FASM juillet 2011 Patrick Alary contre projet loi

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Texte de Patrick Alary, vice-président de la FASM Croix-Marine (fédération d'aide à la santé mentale), juillet 2011.

 

 

 

- SANTÉ MENTALE ET CYGNES NOIRS -

Paris, 11 juillet 2011. 

 


"Il y a des moments où la théorie, en psychiatrie, rejoint les mathématiques et où l’expérience, physique ou économique, confirme la théorie. Ce moment, pour Nassim Nicholas Taleb, c’est celui de l’envol du cygne noir… Je n’ai jamais vu de cygne noir… De toute ma vie, je n’ai connu que des cygnes blancs. J’en ai inconsciemment conclu que les cygnes sont tous blancs. C’est une erreur, il y a des cygnes noirs en Australie. Et ils sont fort beaux. Mais volent-ils au milieu des nuages noirs…

La clinique tout d’abord

A la suite des ordonnances de 1995, dites Juppé, s’est mise en place dans les établissements de santé ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui la démarche-qualité, en fait un processus de standardisation bureaucratique des actes de soins audité tous les quatre ans par les experts-visiteurs choisis et formés par la Haute Autorité de Santé (HAS). Ces audits, autrement nommés “Certification”, ne sont pas neutres puisque leurs rapports sont publiés par la dite Haute Autorité et transmis, depuis la Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 « portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires », aux directeurs de l’Agence Régionale de Santé. C’est dire que cette démarche a un impact non négligeable sur la vie et ce qu’on appelle aujourd’hui la gouvernance des Établissements de Santé.

Or, qu’en est-il advenu ?

D’une démarche initiale qui pouvait paraître adaptée et utile, motivante et investie comme telle, nous sommes passés au stade de la surproduction surmoïque qui conduit progressivement à la multiplication des mouvements de contrôle (audit) et de maîtrise (protocoles et procédures mais aussi règlements et lois perpétuellement modifiées). Ces processus s’éloignent de plus en plus de leur objet et de la réalité pour se nourrir d’eux-mêmes, assurer une pseudo homéostasie (uniformité et anonymat), une fausse réassurance jamais garantie et toujours à reproduire. La pensée magique, la superstition (si j’applique le protocole, je n’ai rien à craindre de mon supérieur hiérarchique, de la direction, du juge, du patient, de sa famille...) ne sont pas loin… Un pas encore et ce sera la persécution par l’objet, le ras le bol de la démarche, son désinvestissement mais aussi la dénonciation des mauvais élèves, possibles persécuteurs, pour s’exonérer de la faute imaginaire, l’incitation à produire des fiches d’alerte en est un exemple parmi d’autres.

Être consciencieux, ordonné, respectueux, méticuleux, disponible, attentif, dévoué, sensible à la misère et à la souffrance, douter pour mieux réfléchir et progresser, être soucieux de l’intérêt général et sourcilleux quand il s’agit des subsides de l’État est généralement considéré comme des qualités, surtout lorsque tous ces traits sont associés chez une même personne. Mais chaque soignant en psychiatrie normalement formé et suffisamment expérimenté sait qu’il s’agit là de positions névrotiques, obsessionnelles. Tant qu’elles restent mesurées et n’empêchent pas l’action, en contrôlant au mieux angoisse et agressivité, en orientant les pulsions vers des actions socialement utiles, ou humainement solidaires, elles sont tout à fait acceptables et même souhaitables. Que l’on se rassure, ces qualités ont aussi leurs revers, tout aussi normaux et souhaitables, nul n’est parfait, heureusement. C’est d’ailleurs là tout le problème. Ces personnalités, scrupuleuses, ont tendance à l’introspection et au doute sur elles-mêmes en raison d’un décalage entre le moi idéal et le moi réel, aux dépens du moi réel, nous ne sommes pas ici dans la paranoïa.

Et c’est là que les difficultés commencent.

