vers un retour à l'asile: la psychiatrie manque de personnel qualifié.
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Santé. La psychiatrie souffre du manque de moyens.
Article paru dans l'édition du journal "l'Humanité" du 14 décembre 2002
(également disponible sur le site de "l'humanité")
Hôpitaux psy :
le bateau ivre
Démission de chefs de service, impossibilité d'appliquer les orientations officielles qui prônent une psychiatrie plus humaine: les professionnels de la psychiatrie demandent des moyens.
Le 25 octobre dernier, le Dr Maryvonne Wetsch, psychiatre à l'hôpital Esquirol de Saint-Maurice (Val-de-Marne), donnait sa démission de son poste de chef de service: "démissionner est, en tant que chef de service, le seul acte à poser aujourd'hui, parce que rien ne va plus", explique dans une lettre ouverte au ministre de la Santé cette praticienne qui exerce dans le secteur public depuis plus de trente ans. "Je refuse de faire comme si je pouvais gérer convenablement les soins psychiatriques nécessaires", détaille-t-elle à ses collègues de l'hôpital, ajoutant: "faute de moyens, nous allons droit au fait divers" (accès à l'article de 2005 "débat après le meurtre de Pau").
Maryvonne Wetsch est désespérée de la tournure que prend la gestion de la psychiatrie en Île-de-France: "nous avions la chance de pouvoir ouvrir en ville, en 1986, des centres d'accueil et d'hospitalisation brève très efficaces. Ils nous permettaient, jusqu'ici, de soigner un maximum de patients sans recourir à une hospitalisation au centre hospitalier. Ceci, en pleine conformité avec les directives ministérielles successives. Ils sont remis en question, on va les fermer", déplore-t-elle, fataliste. Le futur schéma régional d'organisation des soins (SROS), "s'il prône officiellement le contraire, nous réduira au retour à l'asile" (accès à l'article de 2002 de F. Fabien "urgence pour la psychiatrie").
De fait, par manque de moyens et de personnels qualifiés (lire à ce propos la circulaire gouvernementale du 10 juillet 2003 qui révèle l'absence de véritable formation psychiatrique au sein des IFSI), les hôpitaux, mais surtout les petites structures de proximité -sectorisation psychiatrique, fer de lance d'une psychiatrie " hors les murs "-, sont fragilisés. Elles exigent du personnel, l'ouverture la plus large possible, des compétences pointues (accès au dossier détaillant les graves insuffisances de la "formation unique infirmiere" imposée à la psychiatrie par le gouvernement de 1992). La situation est contrastée sur le territoire - les disparités dans le taux d'équipement en psychiatrie vont de 1 à 13 suivant les départements -, mais l'appréciation générale est partout la même: les moyens disponibles actuellement permettent difficilement de réaliser les orientations politiques officielles, qui visent un soin de proximité, ancré dans le quotidien du patient, loin du centre asilaire et de l'enfermement aux effets destructeurs.
"Il y a clairement une contradiction", confirme le Dr Charles Alezrah, psychiatre et président de la commission médicale d'établissement (CME) du centre hospitalier spécialisé de Thuir (Pyrénées-Orientales), par où passent chaque année 10000 personnes venues de tout le département. "Les objectifs affichés exigent le meilleur soin possible à l'extérieur de l'hôpital, mais la réalité que nous vivons dans les établissements, avec les tensions liées notamment à l'application de la réduction du temps de travail, fait que nous ne pouvons être la fois dedans et dehors. Nous sommes beaucoup trop pris par le quotidien, et les soignants, de mon point de vue, sont soumis à une pression que je n'ai jamais connue jusque-là." Ce praticien souligne la baisse des effectifs soignants en psychiatrie, de 86,8 agents par secteur en 1989 à 83,7 en 1997.
Les centres extrahospitaliers, qui offrent au patient des soins modulables et individualisés sans lui coller systématiquement l'étiquette "malade mental" sur le front, sont très sensibles à ces aléas d'équipement et de personnels adéquats, et sont aujourd'hui menacés. Quant au suivi individuel des malades - qui fait partie de la même philosophie -, au moment où ils sortent de l'hôpital, par des soignants qui les visitent régulièrement à domicile, il n'est rien sans une disponibilité sans faille, faute de quoi des incidents graves surviennent. "On ferme les asiles, pourquoi pas ? !" relate ainsi une infirmière du centre hospitalier spécialisé Maison-Blanche de Neuilly-sur-Marne. "Mais si on ferme petit à petit, il faut multiplier les moyens, afin de pouvoir assurer le travail de collaboration avec les services sociaux et les centres médico-psychologiques, et cela demande beaucoup plus de moyens, justement, contrairement à ce qu'on nous fait croire".
