si on va jusqu'au bout, on ne peut pas revenir sur tout". Je lui interprétai alors que lorsqu'il aimait quelqu'un et qu'il croyait en lui ou en elle, il voulait aller jusqu'au bout, ce qui signifiait pour lui pénétrer à l'intérieur de l'autre personne et devenir ainsi embrouillé et confus. Il avait également le sentiment qu'après s'être plongé dans les gens, il éprouvait des difficultés pour en sortir. Je dis qu'il était très important pour lui que je comprenne combien il s'était mis en moi. Et ceci était l'une des raisons qui lui faisaient tant redouter d'être abandonné, car il avait peur non seulement de me perdre, mais de se perdre lui-même. Il approuva de grand coeur. A nouveau, il me regarda avec confiance et dit: "un homme avec de grands os mange beaucoup", et il fit des mouvements de mastication. Je dis qu'il m'avertissait de son avidité et qu'il me montrait que, dans son désir amoureux de pénétrer en moi, il était en train de me dévorer. Il émit alors un grand nombre de mots se référant à son pays natal, et il parla des couleurs. Il était clair qu'il éprouvait le besoin de souligner son individualité et que les différentes couleurs représentaient différents aspects de lui-même, ce que nous avions compris auparavant. Il demanda alors: "qu'est-ce que le rose a à voir avec tout ça?"... "Rose" était le mot clé pour exprimer son désir oral du pénis, ce que nous avions analysé et discuté de façon répétée. Il était clair que ses pulsions visant à entrer en moi stimulaient ses désirs homosexuels oraux. Il se leva, trouva un pot plein d'eau et en but. Il se renversa alors en arrière en faisant des mouvements de succion et de mastication. Tout en faisant cela, il semblait s'être replié sur lui-même. J'interprétai qu'en buvant il avait eu le fantasme de boire à mon pénis et de mastiquer ce dernier. Je suggérai que son désir de me pénétrer stimulait ses désirs à l'égard de mon pénis. Dans son état de repli il se sentait fusionné avec moi, non seulement parce qu'il se sentait à l'intérieur de moi, mais aussi parce que, en même temps il me dévorait, moi et mon pénis. A nouveau il devint plus attentif, il donnait l'impression d'écouter soigneusement et acquiesça plusieurs fois."

 

La fusion avec l'analyste est reconnue par le patient

 

"Au cours de cette séance, le patient donna une illustration de la relation d'Objet qu'il avait commencé à comprendre au cours de la deuxième séance. Il montrait que c'était le mode oral qui prédominait dans ses pulsions de pénétration de l'Objet, ce que dans son langage personnel le patient appelait "sa manière d'aller jusqu'au bout". Cela aboutissait ici à un état de confusion que le patient était capable de décrire lui-même. Lorsque les états de confusion et de clivage étaient plus graves, le patient était incapable de parler, et d'autres fonctions du Moi étaient gravement perturbées, telles que par exemple la coordination des mouvements."

 

"Un aspect important du transfert traité dans cette séance fut la tendance à laisser des parties de lui-même dans l'analyste. Il est important que l'analyste le comprenne, parce que l'interprétation des identifications projectives et du clivage permet progressivement au patient, selon sa propre expression "de se reprendre", ce qui est nécessaire à l'intégration du Moi. L'état apparemment auto- érotique dans lequel plongea le patient vers la fin de la séance est un autre point intéressant. L'ensemble du matériel de cette séance permet d'émettre l'hypothèse selon laquelle dans l'état de repli il m'introjectait ainsi que mon pénis, et simultanément se projetait lui-même en moi. Je fais donc ici à nouveau l'hypothèse qu'il est parfois possible de retrouver une relation d'Objet dans un état apparemment auto- érotique. Au cours de séances ultérieures, le patient fit souvent plus clairement la différence entre ses Objets internes et les parties de lui-même qui entraient ou qui étaient à l'intérieur de ses Objets. En d'autres termes, ce n'est qu'à un stade plus tardif du traitement qu'il devint possible de distinguer les mécanismes d'introjection objectale et d'identification projective qui vont si souvent de pair."

 

En résumé : une vérification des hypothèses Kleiniennes

 

"Dans cet article, je ne me suis attaché qu'à certains aspects du cas. Je souhaitais montrer qu'un patient schizophrène profondément replié sur lui-même est capable d'établir une relation transférentielle positive et négative, que le transfert peut être observé et interprété au patient, et que le patient répond aux interrogations du transfert positif et négatif. Je voulais également montrer que l'état de repli de ce patient ne peut pas être considéré simplement comme une régression auto- érotique. Le repli du schizophrène peut être une défense contre des persécuteurs extériorisés, ou le résultat d'une identification à l'Objet après introjection et projection simultanées. Dans l'état d'identification que le patient ressent comme une confusion, il a conscience d'être mêlé à quelqu'un d'autre (son Objet). Cet article a un autre but, qui est de montrer la régression de ce patient schizophrène au stade le plus précoce, pour lequel Mélanie KLEIN a proposé le terme de "position schizo- paranoïde". Le patient manifeste les signes d'une relation d'Objet marquée par des pulsions et des fantasmes dans lesquels il fait pénétrer de force lui-même ou des parties de lui dans un Objet, ce qui conduit à des états de confusion, de clivage de soi, de perte de soi et à des sentiments de persécution dans lesquels les hallucinations visuelles et auditives sont accentuées."

 

"Cette relation d'Objet, les mécanismes qui en résultent et qui s'y rattachent jouent un rôle important dans beaucoup d'autres névroses et psychoses. Ils ont néanmoins une signification particulière pour l'ensemble du groupe des schizophrénies. J'indique qu'une meilleure compréhension de l'identification projective commence à nous ouvrir un nouveau champ de recherche, et dans cet article j'ai essayé de montrer comment elle permet de comprendre et d'interpréter les manifestations transférentielles de ce patient schizophrène."

 

- Herbert A. ROSENFELD -

 

 

- cours de psychologie: théorie et concepts fondamentaux - formation pour Infirmier de Secteur Psychiatrique -   


Texte de Mr Eugène Enriquez: "le travail de la mort dans les institutions". Reproduit sur "Psychiatrie Infirmière": psychiatriinfirmiere.free.fr/

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L'INSTITUTION ET LA MORT

 

Présentation de l'article d'Eugène ENRIQUEZ, intitulé "le travail de la mort dans les institutions".

 

L'analyse des institutions révèle leur caractère paradoxal

 

D'un côté ce sont des lieux pacifiés, expressifs d'un monde fonctionnant sous l'égide de normes intériorisées et où règne sinon un consensus parfait, du moins un accord suffisant pour entreprendre et mener une oeuvre collective. A la différence des organisations qui ont pour but la production délimitée, chiffrée et datée, de biens ou de services et qui se présentent comme contingentes (exemple: une entreprise peut naître ou mourir sans que cette naissance ou cette disparition comportent des conséquences notables sur la dynamique sociale), les institutions, dans la mesure où elles donnent commencement à une modalité spécifique de rapport social, où elles tendent à former et à socialiser les individus suivant un pattern spécifique, où elles ont la volonté de faire durer un certain état, jouent un rôle essentiel dans la régulation sociale globale. Elles ont en effet pour visée première, d'aider au maintien ou au renouvellement des forces vives d'une communauté en permettant aux êtres humains d'être capables de vivre, aimer, travailler, changer et peut-être créer le monde à leur image. Leur but est d'existence, non de production, de centration sur les rapports humains, sur la trame symbolique et imaginaire dans lesquelles ils s'inscrivent, et non sur les relations économiques. La famille, l'église, l'état et les ensembles éducatifs et thérapeutiques peuvent à bon droit être considérés comme des institutions, car ils posent tous le problème de l'altérité, c'est à dire de l'acceptation d'autrui en tant que sujet pensant et autonome par chacun des acteurs sociaux qui entretient avec lui des relations affectives et des liens intellectuels. Les institutions, qui signent l'entrée de l'homme dans un univers de valeurs, sont créatrices de normes particulières et de systèmes de référence (mythe ou idéologie) servant de loi organisatrice aussi bien de la vie psychique que de la vie mentale et sociale des individus qui en sont membres. Ainsi toute institution a-t-elle vocation à incarner le bien commun. Pour ce faire, elle favorisera la manifestation des pulsions à la condition que celles ci soient metaphorisées et métabolisées en désirs socialement acceptables et valorisés, le déploiement de fantasmes et de projections imaginaires en tant qu'ils "travaillent" dans le sens du projet plus ou moins illusoire de l'institution, l'émergence de symboles ayant pour fonction d'unifier l'institution et d'assurer l'emprise de celle ci sur le conscient et l'inconscient de ses membres.

 

Sans institutions, le monde ne serait que rapport de forces, aucune civilisation ne serait envisageable. Dans toute institution se dévoile le regard du divin, de celui qui a permis l'existence de l'harmonie dans le monde, qui nous a adressé un discours d'amour et qui demande en retour notre amour pour lui et notre amour pour les autres. La signification ultime, manifeste et en même temps masquée, du message institutionnel, c'est la présence entière, tonitruante d'Eros qui lie les êtres entre eux ("aimez-vous les uns les autres", "aimez-vous autant que je vous aime") et qui en favorisant l'établissement de "vastes unités" (S. Freud, 1929, p.77) permet à chacun de reconnaître dans l'autre son prochain, tous se mouvant à l'ombre de la loi et n'ayant une identité qu'en tant que porteur de cette loi, incontestée et incontestable. Cette clameur d'Eros a des chances de mettre les membres de l'institution en état de sidération. Si tel est le cas, ils ne pourront pas se rendre compte de l'intrusion silencieuse de Thanatos dans le processus d'instauration de la liaison. Eros en effet peut, en favorisant l'identification mutuelle, mettre en place une cohésion ou une collusion définitive, faisant fonctionner l'institution comme une "communauté de déni" (M. Fain, 1981). Cette cohésion s'étaye sur un mouvement de séduction réciproque entre les membres de l'institution, qui déjoue tout travail de remise en cause de l'état d'équilibre érigé quand il ne facilite l'établissement de mécanismes d'englobement dans le grand Tout et la construction d'un imaginaire leurrant. Lorsqu'une telle situation advient, l'indifférenciation et l'homogénéisation, dont les caractéristiques mortifères sont bien connues, triomphent. L'institution devient ainsi un modèle de communion, de chaleur, d'intimité et de fraternité. Les relations entre les êtres humains sont considérées alors comme totalement fraternelles. On peut se demander si la compulsion à la répétition n'est pas déjà à l'oeuvre dans ce travail d'uniformisation. De plus, à partir du moment où une institution vit sous le modèle communiel, elle tend à éviter les tensions ou au moins à les maintenir au niveau le plus bas possible. Elle fonctionne comme un système alors caractérisé par une autorégulation simple, permettant la préservation d'états stables (homéostasies) et par l'augmentation continue de l'entropie (refus de toute créativité), augmentation telle, dans certains cas, que la seule voie restante est le retour à l'état anorganique (S. Freud, 1920). On pourrait dire, suivant A. Green, qu'elle promeut un "narcissisme de mort" (1983). Thanatos se déploie au lieu même où Eros semblait l'emporter.