Par déplacements névrotiques successifs, ce qui n’est au total qu’une sublimation utile devient progressivement un besoin de contrôle et de maîtrise des pulsions, de l’agressivité, de l’anxiété puis de l’angoisse, des émotions et des affects, culpabilisés, bref de ce qui fait “biologiquement” la vie. L’appareil psychique se soumet puis devient l’esclave d’un surmoi devenu cruel et inhibiteur. La pensée magique se développe, conduisant à un contrôle de la pensée puis des actes qui vise une utopie, l’homéostasie pulsionnelle et libidinale, la libido étant toute entière investie dans les mécanismes de contrôle nourris par la jouissance qu’ils procurent, pathologique et fille de la pulsion de mort. Zéro risque, zéro erreur, zéro désir… La mort en fait puisque, chacun le sait, c’est un leurre qui ne sera jamais approché, même asymptotiquement.

Ici, on est encore dans la névrose, déjà gravement invalidante, mais la folie n’est pas loin. Il suffit que l’objet disparaisse, que la pensée se nourrisse d’elle-même pour qu’on entre dans le délire, le surmoi devenant persécuteur. Il y a dès lors le choix : l’obsédé devient son propre persécuteur, et la désintrication pulsionnelle l’amène à haïr son corps, ce sera l’hypocondrie voire la transformation corporelle (voila comment tant de lycanthropes ont fini au bûcher), ou l’effondrement narcissique du moi réel l’amène à la mélancolie (combien de mélancoliques ont aussi péri sur le bûcher soulagés de voir leur culpabilité reconnue et dûment châtiée).

L’autre mouvement est projectif, c’est la haine du surmoi qui amène à la persécution par l’autre et au délire interprétatif. La folie du doute est également une échappatoire. Le rappel des “classiques” n’est pas ici sans intérêt : « Elle apparaît, souvent dès l’enfance sous forme de scrupules exagérés, au moment de la première communion surtout, de craintes puériles, non motivées. Le sujet a toujours peur de se tromper, recommence plusieurs fois ce qu’il fait, n’en est jamais content, et s’adresse toujours des reproches. Les moindres actes sont conçus avec mille précautions. Il n’est jamais sûr s’il a fait ou non une chose. Il est incapable de se décider à rien sans de nombreuses hésitations, et plus les choses sont de faible importance, plus son embarras paraît augmenter[1]. »

Cela nous rappelle-t-il quelque chose ?

Les classiques, toujours, insistaient sur les rapports entre folie du doute et délire du toucher. « Ces lavages répétés sont accompagnés de monologues sans fin sur la question de savoir si toute trace de malpropreté a disparu et si les lavages ont été suffisants. Jamais les malades ne réussissent à se convaincre ou à se satisfaire.[2] » La phobie du microbe, de la saleté, de l’impureté a gagné nos comportements sociaux et soignants, ce qui se traduit par la multiplication des précautions à vocation hygiéniste, au nom du bien public, ce qui n’empêche nullement les infections, nosocomiales et autres, qui n’ont jamais été si nombreuses alors que se multiplient dans les services de soins, tels des hommages involontaires à Marcel Duchamp, les ready-made de solutions hydro-alcooliques. « Les démarches d’évaluation et d’accréditation sont basées sur des impératifs technocratiques où individus comme établissements disparaissent derrière des logiques sérielles et déshumanisantes : c’est l’extermination “soft” et l’apparition d’établissements “sans qualité” à l’image de l‘homme sans qualité de Musil, c'est-à-dire anonymes et interchangeables. Leur finalité est hygiénique : elle procède par étapes de purifications successives des scories de fonctionnement[3]. »

Toujours de la saleté, toujours des microbes, toujours de la différence, toujours de l’autre… L’histoire, que nos libéraux ont proclamé abolie avec Francis Fukuyama, l’histoire, sur ce point, donne à penser.

Certes, il a fallu des idéologues pour produire la Shoah et, avant elle, la persécution et la mise à mort des opposants au régime nazi : c’est cela la pulsion de mort agie dans le réel. Mais il a fallu également une planification “rationnelle”, des protocoles et des procédures appliqués sans état d’âme parce sans conscience claire de la finalité et de l’objet visé, pour produire la destruction de l’autre, symbolique puis réelle (anonymation, déshumanisation[4] puis mise à mort) par une série d’hommes respectueux des règlements et des procédures, agissant probablement en toute bonne conscience et dans la satisfaction du devoir accompli.

