etat limite enfant - formation pour Infirmier de Secteur Psychiatrique - cours de Mr Giffard -
ÉTAT-LIMITE CHEZ L'ENFANT
Pathologies frontières
Pré-psychose
On nomme ainsi une pathologie plus grave qu'une névrose, et moins grave qu'une psychose. L'incertitude réside dans l'évolution. Il y a une certaine correspondance avec les états limites chez l'adulte. Au niveau clinique, on observera des conduites pathologiques, des troubles du comportement, des troubles d'évolution, des problèmes somatiques... On trouvera notamment une multiplicité et une variabilité des symptômes. Les tics seront remplacés par des terreurs nocturnes, puis des phobies. L'enfant passe d'un symptôme à l'autre, mais reste néanmoins très en contact avec la réalité.
Le rapport à l'Autre est très particulier: l'enfant investit la relation pleinement, et avec agressivité. On le verra aussi parfois soumis à l'adulte, en présentant une apparence de "niaiserie". Le "faux self" est souvent évoqué. Le "self" est une notion introduite par Winnicott. le "faux self" traduit un manque de spontanéité, une dissociation entre d'une part la pulsion, et d'autre part l'ensemble "pensée/comportement".
L'évolution pourra se faire vers une organisation psychotique qui se développera en fin de période de latence, ou une organisation pseudo-déficitaire, ou alors vers un déficit dans un secteur particulier. L'évolution pourra être de type caractériel avec adaptation de surface fragile et grande rigidité des fonctions mentales. On pourra enfin observer une évolution dysharmonique.
Pathologie caractérielle
C'est un trouble du caractère et du comportement. Les enfants sont instables, agressifs, émotifs, anxieux, impulsifs, renfermés ou excités, opposants... On notera l'importance des pulsions agressives extériorisées ou non, avec absence apparente de souffrance. Il existe souvent dans l'entourage familial une carence affective, ou une déviance, ou encore une déficience sociale.
Organisations psychopathiques et perverses
Extrait de photocopies sur la 'clinique infantile', auteur et éditeur inconnus.
Des enfants psychopathes: le terme paraît moralisateur et choque presque autant que d'anciennes étiquettes normatives et fatalistes comme "caractériel" ou "pervers". Certains enfants et certains pré-adolescents utilisent sans culpabilité ni conflit intra-psychique l'agir comme mode exclusif d'expression de pulsions archaïques et ne peuvent établir de relations stables avec l'autre.
Ces trois points (primat de l'agir, absence de conflit, incapacité au transfert) définissent non seulement un comportement mais aussi une organisation spécifique qui est inscrite très tôt.
Elle peut dans certaines conditions favorables de milieu ne jamais se révéler par un comportement franchement antisocial.
Primat de l'agir
De telles organisations semblent fonctionner selon deux modes absolument différents. Tant qu'il n'y a pas d'émergence pulsionnelle ou d'interdit extérieur ce comportement apparaît relativement adapté à la réalité et au groupe social, quelquefois sur-adapté chez un enfant agréable, séducteur souvent aimable et aimé. Puis brusquement se produit entre la pulsion et l'acte un court-circuit qui met hors-jeu tout processus d'attente, de détour, de mentalisation aussi bien pendant l'émergence qu'après elle.
Identification et transfert
De tels enfants font naître chez l'autre une curieuse ambivalence. L'adulte se laisse capter, émouvoir et manipuler tout autant que les autres enfants des groupes auxquels ils appartiennent et qu'ils font exploser (ils jouent les éminences grises, moralisent et pervertissent, induisent des "acting" chez les autres ou bien ils sont des leaders craints et adulés, capricieux, changeant de favoris, le tout dans une coloration très homosexuelle). Un tel contre-transfert et la difficulté que l'on peut avoir à s'identifier à de tels enfants montrent bien combien ceux-ci ont eux-mêmes de grandes difficultés d'identification. Ils ont en effet à la fois une avidité affective énorme, mais brisent toute relation dès que celle-ci risque d'être prolongée d'où l'impossibilité d'un transfert authentique dans une analyse s'il n'existe pas de noyau névrotique. D'importantes fixations orales ambivalentes sont donc à l'œuvre avec leur double versant d'avidité et de sadisme et avec même quelque fois le goût pour les médicaments et le versant toxicomaniaque qui apparaîtra à l'adolescence.