 

D'un autre côté, les institutions sont des lieux qui ne peuvent empêcher l'émergence de ce qui a été à leur origine et contre quoi ils sont apparus à l'existence: la violence fondatrice. Malgré les efforts que les institutions mettent en oeuvre pour masquer les conditions de leur naissance, elles sont et demeurent les héritières d'un ou de plusieurs crimes: "la société repose désormais sur une faute commune, un crime commis en commun. C'est un acte mémorable et criminel qui a servi de point de départ à tant de choses: organisations sociales, restrictions morales, religions..." (S. Freud, 1912, p.163). Si elles ont renoncé formellement à la violence, de tous contre tous, elles ont instauré la violence légale. Celle-ci en définissant la sphère du sacré et celle du profane, en prononçant les interdits, en développant le sentiment de culpabilité, s'énonce certes, non comme violence, mais comme loi de structure. Mais ce faisant elle mystifie les hommes car elle exige d'eux des sacrifices auxquels elles n'offrent souvent que des compensations dérisoires (S. Freud, 1927), elle les met dans des situations de tensions intolérables, car elle crée des angoisses et des dangers spécifiques. Les institutions de plus, indiquent en creux la possibilité constante du meurtre des autres. On sait en effet, que l'interdit suscite le désir de transgression, que le conflit et la rivalité entre les frères, membres de l'institution, peuvent toujours briser la digue instaurée par la nécessité du consensus. Frazer écrivait justement: "la loi ne défend que ce que les hommes seraient capables de faire sous la pression de certains de leurs instincts. Ce que la nature elle-même défend et punit n'a pas besoin d'être défendu et puni par la loi" (Frazer, in S. Freud, 1912).

 

La violence semble ainsi être substantielle à la vie institutionnelle, en tant qu'elle procède de la légalité réclamant aux hommes de renoncer à la satisfaction de leurs pulsions et qu'elle est à même, ce faisant, de rallumer les combats entre les égaux et de favoriser le désir de transgression des interdits. Mais la violence institutionnelle ne se réduit pas à la violence légale. Dès qu'un groupe est institué, de nouveaux mécanismes se mettent en oeuvre: projection par les individus à l'extérieur des pulsions et objets internes "qui sinon, seraient la source d'anxiété psychotique et qu'ils mettent en commun dans la vie des institutions sociales où ils s'associent" (E. Jaques, 1965, p.546), attaques contre les liens (W. R. Bion, 1959), non seulement de la part de patients psychotiques, mais de la part de tout individu utilisant électivement des types de défense primaires comme le clivage et la forclusion, prolifération de mensonges, d'affirmations dictatoriales (W. R. Bion, 1962) ou "indiscutables" (en tant qu'elles scandent un discours clos sur lui-même ne permettant à personne de le contredire ou de le corroborer) d'autant plus fréquentes que les institutions ne favorisent pas la recherche de la vérité mais les luttes pour le pouvoir, certes cela ne veut pas "dire que les institutions utilisées de cette façon deviennent psychotiques mais ceci implique effectivement que nous nous attendions à trouver dans les relations de groupe des manifestations d'irréalisme, de clivage, d'hostilité, de suspicion" (E. Jaques, 1955, p.547). Quant aux structures adoptées pour que l'institution puisse fonctionner elles se présentent comme "des défenses contre l'anxiété dépressive et l'anxiété de persécution" (E. Jaques, 1955) ou encore (dans un prolongement hétérodoxe de la pensée de Jaques) comme défenses contre l'informe, les pulsions, les autres, l'inconnu, la parole libre, la pensée (E. Enriquez, 1983).

 

Si on admet que l'institution, malgré ses structures, n'établit pas un écran suffisant pour empêcher les membres de se sentir mutuellement envahis par les projections des uns et des autres et d'éprouver alors un sentiment d'intrusion de leur psyché et d'assèchement de leurs pensées et de leurs émotions; qu'elle ne parvient que difficilement à faire admettre à ses membres la nécessité de maîtriser et de symboliser la séparation (ceux-ci ayant tendance soit à la nier, soit à la fixer en lutte de pouvoir et en agressivité); qu'elle est traversée par des mouvements de désinvestissement et de contre investissement; qu'elle favorise, en promulguant des idéaux, l'apparition de conduites paranoïaques et qu'elle risque, en essayant de promouvoir un espace de rêve et de fantaisie, de donner libre cours au désir pervers, le rêve le plus fou et le plus nuisible pouvant toujours se cacher sous le masque de la créativité, on est alors amené à admettre que Thanatos (même s'il n'existe pas de "destrudo" autonome dans la pensée freudienne) joue un rôle essentiel dans la vie de l'institution.

 

Une réflexion sur le travail de la mort dans les institutions se révèle donc urgente. Elle devra essayer d'élucider les métamorphoses, les processus de substitution, de déplacement et de métaphorisation qui font que l'institution joue toujours à qui perd gagne, que la mort peut être présente en dehors de l'endroit où on aurait tendance à l'assigner, que la vie peut s'avancer sur le chemin même emprunté par l'ange de la mort. C'est à un jeu de masque, à un jeu de vertige (ilynx) que nous sommes conviés. Il nous faut donc essayer d'y mettre un peu d'ordre pour ne pas tomber dans l'insensé, même si nous savons d'emblée que l'impensé, l'innommable, l'indicible auront en tout état de cause, autre paradoxe, le dernier mot.

 

Les institutions : systèmes culturels, symboliques et imaginaires

 

Les institutions, éléments de la régulation sociale globale et image du divin (toute institution s'érige en institution divine en tant qu'elle s'énonce comme la seule promettant à ceux qui l'habitent le salut et la rédemption) se présentent comme des ensembles culturels, symboliques et imaginaires.

 

Des systèmes culturels

 

Ils offrent une culture, c'est à dire un système de valeurs et de normes, un système de pensée et d'action qui doit modeler la conduite de leurs agents auprès des individus qui leurs sont confiés ou qui ont exprimé une demande à leur égard.

Ils mettent au point une certaine manière de vivre dans l'institution, une armature structurelle (exemple: réunion institutionnelle, réunion sur un problème précis, réunion de petits groupes de spécialistes...) qui se cristallise en une certaine culture, c'est à dire en des attributions de places, en des attentes de rôle, en des conduites plus ou moins stéréotypées, en des habitudes de pensée et d'action, en des rituels minutieusement observés, devant faciliter l'édification d'une oeuvre collective.

Ils développent un processus de formation et de socialisation des différents acteurs, afin que chacun d'entre eux puisse se définir par rapport à l'idéal proposé.

Certes le modèle réel de socialisation, autrement dit celui qui est mis effectivement en oeuvre, peut être fort différent des principes théoriques auxquels il se réfère et de l'armature structurelle créée pour les faire vivre. Le degré de contradiction ou de complémentarité entre ces différents "moments" de la culture (de même que le degré de consistance et de cohérence que présente chacun d'entre eux) est un problème central. Quelle que soit la façon dont il est résolu, les trois moments culturels, non seulement jouent un rôle prégnant dans la vie institutionnelle, mais sont indispensables à l'établissement et à la permanence de l'institution, car ils sont le garant de l'identité à laquelle aspire tout ensemble social.

 

Des systèmes symboliques

 

Une institution ne peut vivre sans secréter un ou des mythes unificateurs, sans instituer des rites d'initiation, de passage et d'accomplissement, sans se donner des héros tutélaires (pris souvent parmi les fondateurs réels ou imaginaires de l'institution), sans raconter et/ou inventer une histoire qui tiendra lieu de mémoire collective; mythes, rites, héros, sagas ayant pour fonction de sédimenter l'action des membres de l'institution, de leur servir de système de légitimation et de donner ainsi sens à leurs pratiques et à leur vie. L'institution peut alors s'offrir comme objet idéal à intérioriser, à faire vivre, auquel chacun doit manifester sa loyauté, sinon se sacrifier. Elle pose ses exigences et enjoint à chacun d'être mû par l'orgueil du travail à accomplir, véritable mission à vocation salvatrice.

 

Si toutes les institutions ne peuvent en fait, se donner un système symbolique aussi fermé sur lui-même et aussi contraignant pour ses membres, elles recherchent inconsciemment ou consciemment à l'édifier. Et ceci d'autant plus qu'elles se sentent moins sûres d'elles mêmes et qu'elles désirent se réinstituer, se redonner un fondement solide (et ainsi développer un contrôle nouveau et plus entier sur leurs membres).

 

Les institutions "sans histoires" ont donc leurs mythes, rites et héros, mais elles n'ont pas besoin de les évoquer constamment. "Notre père qui êtes aux cieux restez-y / et nous, nous resterons sur cette terre / qui est quelquefois si jolie", écrivait Prévert. Lorsque les pères restent aux cieux, lorsque le mythe reste à la plus grande distance possible des hommes, lorsqu'il n'envahit pas la vie quotidienne, il joue le rôle de garant de la vie psychique et de la vie sociale. Les hommes peuvent vaquer à leurs problèmes et faire vivre l'institution. Lorsque le mythe devient envahissant (avec son cortège de rites, de sagas, de héros), alors il englue les êtres dans un sens préétabli et leur enlève, en voulant leur redonner vie, toute possibilité d'échapper à l'effondrement qui les guette, même si temporairement, il semble leur fournir un nouvel élément de cohésion. 

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Des systèmes imaginaires

 

Imaginaires en tant que l'institution va essayer de prendre les sujets au piège de leurs propres désirs d'affirmation narcissique et d'identification, dans leurs fantasmes de toute puissance ou de leur demande d'amour, en se faisant fort de pouvoir répondre à leurs désirs dans ce qu'ils ont de plus excessifs et de plus archaïques (affirmation narcissique se déployant sous les visages du leader, du tyran, de l'organisateur et du séducteur), identification massive ayant pour but la communion et la fusion amoureuse avec autrui, et de transformer leurs fantasmes en réalité (illusion proprement mortifère puisque la fonction du fantasme est de rester ce qui ne doit jamais être réalisé et de fournir le soubassement et les éléments créatifs nécessaires à la réflexion et à la volonté transformatrice). Imaginaires également en tant que l'institution va les assurer de ses capacités à les protéger de la possibilité du vacillement de leur identité, de leurs craintes d'effondrement, de l'angoisse de morcellement réveillée et alimentée par toute vie communautaire, en leur procurant les cuirasses solides du statut et du rôle (constitutives de l'identité sociale) et de l'identité massive de l'institution.