Face à cet idéal de pureté, une démarche, la sécurité. En apparence.

Ces choix ont des conséquences concrètes, que chaque patient, chaque famille et chaque professionnel vit, ou subit, au quotidien…« Le livre de la Genèse dans la Bible raconte comment les hommes ont voulu atteindre les cieux en construisant une tour et en se constituant une seule langue: non seulement ils ne purent achever la tour, mais ils n’y gagnèrent que dispersion et confusion. Il est bien à craindre que le même sort soit promis à cette nouvelle Tour de Babel à la construction de laquelle nous convoque l’HAS et ses illusions d’atteindre de nouveaux cieux pour acquérir l‘éternité[5]. »

Malgré la succession de lois[6] qui élargissent le champ des libertés de ceux que l’on dénomme, hélas, les usagers[7], se multiplient les hospitalisations sous contrainte, les mesures d’isolement et les prescriptions de contention. Dans un rapport rendu public en février 2006, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des services judiciaires, analysant les dispositifs de l’hospitalisation sous contrainte prévus par la loi du 27 juin 1990, relèvent un doublement du nombre d’hospitalisations sous contrainte depuis 1990 et un recours toujours plus important aux procédures d’urgence. Une même augmentation se remarque pour les mesures d’isolement, bien entendu strictement encadrées par des protocoles : on notera au passage qu’elles deviennent “soins intensifs” ou de “repli”, les mots mêmes, aujourd’hui, ont une vertu contaminante[8]. Les prescriptions de contention, physiques et/ou chimiques avaient disparu ou presque de nos pratiques : le rapport de l’IGAS de mai 2011 dénonce les dysfonctionnements en matière de sécurité dans les hôpitaux psychiatriques : « les détenus et les malades hospitalisés sans leur consentement fuguent facilement des établissements de santé mentale ». La mission de ses inspecteurs a évalué entre 8 000 et 14 000 le nombre annuel de fugues de patients hospitalisés d’office ou à la demande d’un tiers.

Ceci traduit la violence de nos sociétés nous rétorque-t’on. Cela ne traduit-il pas plutôt une grave crise de l’autorité qui va de pair avec une désanctuarisation de lieux jusqu’alors respectés, l’école et l’hôpital par exemple.

Violence que les 37 lois sécuritaires[9] votées depuis 7 ans n’ont pas fait reculer alors que recule l’espace des libertés publiques, la 38ème loi, car c’en est une, réformant la loi du 27 juin 1990 sur l’hospitalisation en psychiatrie, ne faisant qu’ajouter au recul.

C’est ici que la clinique fait le constat de l’envol des cygnes noirs.

La découverte des cygnes noirs

Comme le rappelle Courrier International[10], « les systèmes complexes dont on a supprimé artificiellement l’instabilité deviennent très fragiles, tout en ne présentant aucun risque visible (d’où les audits toujours satisfaisants[11]!)… Ces systèmes artificiellement contraints sont enclins aux “Cygnes noirs”, c’est-à-dire qu’ils deviennent extrêmement vulnérables à des événements très éloignés de la norme statistique et largement imprévisibles[12] ».

Les auteurs poussent le raisonnement : « il est dans la nature humaine, et c’est plutôt raisonnable, d’intervenir pour tenter d’infléchir le monde et les résultats qu’il produit. [Mais] les humains feraient mieux de travailler en accord avec la nature et de tolérer des systèmes qui absorbent les imperfections humaines… Un système économique (ne pourrait-on dire “un système qualité”) robuste favorise les échecs précoces en vertu du principe “quitte à échouer, autant le faire dès le début[13]”… Les humains redoutent l’aléatoire alors que cette saine caractéristique du passé, dans un monde plus linéaire, accroissait les chances de survie, mais elle aurait l’effet inverse dans le monde complexe d’aujourd’hui poussant la volatilité à prendre la forme de ces néfastes cygnes noirs qui se dissimulent derrière de trompeuses périodes de “grande modération” ». Et de conclure : « Comme le dit Jean-Jacques Rousseau[14], “un peu d’agitation donne du ressort aux âmes, et ce qui fait prospérer l’espèce est moins la paix que la liberté”. La liberté s’accompagne de fluctuations imprévisibles. Cela fait partie de la vie, il n’y a pas de liberté sans bruit -et pas de stabilité sans volatilité. »