Angoisse et défenses
Il n'y a pas de culpabilité ni d'angoisse élaborée vraiment intégrée, même si elle est mimée de façon souvent convaincante. L'acte semble même avoir pour fonction d'éviter l'émergence de l'angoisse dont on peut deviner qu'elle serait peut-être destructrice. On évoque souvent la relation de la psychopathie avec la psychose. Il ne semble pas qu'il y ait en fait risque de morcellement (l'objet, bien qu'on désire le détruire, reste entier) mais bien plus de perte de l'objet qui est désinvesti par avance (pour éviter sans doute d'être désinvesti par lui: "je veux te faire ce que j'ai terriblement peur que tu me fasses"). Le point commun que l'on pourrait trouver avec la psychose serait donc l'utilisation de l'identification projective Kleinienne.
Même si elle ne va pas jusqu'à l'invasion de l'autre, la projection est en tout cas toujours à l'œuvre de deux façons: projection de l'idéal du Moi de toute puissance sur l'autre, toute puissance niée immédiatement et attribution à l'autre de sa propre agressivité persécutoire. L'autre seul est méchant, et lui en veut. Mais cette projection est seulement vécue, agie sur un mode différent du mode psychotique, sans création ni représentation d'une néo-réalité. Le fantasme se trouve ainsi décapité de son élément représentatif habituel (mais est-ce un fantasme?) et transposé dans l'agir. C'est l'acte qui tient lieu de fantasme. Tout le système défensif semble donc constitué pour éviter l'angoisse et pour maintenir et justifier le sentiment persécutoire, bien plus que pour obtenir une hétéro punition justifiant la culpabilité.
Métapsychologie
Sur le plan topique, l'absence de Surmoi génital et intériorisé est frappante. C'est le parent, la société qui constituent des béquilles pseudo Surmoïques parce que toujours extérieures. Le conflit lui-même n'est jamais entre deux instances intériorisées, il ne peut naître qu'entre le ça et la réalité, conflit 'équilibré' car aucun des deux n'est annihilé par l'autre. On est dans le domaine du narcissisme et du masochisme primaire malgré l'apparente maturation du Moi. L'utilisation de l'agir semble avoir pour but de dénier avec un succès momentané une carence narcissique, en fait très précoce (c'est dans ce mécanisme du déni que l'on peut voir le lien avec les organisations perverses). On peut alors se demander ce qui sépare ces organisations des organisations psychosomatiques où la carence est du même ordre. On pourrait répondre qu'il s'agit d'une différence purement économique. Le nourrisson futur psychopathe investirait sur un mode primaire et aussi défensif la motricité plutôt que d'autres fonctions corporelles ou le corps entier. L'absence d'évolution de ces organisations, la répétition monotone des "acting" permet de voir à l'œuvre de la façon la plus pure le processus primaire, le principe de constance (chaque acte a pour but de ramener par la voie la plus directe l'excitation au point zéro) et la compulsion de répétition ainsi que l'instinct de mort en deçà de toute économie libidinale (Freud: "au-delà du principe de plaisir").
Perversions infantiles
On sait que Freud a provoqué un scandale, aujourd'hui désamorcé, en traitant l'enfant de "pervers polymorphe". Il entendait par là d'une part que la sexualité infantile normale s'exerce sous les multiples aspects des pulsions partielles et n'est pas soumise au primat de l'amour génital (sexualité polymorphe), d'autre part que cet exercice s'opère sans culpabilité (l'absence de souffrance névrotique signe la structure perverse qui par là est bien le négatif de la névrose). Plutôt que de faire le catalogue des diverses activités perverses de l'enfant rappelons quelques rapports entre certaines de ces activités et des moments du développement (et des mécanismes spécifiques de défense): l'objet transitionnel décrit par Winnicott est le prototype du fétiche. A la phase sadique anale apparaissent l'ambivalence, le masochisme moral ou secondaire, le sadisme libidinalisé. Le déni de la castration féminine entraîne travestissement, homosexualité, voyeurisme, exhibitionnisme... etc. Ce déni (tout comme les diverses activités perverses évoquées) appartient au développement normal de la phase phallique. Remarquons que la plupart de ces comportements pervers sont bipolaires ou plutôt ont deux faces complémentaires et indissociables.