 

En leur promettant de tenter de répondre à leur appel (angoisses, désirs, fantasmes, demandes), elle tend à substituer son propre imaginaire au leur. D'un côté l'institution divine, toute puissante, seule référence, niant le temps et la mort, mère englobante et dévorante, et d'un autre côté mère bienveillante et mère nourricière, géniteur castrateur et simultanément père symbolique de l'autre, institution toujours menacée par des persécuteurs externes et internes désireux de l'empêcher d'accomplir au mieux la mission dont elle est investie, parcourue par des peurs spécifiques: peur du retour au chaos, peur de l'inconnu externe et interne immaîtrisable, peur des pulsions destructrices et des pulsions amoureuses non contrôlables. Apparaissant à la fois comme sur-puissante et comme d'une extrême fragilité, multipliant les images les plus contradictoires ou les plus contrastées, mais toujours celles qui provoquent crainte et tremblement, amour et aliénation, elle vise à occuper la totalité de l'espace psychique des individus qui ne peuvent plus se "décoller" d'elle et imaginer d'autres conduites possibles. Elle les étouffe et les embrasse, elle les tue et les fait vivre. Le jour où ce chatoiement imaginaire ne peut plus jouer ou peut être démystifié, alors chaque membre se met à jouer son propre jeu (avec ou contre l'institution) et celle-ci, mise à nue, se transforme en une simple organisation de travail avec ses règles et ses codes, c'est à dire en un lieu où les passions s'apaisent et où l'imaginaire n'a plus vocation de régner.

 

Les institutions, en tant que systèmes culturels, symboliques et imaginaires, se présentent donc comme des ensembles englobants, visant à imprimer leur marque distinctive sur le corps, la pensée et la psyché de chacun de leurs membres. Elles vont favoriser la construction d'individus à leur dévotion, dans la mesure où elles ont réussi à s'instaurer pour eux comme pôle idéal et à les rendre malades de l'idéal. Elles arriveront pourtant rarement à leurs fins d'emprise totale et par voie de conséquence de formation de structure clôturante: elles finiraient par engendrer un univers conformiste, répétitif et voué à se dégrader irrésistiblement et à mourir, à moins qu'en poursuivant la mort des autres il ne se donne quelque répit. Mais qu'elles ne parviennent pas à développer toutes les conséquences impliquées dans leur essence et dans leur mode d'existence tel qu'il est formellement organisé, ne signifie pas qu'elles ne cherchent pas à "persévérer dans leur être", et qu'elles ne se placent pas d'emblée, par leur volonté totalitaire, et par leur refus de la variété et de l'acceptation d'une altérité radicale, dans un registre qui, ayant pour visée de faire surgir du vivant, risque en fait d'être sous l'égide du triomphe de la mort.

 

Les caractéristiques des institutions thérapeutiques

 

Ces institutions, à l'instar de leurs congénères, sont peuplées d'individus occupant par nature des positions asymétriques. On sait que l'institution familiale, du fait même de l'inachèvement de l'enfant, place celui-ci dans une situation de dépendance totale; que l'école institue une séparation entre un maître gardien du savoir, et un élève en apprentissage; que l'armée instaure une différence fondamentale entre le commandant et le soldat, etc. L'institution thérapeutique ne déroge pas à cette asymétrie. Elle aussi place d'un côté les médecins, infirmiers, éducateurs, analystes, formateurs, possesseurs de techniques plus ou moins sophistiquées et des "clients" qui peuvent être définis, en première analyse, comme objets de ces techniques. Mais elles offrent une modalité d'existence particulière: si dans les autres institutions, les relations ne sont asymétriques que pour un temps, si donc l'enfant peut devenir un père, l'élève un maître, le soldat un commandant, si toutes les autres institutions prennent l'individu de force et l'assignent à une place qu'il n'a jamais demandée (l'enfant ne choisit pas sa famille, l'élève son école, le soldat son armée, etc.) il n'en est pas de même dans les institutions de soins.

 

Dans celles-ci (institutions hospitalières, de rééducation, d'accueil, de protection ou de sauvegarde) la relation asymétrique demeure permanente et les individus soignés ne deviendront jamais des membres actifs de ces institutions. De plus, ces derniers expriment tous plus ou moins explicitement une demande spéciale: une demande de guérison. Ce sont des patients qui viennent afin que leur soient apportés une aide, une assistance, un conseil. Ils arrivent pleins d'espoir et prêts à la soumission (à moins que ce ne soient leurs parents qui en tant que porte parole adoptent cette attitude d'attente), mais aussi avec leurs exigences démesurées et leur possibilité de révolte et de violence.

 

Rencontre avec l'arbitraire

 

Ce sont des gens qui ont dans leur vie, comme le souligne P. Aulagnier (1975), rencontré l'arbitraire et non une loi structurante. En effet, ils ont fait l'expérience d'un excès: dans un cas, excès de contacts érotiques, d'amour envahissant, d'attachement englobant, et dans l'autre cas, excès de coups, de haine destructrice, de voeux de mort ou encore plus simplement expression de l'indifférence de leurs parents (de leurs premiers éducateurs), qui les font vivre dans une situation de carence affective insupportable. Ils n'ont donc pas eu la possibilité de se confronter, ni avec des limites et des interdits expliqués et acceptables, et donc structurants, ni avec de l'amour positif (quand bien même tout amour est ambivalent) favorisant l'autonomie progressive de leur personnalité. Ils n'ont pas été en mesure de vivre un refoulement nécessaire à la constitution d'un sujet vivant qui, ressortissant à l'ordre de l'interdit et du langage, est toujours le signe que l'instance refoulante a marqué sa présence, son attention et son intérêt affectif vis à vis de celui sur lequel elle intervient. Un tel refoulement, s'il avait lieu, aurait été créateur de culture et de langage et aurait donc ouvert la porte de la sublimation. S'il n'a pas été possible, cela peut être dû au fait que le refoulé n'a pas été mis en place chez les parents eux-mêmes. Ils ne peuvent alors se poser comme sujets de la culture, et ils ne peuvent induire qu'un refoulement totalement arbitraire (une violence par excès et non une violence constructive) empêchant la fantasmatisation et l'acheminement du sens. C'est se qui se passe dans la psychose si on se réfère à la théorisation proposée par P. Aulagnier. Cet auteur écrit: "dans le registre de la psychose, le refoulement vise à rendre impossible le dévoilement d'un non refoulé présent et agissant dans la psyché maternelle. La mère en tant qu'instance refoulante, interdira à l'enfant toute pensée, toute signification, toute interprétation, qui mettraient en mots ce non refoulé. C'est pourquoi il ne peut y avoir dans ce cas, une alliance positive structurante entre l'action refoulante opérée par le parent et l'action refoulante que devrait s'approprier le Je" (P. Aulagnier, 1984, p. 259). Une autre détermination peut être en cause: l'absence de tout discours de refoulement de la part des premiers éducateurs. Les patients n'ont pu dans ces conditions que se confronter à la haine et à la répression. Si le refoulement est de l'ordre de l'interdit et du langage, la répression est de l'ordre de la censure et de la violence. Comme l'avait déjà fortement noté G. Bataille, la violence est un discours sans voix. La violence ne peut être parlée: elle se vit, elle s'exprime, elle travaille au niveau d'une empreinte sans médiation (sans langage) sur le corps et l'esprit. Le discours de la répression est celui du corps à corps et l'être de la répression (le persécuteur) n'a pour but que de transformer un sujet qui pourrait être désirant en un corps à abattre. Dans un tel cas, aucune structure significative ne peut être constituée. Ce qui est institué par contre, c'est un manque d'espoir associé à une montée des angoisses de mort (angoisses de dévoration, du vide, de l'effondrement), c'est une absence de forme, c'est une impossibilité d'accéder au désir et parfois même une haine mortelle du désir. La violence destructrice et auto destructrice, la tentation de l'apocalypse ou celle du nirvana en sont les fruits.

 

Dans l'un et l'autre cas, avec plus ou moins d'acuité, les individus vivront donc la perte du sens et de la possibilité pour eux, de la construction du sens. Ils ne peuvent voir dans les autres, dans le social, qu'une menace toujours prête à opérer. Certes tous les patients n'ont pas vécu de telles situations extrêmes. Certains d'entre eux ont été mis quand même en présence d'interdits structurants. Leur demande d'aide est alors occasionnée soit par un excès, soit par un déficit d'interdits, quand ce n'est pas par l'impossibilité de se retrouver et de se définir dans le labyrinthe des multiples interdits qui leur sont imposés sans hiérarchie.

 

L'excès d'interdits

 

Excès d'interdits: tels les vivent les patients qui ont subi une éducation rigide, de type puritain où ce qui était en jeu n'était pas seulement de ne pas transgresser l'interdit, mais de considérer ce qu'il désigne avec horreur, comme l'expression du démoniaque tapi dans chaque être et qui n'attend qu'un relâchement de l'ascèse pour se manifester dans sa virulence et comme contre nature. Lorsqu'une telle occurrence se produit, on assiste à un développement tel du sentiment de culpabilité, dérivant de l'angoisse devant le retrait d'amour, de l'angoisse devant le surmoi (indispensable à la création et à la permanence de la civilisation) qu'il amène par le renoncement quasi complet à la satisfaction des pulsions, à des niveaux de "tensions intolérables". On aura affaire à des individus incapables de suivre le programme du principe de plaisir, ne sachant plus aimer (s'ils sont la plupart du temps au contraire parfaitement aptes au travail minutieux, prêts à se sacrifier à un idéal et heureux de se soumettre aux obligations morales), et donc incapables de désir, puisque le désir ne peut être dissocié du plaisir, de la recherche d'un objet procurant de la jouissance et auquel le sujet désire procurer de la jouissance. Individus socialement institués, vivant dans l'espace social et ayant fait l'impasse sur leur espace psychique ou l'ayant nourri exclusivement des interdits et des injonctions des valeurs sociétales et parentales, ils sont morts à eux-mêmes. Car ils sont aussi incapables de se questionner et de douter que de questionner, de transformer le monde dans lequel ils ont à vivre. Ils sont incapables de création. Comme l'écrit J. Mac Dougall: "le caractériel de type normal s'est créé une carapace qui le protège de tout éveil à ses conflits névrotiques et psychotiques. Il respecte les idées reçues, comme il respecte les règles de la société. Et il ne les transgresse pas même en imagination. La saveur de la madeleine ne déclenche rien en lui, et il ne perdra pas son temps à la recherche du temps perdu. Mais il a quand même perdu quelque chose. Cette normalité est une carence qui frappe la vie fantasmatique et qui éloigne le sujet de lui-même." (Mac Dougall, 1978, p. 220).