Par ce biais de la liberté, les cygnes noirs nous ramènent à notre propos : cette volonté de contrôle, de maîtrise, en restreignant les espaces de créativité et de liberté, va à l’encontre de ses propres objectifs et crée des désastres bien supérieurs en nocivité à ceux qu’elle est censée prévenir. Il nous rappellent que réduire le sujet à une série de comportements, de symptômes, d’aires cérébrales, de neurones, de neuro-médiateurs (à l’heure où les neuro-biologistes eux-mêmes redécouvrent le « Continent freudien »…), c’est refuser la complexité de la nature humaine et sa réalité irréductible à une série de concepts simples, tout comme découper le soin en de multiples séquences, c’est « refuser sa continuité et sa cohérence[15] » que le système soignant se doit de présenter face à la discontinuité de la maladie mentale.

Un collègue a d’ailleurs abordé cette question sérieuse avec humour, dans un article intitulé « Avis de tempête sur la psychiatrie[16] » : « la tempête se nourrissant de l’isolement et de montagnes de papiers, il est important de se serrer les coudes et de fabriquer des faux. »

Car ces protocoles, procédures, management, gestion, tarification à l’activité sont venus percuter, dans nos établissements, tout au moins là où ces pratiques se développaient, la pratique institutionnelle. Laquelle, sans le savoir, acceptait l’existence des cygnes noirs et favorisait leurs vols au milieu des cygnes blancs.

En finir avec la psychothérapie institutionnelle

« Qu’est-ce qui est thérapeutique dans un appartement ? - Le patient ! » disait Lucien Bonnafé. Qu’est-ce qui est thérapeutique dans une structure ? Encore et toujours le patient !

Sans rentrer dans le détail de ce qu’est la psychothérapie institutionnelle, rappelons ce qu’en disait Jacques Azoulay[17] : « Au delà de l'étayage, l'observation du comportement, de la projection dans les situations concrètes, dans les personnes et dans les choses, peut réanimer ce qu'on peut penser du patient et avec lui. Une activité en commun, un jeu à plusieurs, ou la nécessité d'affronter une situation plus critique, ne constituent pas seulement un moment d'interaction qui va rester ponctuel : ces situations vont donner source à récit, élaboration et connaissance, relançant l'investissement du patient par autrui en même temps que son propre sentiment d'existence.

L'institution doit porter témoignage de l'existence même du patient. Elle favorise la constitution d'un espace tiers, intermédiaire, qui fait le plus souvent défaut dans le fonctionnement psychotiqueLe traitement institutionnel des états psychotiques est donc un traitement à plusieurs qui prend en compte la réalité à travers les échanges de la vie quotidienne. »

Parmi tous les démantèlements en cours, l’un, en particulier, qui s’effectue à bas bruit, celui du dévoiement, pour raisons économiques, de « L'article 93 » devenu article L 3221.2 du Code la Santé Publique. Pour s'occuper du psychotique, « il faut être plusieurs[18] et il est nécessaire de créer des espaces différenciés[19] » qui, d’une certaine façon, autorisent la prise en compte des cygnes noirs dans les hôpitaux et, mieux encore, dans la cité. Cet article, dont la refonte est due à l’action de la FASM Croix-Marine, avait pour objet de donner une base légale aux associations ou clubs car les hôpitaux se voyaient contraints de les ‘’tuer’’, la Cour des Comptes étant passée par là. Il s’agissait de défendre la pérennité de structures comme les appartements associatifs, les clubs, les ergothérapies, des structures de convivialité associant professionnels, patients et citoyens. Ce fût une réussite jusqu’à ce que l’on s’aperçoive que la menace, aujourd’hui, est celle des gestionnaires pour cause de rigueur budgétaire et de « combien ça coûte » et de « combien ça ne rapporte rien ».