États limites
Ou "organisations indifférenciées de type anaclitique". Ce que l'on considérera plus tard chez l'adulte dans un diagnostic rétrospectif comme des état-limites constitue un groupe "muet" apparemment normal chez l'enfant. En effet même si le premier traumatisme est survenu, il s'agit d'un traumatisme purement économique non figurable, non représentable, non fantasmatisable (même s'il correspond chez l'autre à une "scène riche de contenu"). Son impact crée, comme l'a noté Bergeret, une pseudo latence qui chez l'enfant ne se distingue pas phénoménologiquement de la normalité ou d'une précocité banale. Nous croyons pourtant à l'existence chez l'enfant d'états limites dont nous donnerons une définition très restrictive. Nous avons exclu en effet de ce groupe non seulement les entités cliniques qu'une analyse structurale plus précise permet de ranger soit parmi les psychoses, soit parmi les névroses, mais aussi les organisations psychosomatiques caractérielles et perverses qui nous semblent constituer chez l'enfant bien plus que des remaniements d'un tronc commun: des structures différentes inscrites très tôt dans le narcissisme primaire (la faille correspond à un traumatisme très précoce). Plutôt que d'états limites nous préférons parler d'organisations indifférenciées de type anaclitique. L'unité de groupe ne siège pas au niveau de la nosographie clinique très hétérogène, mais de l'existence constante d'une faille du narcissisme secondaire. Il est difficile de savoir si cette faille correspond à un traumatisme réel, mais le système défensif qui est constitué pour combler la faille permet souvent d'en supposer l'existence. Sur le plan clinique on note deux types de troubles très différents, avec d'une part les arriérations affectives et d'autre part les dysharmonies fixées apparemment non évolutives.
Arriérations affectives
Elles présentent des états de dépendance à l'égard de l'entourage (enfants qui ont à peine dépassé le stade de la symbiose), que l'on peut considérer comme des dys-maturations ou des a-maturations qui ne se sont structurées ni sur le mode psychotique ni sur le mode névrotique. Il faut bien entendu ne pas trop étendre ce cadre nosologique qui pourrait être commode pour éviter une analyse structurale précise dans certains cas. Mais la réalité clinique nous en apparaît incontestable. Il s'agit en effet d'enfants intelligents sans troubles du contact, sans inhibition mais dont l'affectivité et la dépendance évoquent celles d'un enfant de moins de deux ans.
Dysharmonies fixées non évolutives
Le secteur oblitéré où s'inscrit la faille peut être soit l'intelligence et la connaissance, soit les fonctions instrumentales (certaines dyslexies), soit le corps et la psychomotricité (dyspraxies, certaines instabilités qui sont une lutte constante contre la dépression). Rien au premier examen ne permet le plus souvent de rattacher ces troubles à une carence narcissique. Mais c'est l'échec bien particulier des tentatives de rééducation instrumentale (orthophonie, rééducation psychomotrice) qui peut y faire penser. De plus le trouble instrumental n'est pas lié à une inhibition compréhensible et analysable, il n'a pas de sens pour l'enfant, il ne s'inscrit pas dans un conflit, il existe comme un simple trouble économique.
On pourrait intégrer dans ce groupe des dysharmonies fixées certains cas de "sottises" ou de "niaiseries" dans le comportement d'enfants potentiellement intelligents mais qui souffrent d'une telle inhibition non névrotique. Il semble donc exister cliniquement un tronc commun indifférencié chez l'enfant. C'est l'action sur ce tronc commun d'un traumatisme qui peut provoquer des remaniements importants, de nouvelles structurations aussi bien sur un mode névrotique que sur un mode psychotique d'éclatement du Moi. Mais le plus souvent ce type d'organisation anaclitique n'aborde pas l'Oedipe et traverse sans encombres la phase de latence et la puberté, manifestant dans l'enfance une solidité singulière.
Métapsychologie
L'angoisse dépressive est toujours sous jacente, poussant à la fois à un travail constant d'auto régulation narcissique et de dépendance, d'appui (étymologie d'anaclitique) sur l'objet. Il s'agit d'un diagnostic structural difficile, souvent diagnostic d'évolution, ou plutôt de non évolution. On y fait référence en même temps à la deuxième topique Freudienne (pour la partie saine du Moi) et à la topique du narcissisme. Une description dynamique en est difficile: la dimension du conflit est en effet souvent quasi absente, et l'on peut repérer seulement le travail continuel effectué pour combler ou plutôt circonscrire la faille narcissique, en faire une "vacuole". Il semble donc que là, plus qu'ailleurs, c'est une description purement économique qui permet de rendre compte du cas: les investissements sont hétérogènes, en mosaïque ou en deux secteurs et la libido qui les maintient est à la fois narcissique et pulsionnelle (tantôt fusionnée, tantôt non).
Cet enfant dépend de ses objets auxquels il s'identifie de façon encore primaire, très centripète, sur un mode d'incorporation sans pouvoir les intégrer comme des objets Oedipiens.
C'est dans de telles structures que la faille narcissique impose la projection d'un Idéal du Moi archaïque et mégalomaniaque dont la traduction clinique sera soit le "transfert idéalisant" sur des parents transfigurés, soit la constitution d'un Soi grandiose et d'un transfert en miroir.