 

Lorsqu'ils n'ont pas besoin de l'institution thérapeutique ou formative, lorsqu'ils n'ont pas éprouvé de failles dans leur carapace, ils se contenteront de vivre comme des morts-vivants et de faire payer à leur entourage, à leur famille et à leurs subordonnés leur état de renoncement pulsionnel érotique. En fait, ils ne pourront qu'exercer leur volonté de contrôle, que faire plier les autres sous le poids de leurs exigences, que déverser sur eux leur pulsion agressive. Ils deviendront ainsi bien souvent des êtres "haïssants" et persécuteurs. Lorsqu'une guerre aura lieu, lorsque des immigrés viendront les "envahir" ils pourront en toute bonne foi, projeter sur eux leur violence qui demande assouvissement. En tout état de cause, on les trouvera nombreux parmi les dirigeants des entreprises et des partis.

 

Mais qu'une faille s'installe (provoquée en particulier par un rejet auquel ils n'étaient pas préparés: la mise à l'écart, le divorce, leur rejet par leurs enfants, le chômage, la nécessité de se reconvertir), alors ils se vivront comme persécutés, ils ne comprendront plus ce qui leur arrive, et pourront basculer dans la folie ou être envahis par l'idée de suicide. Ils demanderont de l'aide, mais la pulsion de mort qui les anime les empêchera d'ouvrir les yeux, d'avoir "les yeux fertiles" (Eluard), d'accéder à la réflexivité et au désir créateur.

 

Ils peuvent également vivre des niveaux de tension si élevés que d'un seul coup l'énergie trop longuement comprimée se déversera, et ils feront ce qu'ils n'avaient jamais osé rêver et qu'ils avaient toujours imputé à leurs adversaires: ils sentiront monter en eux des émois dont ils ne s'étaient pas cru capables et ils viendront demander assistance.

 

Thérapeutes et formateurs connaissent bien ces individus sans problèmes, dont le problème justement est de n'avoir pas pu admettre et accepter de prendre en compte leur conflit et leur souffrance et qui fonctionnent sous l'égide d'une idéologie protectrice les empêchant de vivre et de penser. Hommes du conformisme, hommes du social et non de la culture, ils sont toujours à la merci d'une "rupture" à laquelle ils ne savent pas faire face.

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Le déficit d'interdits

 

La civilisation moderne favorise l'éclosion d'individus abandonnés à eux-mêmes auxquels les parents n'ont pu servir de référence car ils ont été, vivant eux-mêmes dans une situation de désarroi sinon de détresse psychologique, incapables d'énoncer les interdits structurants. Ces individus sont pratiquement dépourvus de Surmoi et d'idéal du moi (même si évidemment personne ne peut vivre lorsque certaines instances psychiques font radicalement défaut). Ou plus exactement, ils n'ont plus comme points de support que le groupe des "pairs", que les idéaux médiatiques proposés à la masse. "Ce qui commença par le pair s'achève par la masse" (S. Freud, 1929, p. 91). La masse versatile, prise par les discours les plus grossiers, les images les plus violentes, impropre à l'imagination créatrice, se voue aux idoles les plus éphémères, aux pulsions les plus primaires et vit sous l'égide de l'archaïque. Elle est peuplée d'êtres qui vivent dans le transitoire, dans la rencontre instantanée, et qui manquent de la capacité à se confronter à l'altérité, du fait que la leur n'a jamais été reconnue. L'autre ne peut donc être perçu qu'en tant qu'objet de satisfaction de leurs besoins les plus directs, les moins métabolisés. Si les individus qui ont subi un excès d'interdits sont mus par un sentiment de culpabilité insupportable, ceux-ci par contre, sont inaptes à la culpabilité et au remords. N'ayant subi aucun refoulement (quand bien même ils ont subi la répression), ils fonctionnent sous le registre de la recherche de la satisfaction immédiate. Ils donnent le sentiment d'êtres à l'état d'involution, cherchant à satisfaire les demandes du ça, mais impuissants à les intégrer dans un Moi volontaire, car rien ne leur permet de distinguer entre les exigences contradictoires du ça, aucune conscience morale, aucune préoccupation d'un idéal à construire ne leur ayant été proposées. Rejetons d'individus paumés, labiles, border-line, "sans forme", ils vivent des problèmes d'identité et ne peuvent se situer dans la temporalité qui permet de filtrer les désirs. Ils deviendront ces délinquants pour lesquels le langage est vide de signification, ces toxicomanes qui chercheront la réalisation de leur Moi-idéal (tout déficit de l'Idéal du Moi renforçant le Moi-idéal et son besoin de toute puissance immédiatement réalisé) dans la fuite en dehors de la réalité, ces caractériels flous sur lesquels il est si difficile d'avoir prise, n'ayant jamais été investis comme des personnes autonomes, ayant éprouvé l'indifférence de leurs géniteurs et de leurs environnement: ils deviendront indifférents à eux-mêmes (incapables d'expliquer les raisons de leurs actes et de poursuivre un projet) comme aux autres. Etres du morcellement, des intensités, du branchement instantané, ils vivent quotidiennement leur mort de façon passive. Rien n'importe, tout est égal, demain n'existe pas, personne n'est responsable de rien, tels sont les éléments constitutifs de leur credo. Thérapeutes, éducateurs et rééducateurs se demandent comment les aider à se construire une identité, à les rendre capables d'amour, à leur donner envie de travailler, à les faire advenir en tant que sujets responsables de leur vie et comptables de leur temps. En effet, il semble que chez eux la seule envie est le retour à l'état anorganique. Ils souffrent violemment de n'avoir jamais trouvé de points de butée et d'arrimage. Mais ils ne le savent pas. Il faudrait qu'ils apprennent à souffrir, pour passer de la situation d'être en souffrance à des êtres de souffrance (la souffrance ayant une fonction identifiante), c'est à dire à des êtres capables de penser et d'agir. Hegel disait: "il faut être lacéré pour penser". Encore faut-il en avoir conscience.

 

Le labyrinthe des interdits

 

 Si dans certains de ses aspects notre civilisation exprime, sous le signe d'une fausse libération une absence d'interdits structurants, par d'autres (J. Laplanche, 1967), elle multiplie les interdits et les obligations chargés d'arbitraire. Les individus se trouvent pris dans une série de normes (et non pas dans un système de normes qui lui, serait en mesure d'assurer les sujets de leur cohérence), non hiérarchisées (normes juridiques, normes de vie historiquement instituées, normes de groupe différentes d'un groupe à l'autre), qui empêchent les individus d'avoir des points d'appui, d'étayer leur vie sur un socle solide. Ils sont ainsi ballottés d'une norme à l'autre, de normes officielles ("il faut travailler pour réussir"), à des normes insidieusement évoquées ("pour réussir, la seule réussite étant financière, il convient de s'en remettre à la chance: jeux de hasard, de loto, tiercé, loterie et au copinage"), de normes de solidarité à des normes d'individualisme. Comment pourraient-ils s'y reconnaître? Donc, plus la civilisation se différencie, moins elle promulgue des lois univoques. Plus l'individu perd ses repères identificatoires, plus son identité est mise en cause, en pièces, plus il est astreint à des travaux de deuil et à des processus de réorganisation de la personnalité... Ainsi pouvons-nous comprendre la montée des névroses de notre temps liée à l'impossibilité de référence à des règles de conduites universelles, chaque organisation promulguant des règles qui n'ont plus pour les individus de caractère sacré. Les seules solutions (autres que la névrose) qui sont ouvertes au sujet sont alors: soit le repli sur soi, la "personnalité narcissique" dans le sens de délire de grandeur (Moi je) et, dans l'incapacité de reconnaître les autres et dans l'illusion de se croire créateur de normes affirmatives permettant à la pulsion d'auto conservation d'avoir le dernier mot; soit le choix d'une norme temporaire (valorisée servant d'idéal et régentant la vie), qui aboutit à la création de ce que nous pouvons nommer des "personnalités oscillantes". Les exemples en seraient fort nombreux. Citons simplement les intellectuels passés du stalinisme au maoïsme et de là, au libéralisme et à la défense de la société occidentale, quand ils ne sont pas passés de l'extrême gauche à la droite la plus virulente, sinon à l'extrême droite nazie. La caractéristique essentielle de telles personnalités est la compulsion à l'engagement et au désengagement, au surinvestissement et au contre investissement, sans questionnement radical et sans changement interne. Leur attitude est péremptoire: elles brûlent ce qu'elles ont adoré, elles adorent ce dont elles se moquaient sans remettre en cause ce besoin de référence à un pôle idéalisé et sans se demander quelle peut en être la signification. Elles vont d'illusion en illusion, en étant toujours aussi sures d'être dans la vérité. Elles pourraient utiliser à leur profit la phrase fameuse: "Moi, la vérité, je parle", même si ce n'est jamais de la même vérité qu'il s'agit.

 

Personnalités narcissiques et personnalités oscillantes ne demandent pas d'aide, car elles sont inaptes à l'interrogation. Ce n'est que si leur tranquillité est entamée (et elle l'est rarement, notre société étant friande de personnalités de ce genre) qu'elles verront s'éveiller le doute et qu'elles connaîtront le vacillement. Par contre, ceux qui ne savent plus à "quels saints se vouer" viendront demander aux formateurs de leur indiquer la "bonne voie" (combien de fois n'avons-nous pas entendu des cadres d'entreprise nous demander: "dites-nous quel doit être notre comportement"), ou aux thérapeutes de leur permettre de se confronter à leurs conflits névrotiques. Ces derniers sont sans doute ceux qui sont le moins traversés par la pulsion de mort, dans la mesure même où ils sentent monter en eux l'angoisse de vie.

 

Quel que soit le type de souffrance à l'oeuvre dans la psyché de ces divers patients, ceux-ci se présentent comme des individus désadaptés, morcelés (puisque le principe unificateur tend à faire défaut), traversés par la pulsion de mort des autres (et de la société) qu'ils ont intériorisée et qu'ils retournent contre eux-mêmes ou/et contre leur entourage, poussés par une haine de soi et d'autrui (ou tout au moins par une interrogation douloureuse mettant en cause la possibilité d'être vivant, autrement dit de se donner une finalité et d'aimer accomplir quelque chose pour soi et pour les autres) et parfois par la disparition en eux de tout désir. Leur état de détresse plus ou moins total, dû à la situation de cataclysme qu'ils ont vécue, les amène au bord du chaos dans lequel ils peuvent basculer (délire) ou sombrer lentement. Leur psychisme est en danger de mort et nous savons que la mort psychique entraîne inéluctablement la dégradation lente mais irréversible, ou la mort physique de soi-même et des autres. Ils sont là avec leur cri silencieux et ils attendent qu'un sujet les entende, et marque par sa présence attentive qu'il peut accueillir le sens (et l'absence de sens) dont ils sont porteurs à leur insu.