Malheureusement, sous couvert de retour des malades dans la cité, on fait des économies en fermant les hôpitaux, sans s'occuper réellement du patient dans son environnement (accès à l'article du Monde de 2006 sur les causes et conséquences de "la réduction de la capacité d'accueil" en psychiatrie). Cela aboutit à des situations de violences terribles pour lui, qui peut devenir très vite la cible de gens malveillants qui profitent de ses faiblesses. Joël Volson, qui travaille au centre hospitalier psychiatrique Paul-Guiraud de Villejuif, salue le travail des structures de jour, mais prévient d'un effet pervers : "On a supprimé des lits dans les hôpitaux au prétexte qu'on ouvrait des centres en ville. Mais on n'a pas réalisé que ces centres créeraient une demande, en prenant en charge des cas qui relevaient auparavant des services sociaux ou de la police, et que de nouveaux malades seraient envoyés à l'hôpital." Résultat: plus un lit n'est disponible à l'hôpital même. Et le serpent se mord la queue.
Le problème des moyens n'est pas neuf, mais devient aigu dans des zones aux budgets étriqués. Exemple à Paris: un livre blanc de la psychiatrie, rendu public il y a moins d'un an par la Société médicale des psychiatres des hôpitaux de secteur de Paris, montre que la psychiatrie d'Île-de-France est chroniquement sous-dotée de 20 % par rapport à la province. Et si le budget régional a augmenté sur le papier de 9,3 % entre 1996 et 2001, le seul maintien des moyens existants aurait nécessité entre 13 % et 15 % supplémentaires. Au sein de cette dégradation, la Ville de Paris aurait laissé beaucoup de plumes. Au total, les cinq hôpitaux publics parisiens de référence, Saint-Anne à Paris, l'hôpital des Eaux-Vives à Soisy, Esquirol à Saint-Maurice, Maison-Blanche à Neuilly-sur-Marne et l'hôpital de Perray-Vaucluse à Épinay-sur-Orge auraient perdu 10 % de leurs moyens financiers en cinq ans. Devant ce sombre bilan, le développement de la psychiatrie dans ses formes alternatives à l'hospitalisation, est freiné: ainsi, l'hôpital de jour, alternative à l'hospitalisation à temps plein, ne progresse que de 10 % en nombre de places à Paris, pendant que la capacité nationale augmente de 37 %. Dans cette impasse budgétaire, l'institution psychiatrique, comme le reste du monde hospitalier, bute aussi sur la pénurie de personnel, qui se conjugue à la baisse des crédits pour grever l'offre de soins. Le taux de vacance des postes de praticiens hospitaliers est un des plus élevés par rapport aux autres disciplines, et en 2020, le nombre de psychiatres aura baissé de 39 %, en raison des départs à la retraite.
Et le dispositif psychiatrique sature. Car un tel recul dans la prise en charge et la qualité de la prise en charge est en total décalage avec les besoins croissants exprimés par la population française. "On n'a jamais autant soigné en psychiatrie", note le Dr Charles Alezrah. Le secteur libéral observe une hausse de la demande de 17 % depuis 1992, alors que le public fait état de + 46 %. Chaque année, un million d'adultes et 370 000 enfants sont suivis dans le secteur public. Une telle explosion obligera à la réflexion. Et nul doute que les états généraux de la psychiatrie, en juin 2003, tireront la sonnette d'alarme sur l'incohérence d'une psychiatrie convoquée partout, mais sans moyens pour réaliser un travail de qualité (accès aux articles de presse sur les états généraux de la psychiatrie).
Anne-Sophie Stamane
accès au témoignage de l'infirmière Yolaine Guignard en 2004: "psychiatrie, une évolution avortée"
accès au témoignage du Dr Courtial de juin 2005 sur la soumission et la collaboration de la psychiatrie: "au secours, ils sont devenus fous!"
accès au dossier réunissant l'ensemble des "articles de presse"
- http://psychiatriinfirmiere.free.fr/ - "Articles de presse" -
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