Or la vie associative en santé mentale avait pour vocation d’animer et de gérer les « actions à visées thérapeutiques, notamment en vue de favoriser la récupération de l'exercice de droits civiques altérés par les conséquences de la maladie, mais aussi pour favoriser la réinsertion sociale au travers d'actions innovantes ne pouvant être assurées par le service public.

« Dans cet espace encourageant le développement et l'usage de la vie associative dans le champ de la Santé publique, en vue de favoriser l'autonomisation, l'insertion sociale, la participation active aux procédures de soins et de réhabilitation psycho-sociales, l'exercice des modes d'expression de la citoyenneté, le cadre associatif » permet de regrouper « des usagers de la psychiatrie ou en situation de handicap psychique, des personnels hospitaliers rémunérés par l'établissement de soins chargés de la mission de service public du territoire considéré, et toute personne bénévole, ou chargée d'un mandat électif ou d'une association oeuvrant également dans le champ de la santé mentale sur le territoire ». Mais aussi de « donner une information auprès du grand public des modalités de soins en psychiatrie en organisant ou en participant à des congrès, forums, journées d'information et tout autre moyen de communication[20] ».

Liquider cet héritage risque de coûter cher, économiquement, humainement et professionnellement. Qui prendra en compte le coût des déshérences qui en résulteront et des réhospitalisations que cela ne manquera pas d’engendrer même s’ils amèneront, il est vrai, la production de nouveaux actes tarifés? Qui en mesurera les répercussions chez les professionnels, en termes de désinvestissement, d’arrêts maladie et de passivité face à un management gestionnaire qui déresponsibilise chacun ?

Il existe également un vrai risque de dérive, celui d’une gestion purement commerciale du long cours qui se refuse à considérer la psyché et la nécessaire continuité d’une existence marquée par la discontinuité pathologique. C’est aussi renoncer à la réelle richesse et à la diversité du plateau technique de la psychiatrie. C’est enfin renoncer au rôle de l’associatif dans le traitement de la maladie mentale, sous ensemble pourtant commun aux patients, à leurs familles, aux professionnels de champs divers et aux citoyens…

C’est l’occasion de souligner que se développent dans nos établissements (et pas seulement en psychiatrie), une souffrance et un sentiment de pénibilité qui débouchent sur une lassitude et un absentéisme qui -curieusement ?- sont quasi niés, « les français (on pourrait dire les fonctionnaires) ne sont pas habitués aux exigences et aux changements » entend-on souvent pour seul commentaire. Or, le malaise est plus profond mais il n’est pas pris en compte par les méthodes d’“évaluation”, la caution scientifique toujours, qui n’ont pour seule vocation que de conforter les décideurs dans leurs certitudes[21]. Il ne sort de la boite que ce qu’on a mis dedans soutenait Jacques Lacan. « Nous sommes, depuis une vingtaine d’années, affectés par une paralysie de la pensée sur le travail en raison d’un déni massivement opposé à l’analyse du travail réel[22]» disait Christophe Dejours en 2001. «  C’est l’organisation du travail qui est porteuse de violence au travail ou plus exactement le décalage entre prescrit et réel ».

Pour Dejours, « la souffrance liée à la tâche est multiforme. Elle commence tout d’abord quand la relation homme-organisation du travail est bloquée par la rigidité de la tâche. La non-significativité du travail par rapport au sujet et à son objet est source de souffrance ». « Or, il semble qu’à travers les pénibilités du travail évoquées : manque de disponibilité auprès du patient, oubli du relationnel, la perte de sens du travail des professionnels interrogés est grande… La souffrance émerge d’un développement empêché (on ne peut plus faire son travail) dans le cadre de l’organisation du travail prescrite. C’est le renoncement au travail bien fait, aux valeurs qui guident l’investissement dans une activité professionnelle, qui a un coût psychique très lourd (Lhuilier, 2006) »[23]

« En fin de compte, « l’explication rapide qui consisterait à dire que les soignants sont des névrosés parce qu’ils ne s’adaptent pas à l’organisation du travail est plus que douteuse. Elle renvoie à une vision du rapport au travail très individualisée sans se poser de question sur les structures… D’après M. Wieviorka (2005), la véritable dimension de la violence est la manifestation d’une fêlure, voire d’une fracture du sujet, dans les moments où le sens se dérobe, se distord ou s’emballe. Or, la perte de sens du travail est fortement ressentie par le personnel soignant.[24] »

Au fond, la logique d’un changement paradigmatique : de l’associatif, de l’humain, à la marchandisation… Soleil vert en somme…

La “réforme” de la Loi du 27 juin 1990

Un dernier point, qui montre les limites de cette politique de la maîtrise[25], le vote de la réforme de la Loi du 27 juin 1990 par l’Assemblée nationale, dans un silence assourdissant[26], le 31 mai 2011.