 

L'équipe soignante

 

Ces individus mal avec eux-mêmes, rencontrent des "opérateurs sociaux" (médecins, psychanalystes, éducateurs, formateurs, psychologues...) qui vont les prendre en charge à l'intérieur d'une institution qui fonctionne suivant les principes définis plus haut. Aussi faut-il nous demander maintenant par quoi sont motivés ces opérateurs dans leur relation avec les patients.

 

Les praticiens du "psychique" envisagent de se consacrer à un tel travail pour des raisons tellement variées qu'il pourrait sembler vain d'essayer de les recenser et de les catégoriser. Pourtant ce chatoiement renvoie à des constantes intéressantes à relever même si ces dernières sont relativement bien connues par tous ceux qui oeuvrent dans ce domaine.

 

Des êtres marginaux

 

Ces praticiens sont des êtres marginaux (R. Kaës, 1976). Si la société contemporaine est essentiellement une société de production et un lieu où chacun est interpellé dans sa capacité à décider par lui-même, à dominer et à entrer en compétition, ces personnes attestent qu'elles ne s'intéressent ni à la production, ni à la décision ou au pouvoir, donc à ce qui est constitutif de l'existence de cette société. Si un psychanalyste par exemple, peut avoir un pouvoir (et on sait qu'il peut être exorbitant), ce qui le caractérise comme psychanalyste, c'est de ne pas user de son pouvoir, c'est aussi de ne pas décider à la place de l'autre, de ne pas vouloir l'adapter directement au système social. Etre marginal signifie se conduire d'une manière non congruente avec le système social et prendre à coeur ce qui ne le préoccupe guère: la vérité et l'autonomie du sujet, car le système social n'est fondamentalement qu'un lieu de travestissement et d'hypocrisie qui demande aux individus d'être seulement des producteurs consommateurs dont il a besoin pour sa pérennité.

 

Or une telle position marginale comporte toujours comme possibilité la négation ou l'oubli des exigences de la société et de la réalité historique dans lequel le thérapeute et le patient se trouvent engagés. La relation thérapeutique pourra être idéalisée. La complaisance envers son action, l'intérêt pour son rôle peuvent entraîner le thérapeute (et par voie de conséquence son patient) dans l'instauration d'un processus de déréalisation. A ce moment, il peut se mettre à croire que l'amour de transfert qui se déploie est un véritable amour et que l'analyse peut remplacer la vie.

 

Certes, la plupart du temps le thérapeute ne tombera pas dans ce piège. Mais la tentation est grande, car tout marginal aspire en faisant prévaloir une parole neuve à devenir central. On peut même se demander si ce n'est pas ce désir qui l'a d'abord constitué comme être marginal. S'il succombe à la tentation, il prendra son patient dans une relation d'englobement où il deviendra pour lui père, mère, amant réel et où il l'empêchera de se déprendre de lui et de la relation ainsi créée. Il le situera dans un rapport de séduction à trois faces: séduction en tant qu'essai d'exercer un "pouvoir sexuel" violentant (en ce sens qu'elle provoque chez autrui une impossibilité d'accepter la séparation, de la symboliser et une attente constante de gratification); séduction en tant que proposition au patient "de messages chargés de sens et de désir, mais dont il ne possède pas la clef (signifiants énigmatiques)" (J. Laplanche, 1986, p. 18); séduction en tant qu'obstacle maintenant le soigné dans l'idée psychotisante d'avoir retrouvé le bon objet perdu. Il ne sera donc pas en mesure de construire un objet et de l'investir (A. Green, 1986).

 

La vie, pour un sujet, étant en premier lieu l'acte de se déprendre et de s'autonomiser, sera dès lors compromise. Dans la mesure où le patient est lui-même un marginal (la société contemporaine ayant tendance à considérer "anormale" toute personne malade, anxieuse ou dans un état d'abandon), le thérapeute court le risque également d'être fasciné par son patient, de s'identifier à lui et à ses normes, ou tout au moins d'établir avec lui une connivence telle qu'il contribuera à créer une situation où l'analyse deviendra impossible.

 

Des personnes préoccupées elles-mêmes par leurs problèmes psychiques

 

Ces praticiens sont préoccupés eux-mêmes par leurs problèmes psychiques mal ou insuffisamment résolus. Freud lui-même ne disait-il pas qu'il avait rêvé d'une vie sexuelle plus libre, sans avoir pourtant le courage et la volonté de l'affronter. Il est courant de constater que le thérapeute continue son propre travail d'exploration de sa psyché dans la relation qu'il noue avec ses patients. Certains avancent même que la condition essentielle pour écouter un autre se débattre avec ses conflits est que le thérapeute soit proche de ses propres conflits internes. Nietzsche n'a t'il pas écrit: "il faut avoir du chaos en soi pour accoucher d'une étoile qui danse". Le thérapeute doit de même "avoir du chaos en soi" pour permettre à l'individu la création de nouveaux liens symboliques et l'institution de nouvelles formes.

 

De telles idées sont pertinentes. Elles restent néanmoins insuffisantes tant que l'on n'a pas pointé le problème essentiel que vit le thérapeute: celui de son mythe personnel. Tout mythe concerne l'origine, tout mythe a pour but l'édification d'un monde. La question qui se pose au thérapeute est la question centrale à partir de laquelle se constitue tout sujet humain et que Freud a mis en lumière dans "les théories sexuelles infantiles" (1905): D'où viennent les enfants? Comment suis-je né?

 

Il s'agit toujours d'une question portant sur la parenté et sur la filiation, sur la différence des sexes et sur la différence des générations. Cette question est oubliée ou recouverte chez la plupart des hommes. Chez les thérapeutes, elle demeure présente de manière lancinante. Elle se décline ainsi: qui étaient mon père et ma mère, ai-je été désiré, puis-je accepter d'avoir été créé par eux, quelle est la part de masculin et quelle est la part de féminin en moi, dans quelle mesure suis-je mon propre créateur, sous quelle modalité suis-je moi-même capable d'engendrer d'autres êtres humains, suis-je un "vrai" père ou une "vraie" mère (autrement dit, puis-je jouer le rôle de garant symbolique), suis-je l'enfant de ceux que j'ai engendrés?

 

Le thérapeute n'est donc jamais assuré d'avoir été désiré par ses parents, d'être véritablement né, d'être à même de favoriser la naissance d'autrui. Il a besoin des autres, de leur regard, de leur amour, de leur reconnaissance, mais aussi de leur haine, de leurs questions, pour savoir qu'il existe. Placé dans une position de quasi magicien, tel le Prospero de "La Tempête" ou l'Alcandre de "l'Illusion comique", puisqu'il institue une relation illusoire devant favoriser l'émergence d'une réalité qui ne congédie pas la fantasmatisation, il se demande s'il n'est pas lui-même l'objet du rêve qu'il instaure. Tel Tchouang-Tseu, il peut se demander s'il rêve d'un papillon ou s'il est un papillon qui rêve de Tchouang-Tseu. Parfois, il se maintiendra à l'intérieur de cette question et il s'engluera dans sa position illusoire. Mais de toutes manières, il est condamné à passer par la rencontre avec un autre, pour avoir une chance de savoir s'il existe, de qui il est l'enfant, de qui il est le parent. Le danger qu'il court et qu'il fait courir à son client est, ne pouvant pas traiter ses conflits, de se poser comme la référence, le seul père (établissant une jonction "délirante" entre père réel, père imaginaire, père symbolique), devenant de ce fait un géniteur castrateur, ne supportant que l'engendrement du même. Ou encore, comme l'a montré Searles (1975), de provoquer un conflit affectif chez le patient et de tendre à le rendre malade, fou et sans désir. Tout désir de former, d'engendrer, rencontre comme butée le désir inverse de déformer, de briser, de morceler autrui. Tout parent formule inconsciemment des voeux de mort sur ses enfants. Le praticien du social, obsédé par la question de la filiation, a plus d'occasions qu'un autre de les rendre opérants.

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Des êtres en changement

 

Enfin le thérapeute perçoit l'individu comme un être en changement (comme une quasi essence qui se découvre au travers même de l'existence et du mouvement et qui ne parvient jamais à revêtir une forme substantielle), vivant de ses conflits, de ses contradictions et de l'essai de traitement de ceux-ci. Il est donc sensible à l'imprévu, au merveilleux, à la surprise, il désire favoriser chez autrui un processus de découverte de la vérité qui le constitue et l'institue. Le problème est alors de pouvoir continuer à accéder en lui, au "trouble de penser" (Tocqueville) et, compte tenu de sa propre réussite professionnelle, de ne pas se laisser séduire par l'idée de la bonne forme à laquelle devrait accéder son client pour que celui-ci réalise ses possibilités.

 

L'idéal de Pygmalion hante tout intervenant, la tendance à la clôture de l'expérience reste une tentation constante d'autant plus que le thérapeute peut toujours craindre que le client l'entraîne sur des chemins non balisés où ils pourraient tous deux rencontrer l'expérience "innommable", celle que ni l'un ni l'autre ne seraient en mesure de contrôler.

 

Ainsi tout thérapeute est plus ou moins en train de mettre en oeuvre sur la scène de la relation avec autrui des projets conscients ou des fantasmes inconscients (R. Kaës 1973, 1976 b) se référant au modèle du formateur, donneur de bonne forme, du médecin obsédé par la guérison, de l'accoucheur "socratique", du militant transformateur du monde, du réparateur qui empêche les traumatismes du client de devenir "irréparables". D'autres modèles pourraient être évoqués. Ils ne peuvent pas ne pas conduire l'action de l'intervenant. Mais ce qui précède montre bien que ces modèles et ces fantasmes nécessaires à l'action thérapeutique ne sont pas innocents. Le désir de guérison exprimé profondément et moteur exclusif de l'action peut entraîner une réaction thérapeutique négative et enfermer encore plus le client dans ses difficultés. Le désir de réparation développe chez le soignant une volonté démiurgique de sauvetage et une vision de l'autre comme une machine dont on connaît les rouages et dont il faut améliorer le fonctionnement, d'où le danger de ne pas entendre la plainte réelle du client et de répondre à côté de sa demande. La volonté de formation peut déboucher sur l'obligation pour le malade d'entrer dans le cadre pré-établi de la "bonne forme" telle que le thérapeute la conçoit: le désir d'accoucher autrui et donc de faire surgir ses potentialités est susceptible d'ouvrir les vannes de ses pulsions les plus allo-destructrices et auto-destructrices. Tous ces modèles positifs ont leur envers et leur face mortifère. Mais derrière eux silencieusement peut se profiler l'effort "pour rendre l'autre fou", pour contribuer à sa dissociation, pour le soumettre à des injonctions paradoxales qui, à tout le moins, augmentent son désarroi, quand ne règne plus un effort pour rendre l'autre mort. Il n'est pas facile d'engendrer des enfants et même si c'est de l'amour qui veut être donné, il n'est jamais sûr que la mort ne se cache pas derrière son visage, que cet amour ne soit pas empoisonné et n'empêche pas l'autre de devenir cet être autonome, capable de désir et de secret. Tout individu et tout thérapeute encore plus, est dans une situation de pouvoir et il peut céder à l'inclination, même s'il sait consciemment qu'il doit y résister, d'en abuser. Il devient ainsi non un père jouant le rôle d'un référent, mais un persécuteur refusant et castrant les autres tel le chef de la horde décrit par Freud, un être qui manifeste sa volonté d'emprise et d'instauration d'autrui dans une filiation persécutive (P. Aulagnier, 1980).

