Urgence pour la psychiatrie: vers un nouvel obscurantisme. 

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Urgence pour la psychiatrie

par Franck Fabien (*)

 

 

Article paru dans l'édition du journal "l'Humanité" du 10 décembre 2002

(également disponible sur le site de "l'humanité" )

 

Depuis la circulaire du 15 mars 1960, la psychiatrie publique en France a évolué considérablement d'une manière hétérogène, certes, mais elle est devenue au fil des ans un grand service public de qualité reconnu bien au-delà de nos frontières. Force est de constater que le dernier projet politique audacieux pour la psychiatrie et la santé mentale date de 1982.

Le rapport Demay, impulsé par Jack Ralite, alors ministre de la Santé, avait ouvert des perspectives donnant un nouveau souffle et des moyens à la psychiatrie publique de secteur. Depuis 1984, malgré les efforts considérables des équipes soignantes et de leurs partenaires, les gouvernements successifs ont cassé, restructuré, humilié, méprisé les travailleurs des secteurs psychiatriques, alors que les besoins nouveaux appelaient des réponses novatrices et progressistes. Avec le plan Juppé et les ordonnances de 1996 la situation s'est aggravée, Jospin, avec sa politique, s'est placé dans cette continuation, tout comme Kouchner d'ailleurs, et le positionnement de Matteï n'est pas là pour nous rassurer.

 

À force de détruire les emplois et les structures, à force de faire des économies sur la santé des gens et de fermer des lits, voilà où nous en sommes (accès à l'article de 2002 "la psychiatrie souffre du manque de moyens"). Il ne se passe pas une journée dans notre pays sans que des soignants en psychiatrie ne soient victimes d'agression pouvant entraîner la mort. Le 12 avril 2002, l'assassinat par un patient d'un infirmier dans un hôpital de province a fait déborder le vase, la colère est grande et les professionnels intervenant dans le champ psychiatrique en ont assez de subir les violences, les insultes, les agressions successives qu'ils ne peuvent maîtriser ou éviter, faute de moyens humains; l'éthique dont ils sont porteurs est mise à mal par ces passages à l'acte. L'insuffisance des moyens humains qualifiés fragilise le dispositif du travail d'équipe, sécrétant des dangers potentiels pour les patients et les professionnels (accès à l'article de 2004 de G. Baillon, psychiatre des hôpitaux: "j'accuse l'état de non assistance" ). Ces situations sont intolérables et relèvent de la non-assistance à personne en danger: les pouvoirs publics, présidents de la République, gouvernements successifs, élus, promoteurs de ces politiques, portent une lourde responsabilité par rapport à ces événements tragiques (accès à l'article de 2005 "débat après le meurtre de Pau").

 

Dans le champ du travail clinique en psychiatrie, on n'exerce pas qu'avec des protocoles d'enfermement: il y a le langage, la parole, les mots, mais faut-il qu'il y ait des infirmiers pour faire que ces mots circulent et prennent sens pour devenir thérapeutiques. Cette casse du service public de psychiatrie, ces restructurations ont eu pour effet, ces dernières années, de démotiver les équipes soignantes, de provoquer le désarroi chez les utilisateurs de la psychiatrie publique.

Les valeurs qui ont contribué à la constitution de la psychiatrie publique de secteur sont en train de voler en éclats, des lieux d'écoute et d'accueil de proximité disparaissent faute de moyens, les portes des hôpitaux psychiatriques se referment, mettant en cause parfois les libertés individuelles, les pratiques professionnelles perdent de leur cohésion entraînant vers le bas le niveau de qualité des soins.

La psychiatrie française de secteur est au bord du gouffre et nécessite de la part de tous les citoyens une mobilisation sans précédent, et c'est un peu le sens que veulent donner les psychiatres promoteurs des états généraux de la psychiatrie qui se tiendront à Montpellier en juin 2003. Mais la dégradation est telle que c'est tout de suite qu'il faut agir pour inverser le cours des choses.

 

L'État, ses responsables politiques, vont-ils poursuivre aveuglément leur entreprise de destruction? Allons-nous assister à un recul de civilisation gommant ainsi toutes les évolutions, le travail, l'utopie parfois de ces professionnels courageux, humbles, intelligents et humanistes qui se sont battus pour mettre un terme à plusieurs siècles de relégation des "fous" dans les ghettos asilaires?

Dans mes rencontres avec les professionnels des équipes de secteur psychiatrique, en particulier les infirmiers, je constate l'intensification des rythmes de travail et la vive tension qui traverse les équipes pluridisciplinaires - problématique qui pose concrètement la question des moyens humains.

 

Face à cette crise, les politiques se doivent de prendre leurs responsabilités et de répondre avec un plan d'urgence articulant des mesures exceptionnelles telles que la création d'emplois, la revalorisation des salaires et la mise en formation de milliers de salariés souhaitant exercer le métier d'infirmier en psychiatrie. D'aucuns prétendent que la volonté politique est forte, affirmée et en action: qu'ils le montrent ! Des psychiatres comme Georges Daumezon répétaient bien souvent: "La maladie mentale a besoin de temps et d'hommes bien formés." Parlant des infirmiers psychiatriques, François Tosquelles les appelait "les ambassadeurs de la réalité", et pour Lucien Bonnafé (accès au dossier "Lucien Bonnafé"), ils étaient des "techniciens de la relation".

 

Ces hommes qui ont marqué de leur empreinte la psychiatrie contemporaine avaient bien raison car c'est aussi avec les infirmiers que se sont réalisées des réformes profondément humanistes. L'enjeu est clair, entre deux possibilités: l'une ouvrant sur des perspectives créatrices et innovantes, l'autre renfermant les professionnels et les usagers dans un nouvel obscurantisme (accès au témoignage du Dr Courtial de juin 2005 sur la soumission et la collaboration de la psychiatrie: "au secours, ils sont devenus fous!").

 

 

(*) Infirmier de secteur psychiatrique. Auteur de "Plaidoyer pour un métier peu ordinaire", Publibook, 2001.

 

 

 

 

 

 


 

 

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