Outre qu’elle a donné lieu à une passe d’armes[27] entre les associations d’usagers  (FNAP-Psy) et de familles (UNAFAM) qui ne profite à personne, et on ne peut que soutenir, dans cette occurrence, Claude Finkelstein, présidente de la FNAP-Psy, il n’est pas inutile de rappeler la position de la FASM Croix-Marine sur la question, position défendue par son président Bernard Durand : « Nous comprenons le désarroi des familles confrontées au fait de voir un de ses proches abandonné à domicile dans un déni total de sa pathologie du fait qu’un certain nombre d’équipes de secteur se soient insuffisamment mobilisées pour “aller vers” le patient… Au lieu de ce subterfuge de soins ambulatoires sous contrainte ne convient-il pas plutôt de donner davantage de moyens aux équipes en développant et en élargissant, par exemple, les visites à domicile : elles représentent les premières véritables garanties du suivi du soin et de l’accompagnement de la personne et de son entourage… Les [exigences propres à la psychiatrie] ne sauraient se calquer sur celles d’un simple modèle médical où ne serait pris en compte que le traitement psychotrope au détriment de la complexité du soin psychique et encore moins d’un modèle de surveillance policière. La maladie mentale, en effet, qu’on l’appelle folie, troubles psychiques ou handicap psychique met en question la conception même de l’humain et du lien social et il est indispensable que cette dimension anthropologique soit prise en compte. »

Multiplier le nombre d’unités fermées et de chambres d’isolement, de lieux et de mesures de contraintes même surveillés par la justice, avec protocoles à l’appui, pour contenir les patients agités, restreindre les espaces privés, sociaux et/ou psychiques sera insuffisant et ne remplacera pas l’efficacité du savoir être de soignants capables d’apporter contenance et apaisement par des bras sachant entourer un patient, un sourire qui soulage ou un mot qui rassure, un traitement compris et accepté dans une véritable alliance thérapeutique, expérience qui ne s’apprend ni dans les salles de cours des IFSI, ni dans les livres et qui apporte pourtant une autre sécurité que la menace de l’injection, de la camisole ou de la chambre d’isolement.

Avec cette réforme, la psychiatrie est présentée une fois de plus sous son seul versant sécuritaire, malgré les dénégations des représentants de l’État. On est loin des ambitions du Plan Psychiatrie et santé mentale qui promouvait le respect des droits individuels des patients et le respect de leur dignité et de leur citoyenneté et alors même que, d’un autre côté, des efforts sont faits pour déstigmatiser ces maladies.

Dans cette société de l’individu et de la peur de l’autre, qui joue de la performance et du narcissisme, y-a-t’il encore une place pour le lien social, pour l’entraide, mutuelle, pour la solidarité, un espace pour la raison fondée sur la science et pas sur l’idéologie, le religieux, le scientisme, l’“expertise” ou le “conseil”, pour le respect de la dignité de chaque être humain et la solidarité de la cité envers celui qui souffre et qui doit être traité avec respect.

La maladie, au fond, ne change rien à la vie, elle en souligne les enjeux et les exigences…

Alors, chacun à notre place, « travaillons à ce que la médecine, comprise comme la pointe de la solidarité humaine, aménage les conditions qui puissent faire du pire l’occasion d’une victoire".

Références de [1] à [27] fournies à la demande.

 

Docteur Patrick Alary,

Psychiatre hospitalier , Vice-Président de la FASM Croix-Marine.

 

 

 

Soutiens, commentaires ou questionnements par e-mail: patrick.alary@orange.fr.

 

 

 


 

 

 

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 MÀJ 15.08.11