 

Le fonctionnement institutionnel

 

Les fantasmes et les projets des thérapeutes s'inscrivent dans un fonctionnement institutionnel qui concourt lui-même au déploiement du travail de la mort. Aussi nous faut il essayer de comprendre pourquoi "la mort retentit" si facilement "dans cette voix étrange" de l'institution.

L'institution est un lieu où se côtoient différents types de soignants qui occupent des statuts et des rôles théoriquement stabilisés et entre lesquels se nouent des relations de pouvoir. Si dans les organisations industrielles, les membres sont conscients et de la nécessité de la coopération et des rapports de force institués qui peuvent déboucher sur des moments de rupture, il n'en est pas de même dans les institutions.

 

L'idéologie égalitaire

 

Les institutions vivent sous l'égide d'une idéologie égalitaire. Chacun des opérateurs sociaux (l'analyste, l'éducateur, l'instituteur) tient dans son domaine un rôle thérapeutique. Il s'agit de soigner l'enfant, l'adolescent, l'adulte en état de détresse, et chaque membre doit concourir à ce travail commun. La coopération des égaux est donc posée comme une nécessité. Mais aussitôt posée, elle est aussitôt démentie. En effet chaque spécialiste peut succomber au désir de penser que les progrès du soigné sont dus uniquement à la technique spécifique qu'il utilise, l'action des autres ne pouvant que constituer une entrave. Jalousie et rivalité vont se manifester concernant les techniques et concernant la question: qui est le propriétaire du malade.

 

Les institutions tendent à résoudre cette question en créant des séances de travail en commun sur les "cas problèmes", et des séances de régulation d'équipe ayant pour but la résolution des conflits qui pourraient survenir. C'est faire peu de cas des pouvoirs différents exercés par les divers intervenants: la parole de certains (par exemple celle des psychanalystes) peut avoir plus de poids institutionnel que celle des autres (par exemple celle des éducateurs). La parole des anciens (des fondateurs) que celle des nouveaux. Ainsi dans un hôpital psychothérapeutique, on évoquera l'opposition des gens du "château" (les psychanalystes et les psychologues qui travaillent dans le bâtiment central) et des gens de la "cour" (les éducateurs qui s'occupent des enfants psychotiques dans des ateliers qui se trouvent dans la cour). Ces relations de pouvoir (qui ne peuvent jamais s'exprimer telles quelles - les psychanalystes écoutant "formellement" avec beaucoup d'intérêt ce que disent les éducateurs - les éducateurs écoutant, contraints et forcés, la parole des psychanalystes que souvent ils ne comprennent pas, parce qu'elle leur arrive comme une parole de pouvoir et une parole théorique faisant fi des problèmes concrets qu'ils rencontrent et niant la valeur de leur travail) rendent difficile, sinon impossible, le traitement des cas évoqués. Ces réunions visant à "parler les problèmes" tournent au rituel vide. Les membres de l'institution sont là pour parler et ils parlent. Mais les vraies questions sont rarement abordées, car si elles l'étaient, des conflits précis pourraient en résulter, qui mettraient en cause la sécurité et l'identité de chacun.

 

Le fantôme des premiers fondateurs

 

Dans de tels ensembles rôde un fantôme: celui des premiers fondateurs et de l'enveloppe mythique qu'ils ont forgée permettant ainsi la fondation de l'institution. Ce fantôme joue un quadruple rôle:

  1. Exprimer qu'au temps primordial, celui de l'origine, existait une équipe cohésive, sans problèmes internes et qui savait ce qu'elle voulait, puisqu'elle était mue par un projet cohérent. D'où la montée d'un sentiment de culpabilité chez les nouveaux qui n'arrivent pas à se montrer dignes de tels ancêtres.

  2. Maintenir le pouvoir des fondateurs, lorsqu'ils sont toujours présents dans l'institution, qui continuent à se présenter et à vouloir être pris comme des pôles idéaux et donc des repères identificatoires. Même si, compte tenu de l'évolution de l'institution, le mythe ou l'idéologie qu'ils proposent ont quelque chance d'occulter la réalité de la situation présente.

  3. Ne pas remettre en cause le projet initial qui, s'il était examiné attentivement, montrerait les failles ou les inconséquences qu'il présentait dès la genèse et qui sont à l'origine des difficultés présentes. Dans le cas de l'hôpital évoqué antérieurement, les thérapeutes se sont rendus compte que le projet auquel tous se référaient avait été proposé par deux individus: le premier avait quitté l'institution, parce que celle-ci ne répondait pas à ses attentes (l'un des pères fondateurs était donc un père rejetant), quant à l'autre, toujours présent dans l'institution, il ne faisait en fait que faire fonctionner un projet dont il n'était aucunement l'auteur (le deuxième auteur véritable était une psychanalyste exerçant de fait un pouvoir extrêmement fort mais qui s'était bien gardée de dire qu'elle avait été à l'origine du projet). Un père rejetant, un "faux" père, une mère cachée: voici ce qui n'avait jamais pu s'exprimer et pesait de tout son poids sur les membres de l'institution.

  4. Favoriser les histoires, les légendes, les contre vérités, les rumeurs les plus folles ("il y a des cadavres dans les placards") attestant d'une part la présence souterraine d'une scène primitive insupportable reproduite avec des ajouts, à caractère dramatique, d'autre part la perpétuation d'une série de "crimes" divers passés sous silence qui, une fois évoqués, apparaissent dérisoires en tant qu'événements mais qui ont servi à donner une allure tragique à l'ensemble de la vie institutionnelle.

Tous ces éléments (culpabilisation, pouvoir, difficulté de changement, faute inavouée) font de l'institution une grande machine qui éprouve les plus grandes difficultés à quitter le lieu de l'origine pour se préoccuper des problèmes quotidiens à résoudre.

 

L'autonomisation de la vie fantasmatique

 

Ce qui est en fait le produit historique des idées, des sentiments, des actes posés par les membres de l'institution n'est pas reconnu comme tel et finit par vivre d'une vie fantasmatique autonome et par constituer une enveloppe à la fois protectrice et angoissante qui délivre des injonctions auxquelles il est impossible de ne pas obéir.

 

L'institution devient ainsi un véritable "artefact" guidant la conduite de ses membres. Ceux-ci vont se sentir obligés de dire: "ici on ne peut entreprendre telle action... Le projet de l'institution est le suivant...", sans se rendre compte qu'ils sont les acteurs réels et que l'institution n'est rien d'autre que ce qu'ils en font. En conséquence, les individus éprouvent de la culpabilité chaque fois qu'ils sont créatifs, car ils ont le sentiment de transgresser des valeurs sacrées auxquelles ils adhèrent ou dont ils ont peur. Les deux solutions possibles qui s'offrent à eux sont simples: soit ils obéiront à ces injonctions vécues comme leur étant extérieures (même si parfois ils les ont intériorisées), soit ils contourneront les règles et se comporteront autrement que prévu, mais sans oser le dire, de peur d'être évalués négativement: le secret s'installera donc, un secret pesant, toujours menacé d'être découvert. Aussi lorsqu'ils parleront de ce qu'ils font, non seulement ils ne diront pas la vérité, mais ils auront tendance à surenchérir sur les valeurs de l'institution, pour ne pas être soupçonnés de déviance. Les discours seront alors des discours de travestissement ayant pour effet de placer l'ensemble des praticiens dans une situation de défiance les uns par rapport aux autres (chacun craignant que la vérité de son action soit mise à jour et que les autres se transforment en persécuteurs), et surtout de placer les patients dans des contradictions insoutenables, ceux-ci percevant bien (consciemment ou inconsciemment) les contradictions entre les propos et les actes et se sentant englués dans le mensonge généralisé dont les thérapeutes les rendent toujours peu ou prou, complices.

 

Effets de la fermeture du système

 

L'institution de plus, en tant que structure close, secrète tous les éléments inhérents aux systèmes fermés: la répétition des conduites, la montée de la bureaucratie (la multiplication des normes, des procédures, des conventions, et ses corollaires: l'absence d'initiative, le besoin de sécurisation et de fuite des responsabilités, ainsi que l'habileté au contournement des règles et à la perversion du fonctionnement) et, en fin de compte, la tendance radicale à l'augmentation de l'entropie, donc à la désorganisation et à la mort. L'inclination à la réduction de tension, est une caractéristique centrale de ce type d'institution, dans la mesure même où l'évocation et le traitement des problèmes risqueraient d'entraîner des niveaux de tension intolérables. La tendance à la réduction de tension à l'état zéro se traduit par l'effritement de l'institution, l'impossibilité de l'articulation de l'idéal et du réel, la dispersion des efforts sinon leur annulation, la prolifération d'actes dépourvus de sens condamnant tout essai de construction d'un monde où l'imaginaire puisse se déployer, la course à l'apocalypse joyeuse et à la catastrophe partagée. Si une organisation vivante est celle qui peut faire face aux défis internes et externes, accueillir le sens qui circule en elle et donner du sens à ce qu'elle fait, l'organisation mortifère est celle qui, en rendant toutes les conduites non hiérarchisables totalement conflictuelles mais non traitables, ou au contraire a-conflictuelles et non significatives, aboutit au silence du désir, à la haine de tout désir et donc à l'instauration d'un processus de décomposition auquel tout le monde oeuvre, qu'il le veuille ou non. Qu'un tel processus ne parvienne à ses fins que longtemps après son apparition, ne détourne pas l'institution de son attirance pour une interminable fin. Elle sera envahie, pendant cette période où elle croit vivre ou être en état de rémission, par des métastases qui finiront par la faire quitter la situation de morte-vivante pour celle d'une institution disparue corps et biens. Une institution de soins fait montre d'une vulnérabilité particulière à ce processus, car elle ne peut éluder la question de la vie et de la mort psychique ou physique de ses patients. Aussi lui est-il plus aisé de succomber aux charmes mortifères qui la constituent que de lutter contre la fascination du néant.

 

L'utilisation des soignés par les soignants

 

Le rapport que les soignants (en tant que collectif) entretiennent avec leurs clients est naturellement façonné par le rapport qu'ils entretiennent avec leur institution. Puisqu'ils peuvent être pris dans la répétition, le secret opaque, dans la culpabilité et dans la rivalité, ils peuvent être tentés de se servir de leurs patients pour exprimer leurs besoins narcissiques et solidifier une identité continuellement menacée. Deux stratégies s'offrent à eux:

  1. Ne pas parler de l'objet même de leur travail ou encore le faire parler à leur manière sans encourir de danger.

  2. Utiliser directement les patients pour régler leurs propres problèmes de groupe.

Dans certains cas, seule une de ces stratégies sera mise en place, dans d'autres, les deux seront employées, car elles peuvent s'épauler l'une l'autre.

 

1. Les soignants peuvent oublier les soignés:

lors d'interventions que nous avons menées dans des hôpitaux psychiatriques ou dans des centres de rééducation, nous avons pu assister à nombre de réunions où, si les participants discutaient des théories analytiques, de pratiques éducatives, de la nécessité de la référence à la loi, ils ne parlaient par contre pratiquement jamais des malades, de leur souffrance spécifique et du rapport que l'équipe thérapeutique établissait ou devait établir avec eux. Si par hasard ils les mentionnaient, c'était pour substituer leur parole à celle des soignés, pour se poser comme les porte parole de leur demande, sans que celle-ci avec son cortège d'angoisses et de violences puisse jamais s'exprimer directement, dans un lieu collectif où leur parole serait attendue et entendue.

 

Certes, le tableau n'est pas toujours aussi noir. Dans certaines institutions, les séances d'analyse et de régulation d'équipe permettent d'analyser et de traiter les problèmes vécus par les malades, des espaces sont construits où l'échange de parole favorise l'établissement d'un nouveau lien symbolique qui ouvre aux patients une possibilité d'ancrage dans le réel et de ce fait une voie vers la guérison. Disons simplement que de tels cas sont peu fréquents. Lorsqu'une telle occurrence se produit, elle est le signe de la circulation d'un flux vital dans l'institution et d'une défaite temporaire du travail de sape de la pulsion de mort.

 

La difficulté des soignants de parler des malades ou de les laisser parler est non seulement liée à leur défense contre toute blessure narcissique possible mais à la présence insistante, déjà notée, du fantasme de la mort physique et psychique. Lorsque la folie ou au moins l'explosion archaïque constitue la normalité, le système culturel est en défaut, les interdits et les structures deviennent fragiles: les rapports de force (mettant en jeu les corps et les psychés) sont susceptibles de prévaloir sur les relations où l'altérité de l'autre se voit respectée. De fait, lorsqu'un groupe fonctionne sous l'égide du rapport de force, la mort physique ou mentale n'est jamais loin.

 

Tout le monde risque la mort. Les soignants ne sont pas épargnés. Ils peuvent être agressés physiquement et psychiquement par leurs patients dont la folie leur fait peur, et ce d'autant plus que la différence que ces derniers expriment leur semble monstrueuse et capable de les ébranler, car elle se concrétise dans une attaque contre les liens (W.-R. Bion, 1959), qui les met dans une situation où ils se sentent détruits dans leur action et dans leur être. La violence peut également se produire dans le cas inverse, autrement dit lorsqu'il existe des relations de confiance entre les membres de l'équipe soignante et les patients (Ph. Jeammet, 1985). Tout se passe comme si ces derniers, réagissant au risque de pénétration possible de leur psyché, entraînée par une trop grande proximité entre eux et leurs soignants, ne pouvaient qu'externaliser leur angoisse et leur protestation que sous une forme explosive. Cette violence indique qu'un objet externe (aussi bon se veut-il) demeure toujours une menace pour la psyché de tout sujet. Les soignants peuvent également être fascinés par la maladie de leurs patients, et entrer en collusion avec leur délire. Ils peuvent en voulant les aider, se faire manipuler par eux et entreprendre de ce fait des actions irréfléchies pouvant mettre en cause leur propre équilibre (il n'est guère de patient aussi délirant soit-il qui, par quelque côté, ne comprend pas quelle séduction il peut exercer sur son thérapeute). "L'anormal" sait souvent fort bien qu'il énonce tout haut ce que le thérapeute pourrait avoir envie de dire et dont il n'ose pas prendre conscience, qu'il exprime une capacité à violer l'interdit qui existe dans chaque être humain, puisque comme le dit Freud "toutes les sublimations ne suffisent pas à supprimer la tension pulsionnelle existante" (S. Freud, 1920, p. 87) qui exige d'être satisfaite. Nous avons noté que les personnes les plus en danger sont les malades. Pourtant les soignants se sentent à juste raison en danger, et ils essayent de mettre en place des mécanismes protecteurs.

 

2. Les soignants peuvent utiliser les soignés pour régler leurs problèmes:

les relations de pouvoir instituées existantes dans l'équipe peuvent être modifiées ou modulées par le pouvoir exercé réellement ou fictivement par certains membres, hiérarchiquement placés dans des positions subalternes, sur certains malades. Dans un établissement de soins, chaque personne du psychanalyste à l'éducateur joue un rôle thérapeutique. Tout le monde peut donc être en mesure de fonctionner comme des "machines à influencer" (Tausk) qui essaieront de modifier le comportement des "assistés" de manière différente et contradictoire. Certains exerceront plus d'influence que d'autres ou encore, faisant parler les malades, mettront en avant la préférence exprimée à leur égard par les malades. Ainsi les malades qui vivent directement les contradictions dans la manière dont on s'occupe d'eux, peuvent faire les frais des conflits de statuts, de références théoriques, de perspectives d'action, de personnalités. Ils sont pris à témoin des divergences, ils deviennent les arbitres (manipulés, manipulants) de la situation. Ils risquent donc, vivant une situation contradictoire, placés dans une situation qui les affole et à laquelle ils ne peuvent rien, d'être pris dans un processus de morcellement et non de construction, n'étant pas soutenus dans leur expérience par une loi organisatrice, mais éprouvant directement dans leur psyché et dans leur corps la violence du morcellement de l'institution, incarné par la rivalité et l'affirmation narcissique de ses membres.

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L'institution soumise au processus de contagion de la folie

 

Freud, Redl, Bion, et plus récemment les analystes de groupe, ont décrit et analysé les sentiments collectifs et les émotions de ce groupe. Retenons un seul aspect de leurs travaux: un groupe ne peut exister comme tel si ne sont pas en oeuvre des phénomènes d'identification à une ou plusieurs personnes centrales incarnant un idéal, de projection des pulsions amoureuses (et agressives) sur le leader ou ses tenants-lieu, de dérivation de l'agressivité vers des boucs émissaires. L'institution est alors placée sous la menace constante de l'apparition d'un fanatisme de groupe.

 

Or, on peut constater la fréquence de la focalisation de la vie affective et inconsciente de la communauté sur le (ou les) individu le plus bizarre, le plus dangereux, le plus délirant (que celui-ci provoque l'amour ou la répulsion). Ainsi le paranoïaque, être doué d'une lucidité redoutable en tant qu'il entend, sans le vouloir, le discours inconscient (les affects refoulés, les émois interdits, les paroles chuchotées), qu'il fournit de fausses réponses à de vraies questions et qu'il se sent porteur d'une mission salvatrice. Ou le pervers qui invite chacun à suivre la loi de son désir et à transgresser les lois structurantes considérées comme règles arbitraires répressives. Ou encore l'hystérique qui tend à érotiser l'ensemble des rapports sociaux et qui ébranle, par son aptitude à la dramatisation, l'équilibre sexuel relationnel de chacun... tous peuvent donc assurer la fonction de leader et créer des sentiments collectifs dont personne ne parvient à se déprendre: ni les soignants qui peuvent être envoûtés par ces individus excessifs et s'identifier à eux, ni à fortiori les soignés, pris d'autant plus facilement dans l'atmosphère morbide qu'ils sont moins protégés contre elle que les soignants, et d'autant plus sensibles à la violence pulsionnelle des leaders que ceux-ci trouvent en eux un écho privilégié.

 

Le choix de ce type d'individu comme personne centrale s'explique aisément: ce sont les individus les plus dé-réalisants, porteurs d'un message de l'impossible, initiateurs des transgressions, se situant donc en dehors du commun, dans une position de "souveraineté" (G. Bataille, 1957), de narcissisme démesuré et d'indifférence sinon de mépris des autres, ce sont les individus qui se présentent comme des mythes incarnés, comme des magiciens soutenant les pulsions et les fantasmes les plus archaïques et énonçant la transmutation des rêves en réalité, qui ont toujours la plus grande chance de provoquer la croyance. Ils s'adressent en effet directement à l'inconscient de chacun et donc à sa quête d'immortalité, de transgression, d'affirmation d'un narcissisme évacuant la question de l'autre.

 

Une institution peut, étant entraînée dans cette voie redoutable, se stabiliser sur un fonctionnement névrosé ou psychotique devenu la "culture" à laquelle chacun appartient, et idéal commun. La folie collective aura de grandes chances, non seulement de se maintenir, mais d'être portée à son acmé. Elle atteindra les divers membres de l'institution - qu'elle soit générée par une personne centrale (ou un groupe) et que celle-ci (ou celles-ci) appartienne à la catégorie des soignants ou des soignés - au plus intime d'eux-mêmes et augmentera la cohésion mortifère et paradoxalement "morcelante" de l'ensemble. Pourtant lorsqu'un effort d'analyse sera entrepris, des institutions pourront entrer dans un travail de perlaboration et échapper à cette emprise totalisante. Mais elles devront prendre conscience que le traitement de ce fonctionnement "direct" impliquera des remaniements profonds à opérer dans l'économie psychique, tant des sujets que de la communauté. Il est vraisemblable de penser que certains membres ne pourront pas supporter la disparition des symptômes qui les protégeaient et auxquels ils étaient habitués. Les institutions peuvent donc par cette oeuvre de guérison commune mettre certains de leurs membres en péril et les faire tomber dans une folie individuelle, irréductible, la folie collective ne leur servant plus de paravent ni de pare-excitations. La mort apposera son sceau, là-même où elle apparaissait défaite.

 

Le visage aimable de la mort

 

Pourtant, au terme de cette étude il est utile de reposer la question que nous avions posée au début. Et si le travail de la mort ne débouchait pas seulement sur la réduction de tension à l'état zéro, sur la montée de la désorganisation et l'augmentation de l'entropie, sur l'apparition d'émotions disruptives et de pouvoir violentant? Et si la pulsion de vie appelée à la rescousse ne signifiait pas nécessairement identité, invention, histoire commune? Une réponse précise à ces questions ne peut être apportée dans ce texte. Il nous aurait fallu, pour en proposer dont la pertinence serait vraisemblable, traiter également des avatars et des effets de la pulsion de vie, ce qui aurait exigé un travail du même ordre que celui-ci. Pourtant certaines perspectives, aussi allusives soient-elles, doivent être indiquées, afin que ces lignes puissent être une ouverture à d'autres réflexions.

 

La pulsion de vie au service de la mort

 

La pulsion de vie dans son activité de liaison et de création "d'unités toujours plus grandes" (Freud) peut, en favorisant les identifications mutuelles, amener l'édification de cohésion défensive, de processus fusionnels, de comportements homogènes, c'est à dire contribuer à l'accroissement de l'entropie. La pulsion de vie dans les institutions vise à favoriser (Freud l'a fortement souligné) l'instauration de liens amoureux de type homosexuel ou au moins unisexuel inhibés quant au but (1921), qui donne force à l'institution mais qui empêche de reconnaître en son sein le rôle de la différence des sexes, autrement dit de ce qui est l'indice le plus radical de l'altérité et celui de la sexualité directe. L'institution ainsi ne vit pas d'amour (impliquant l'autre en tant qu'autre et pouvant jouer un rôle négatif dans la construction du lien social) mais seulement d'amour canalisé et sublimé dans les activités prescrites par l'institution et servant à sa fixité et à sa reproduction. La pulsion de vie (du moins dans les aspects mentionnés) oeuvrerait, sans le savoir, au service de la pulsion de mort.

 

Le travail de la pulsion de mort à l'origine de processus vivants

 

- Au niveau individuel : l'accueil de la mort présente en nous la prise en compte du caractère inéluctable de son travail de sape, l'acceptation de la temporalité irréversible à laquelle nous ne pouvons que souscrire et qui nous empêche de nous croire immortels, semblables aux Dieux, ou de poursuivre la quête d'immortalité des héros, fait de chacun de nous un individu poussé à être inventif et à laisser sa marque, aussi petite et furtive soit-elle, dans le monde. Si nous étions immortels ou si nous n'acceptions pas d'être mortels, tout serait égal. Aucune raison d'accomplir un acte plutôt qu'un autre, puisque le temps immobile serait toujours susceptible de le prendre en compte. C'est parce que nous savons que ce qui est passé est irrémédiablement passé, que ce qui est perdu est irrémédiablement perdu (aucune madeleine ne pourra jamais plus nous procurer la jouissance dont nous avons la nostalgie), que l'origine de nos premiers instants demeurera toujours une énigme plantée comme une écharde dans notre coeur, que nous pouvons avoir l'envie de lutter contre le temps qui passe, de "donner un sens plus pur aux mots de la tribu" (Mallarmé), ou de forger de nouveaux mots, de tisser des relations qui, pour éphémères soient-elles, dessineront la figure de notre être. Figure mouvante, instable, souvent incohérente, prise dans le flux et le reflux, figure aimée, admirée, détestée, rejetée, mais à la fin de notre parcours, figure unique dont les scoliastes futurs, s'ils existent, pourront grâce à l'illusion rétrospective, décrire les tenants et les aboutissants. C'est par la familiarité avec la mort, par la méditation sur la mort et sur la finitude que le vivant peut accéder à l'ordre du vivant: créateur sans être paranoïaque, transgresseur sans devenir pervers, passionné sans impulsion hystérique, animé par une idée fixe sans tomber dans la névrose obsessionnelle. Et encore croyant à ce qu'il fait sans être "un séquestré de la croyance" (C. Roy, 1978), ayant un idéal sans avoir besoin d'idole, charmé par les illusions mais non capté par elles. Simplement homme, pris dans un tissu relationnel dans lequel il respire et qu'il fait vivre.

 

Hegel nous a prévenu: vivre implique toujours une lutte pour la reconnaissance. Qui dit lutte pour la reconnaissance (de ses désirs, de son identité, de sa force), dit violence où se trouve présente la possibilité de notre mort et de celle d'autrui. Que l'on songe à l'engagement total de Freud dans l'énonciation des idées et des méthodes qu'il estimait pertinentes et l'on aura une représentation suffisamment claire de ce que peut signifier lutte pour la reconnaissance. Freud pouvait y laisser sa vie, sa raison (comme disait Van Gogh: "mon travail à moi, j'y risque ma vie et ma raison y a fondu à moitié") et ses attachements. Et pourtant (comme les autres "créateurs d'histoire"), il n'a pas hésité. Dans cette lutte (qualifiée de lutte à mort de pur prestige par Kojève, 1947), autrui est tout autant engagé. Il peut subir une défaite irrémédiable (les rapports sociaux ne sont pas idylliques, rarement même coopératifs). Mais il peut se défendre, s'il a lui-même une cause à laquelle se dévouer. Il est bon qu'il en soit ainsi. Sinon le social, qui n'y est que trop incliné, ne serait que le lieu des compromissions, des à peu près, des négociations manipulées. La lutte arrache ainsi chacun à sa quotidienneté, à sa grisaille, à sa mesquinerie. Chacun pouvant tout perdre, la victoire n'en a que plus de goût. "La guerre rend la vie intéressante" (S. Freud, 1915, p. 29). Nous faisons nôtre cette phrase, en lui donnant un sens précis: la guerre franche, directe, à visage découvert où chacun sait qu'il risque tout. Quant à la guerre des nations, elle n'offre qu'une caricature de cette lutte pour la reconnaissance qui est la marque, comme l'a montré Hegel, de l'avènement de la conscience de soi.

 

Sans travail de la mort, mince serait l'éventualité pour l'homme de se remettre en cause, de défaire des liens (parfois essentiels) qu'il a longuement tissés, de provoquer des ruptures en soi. Tout travail sur soi est un travail douloureux où l'homme prend conscience de ce qu'il perd sans être assuré de gagner et sans pouvoir comprendre, si tel est bien le cas, ce qu'il est en train de gagner. Mais c'est en effet "paradoxalement quand l'individu n'a pas peur de se défaire qu'il a le plus de chance d'atteindre réellement ce qu'il est" (M. de Muzan, 1977). C'est quand l'homme accepte ses inconséquences, incohérences, contradictions, conflits, ses échecs même, c'est quand il vit cette expérience autant qu'il lui est possible sans tomber dans le "dés-être" mortifère, c'est quand il a du "chaos en lui" et qu'il sait le reconnaître et l'affronter que peut-être, selon la phrase de Nietzsche déjà citée, il pourra "accoucher d'une étoile qui danse". Ce à quoi l'individu dit normal, cuirassé dans ses certitudes, sera définitivement inapte.

 

- Au niveau collectif : la distinction "niveau individuel / niveau collectif" n'est pas rigide. La triple possibilité énoncée: acceptation de la mort, lutte pour la reconnaissance, remise en cause, peut se manifester dans les institutions. Certes, celles-ci tendront à nier la mort, à encadrer la lutte pour la reconnaissance, dans des structures de pouvoir, à minimiser les remises en cause fondamentales. Elles ne peuvent pourtant pas entraver totalement leur action sans se condamner à dépérir. Par niveau collectif, nous voulons simplement indiquer la présence d'un autre processus que ceux mentionnés ci-dessus et qui est spécifique à l'institution: le processus de déliaison qui l'affecte depuis son origine. Un tel processus contient en germe la décomposition de l'institution. Nous l'avons montré. Mais il combat aussi le caractère excessif de liaison de la pulsion de vie sous son versant négateur de l'altérité radicale et créateur d'une forme stable (N. Zaltzman, 1979). Le travail de la mort, en tant qu'il délie ce qui est trop fortement lié et qui est devenu résistance compacte, qu'il brise les identités défensives, qu'il secoue les structures établies, qu'il oblige à voir des problèmes là où l'on ne percevait que des comportements adaptés, condamne l'institution à identifier ses problèmes, à essayer de les traiter, à exiger de ses membres des conduites nouvelles, des confrontations avec l'imprévu en eux et chez les autres. La mort se présente alors sous le visage de la déstructuration/ restructuration, de l'auto-organisation, de l'angoisse partagée et dépassée.

 

Chaque fois qu'une institution a vécu une crise, a été traversée par la peur de retomber dans l'informe, a laissé libre cours (sans refoulement) à l'agressivité des individus, et chaque fois qu'elle a su qu'elle pouvait mourir et qu'elle s'est préparée à cette éventualité, elle s'est en fait donné les moyens de continuer à vivre. Naturellement, bien des institutions n'ont pu dépasser ce stade de dislocation et ont succombé. Sans doute ne méritaient elles pas de continuer à vivre, d'autant plus qu'aucune raison de vouloir maintenir coûte que coûte une institution qui se délite ne peut être alléguée valablement (dans le cas d'un être humain, la question peut et doit par contre être posée). Mais quand elles ont pu faire de ces difficultés l'emblème de leur renaissance, quand elles ont pu côtoyer l'abîme et le regarder en face, elles ont senti le vent du large les fouetter et elles ont pu continuer à se frayer, avec plus d'humour et d'ironie, donc plus de lucidité, la route qu'elles s'étaient tracée ou trouver de nouvelles voies où s'engager.

 

Alors "Mort, où est la victoire?". A la fin de ce périple, la seule conclusion possible est la suivante: le travail de la mort se confond avec le travail du négatif, mais le négatif a deux visages. Celui de la destruction, signe de la haine pour la forme vivante, et celui de la destruction de l'unité/ identité, signe de l'amour pour la variété. Les institutions (en particulier les institutions de soins) obsédées par la mort psychique, courent le danger en voulant l'éviter de ne voir en Thanatos que sa face démoniaque bien réelle et de donner à celle-ci tout le champ à investir. Pourtant, si elles acceptent de ne pas "s'effaroucher devant la mort" et de se "maintenir en elle" (Hegel), elles peuvent avoir une chance de faire surgir la vie ou de la rencontrer dans le "vaste pays" où rien ne pouvait laisser supposer sa présence.

 

- Eugène ENRIQUEZ "le travail de la mort dans les institutions" -

 

 

- formation pour Infirmiers de Secteur Psychiatrique -

- programme officiel enseigné sur 3 ans entre 1979 et 1994 -

- psychologie: théorie et concepts fondamentaux (dossier n°2) -

 

 CONCEPTS PSYCHOLOGIQUES  -  1er DOSSIER

suite

 PSYCHIATRIE INFIRMIÈRE : COURS DE PSYCHOLOGIE

Interventions orales de Mme Huguet, 1984 - 1985,

sauf spécifications indiquées en marge du texte.

Écrit, mis à jour par Mr Dominique Giffard

pour le site "Psychiatrie Infirmière" : 

http://psychiatriinfirmiere.free.fr/,

références et contact e-mail.

 

bibliographie

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